Le 21e siècle voit son premier quart déjà se terminer et la France n’a plus rien à voir avec celle des années 1970. De conservatrice et timorée, elle est devenue libérale et consumériste. Prolétariat, bourgeoisie? Ces classes sont toujours là et forment le cœur de la société. Mais désormais on est comme aux Etats-Unis, ce sont les petits-bourgeois et les déclassés qui donnent le ton. Outrance, mauvais goût, absence de valeurs (bonnes ou mauvaises d’ailleurs), immédiatisme prétentieux, égocentrisme à tout prix…
Sans conscience ni sensibilité, les gens en France s’imaginent qu’il suffit d’arriver et de dire quelque chose, et c’est censé avoir une valeur en soi. L’idée même d’un travail approfondi pour découvrir la substance des choses leur est fondamentalement étrangère. L’importance des réseaux sociaux dans cette décadence est naturellement centrale. N’importe qui peut y raconter n’importe quoi et s’imaginer être « réel ».
L’affaire du jeune Nahel, délinquant tué par un policier alors qu’il refusait d’obtempérer après 26 min de course poursuite dangereuse, est un excellent exemple de cette fuite en avant dans le show capitaliste. Surréactions, foire d’empoigne, ce fut la célébration de l’ego à tous les étages. Même les dénonciateurs conservateurs (comme Jean Messiha) ont fait partie de cette déchéance, puisqu’ils participent à cette foire aux réseaux sociaux sur un mode consommable.
Tout a consisté en de la réaction brute, en mode « moi je ». Avec comme point culminant une mère qui se met en scène en faisant hurler le moteur d’une moto, au milieu de jeunes hommes en plein délire patriarcal le plus primitif, alors qu’elle vient de perdre son enfant… Il faut vraiment que le capitalisme aliène pour qu’on atteigne un tel degré de manipulation, de négation des sentiment maternels.
Le pire est que les idiots autour de la mère de Nahel ont cru l’aider, alors qu’en fait c’est de l’esbroufe. On ne compense pas les difficultés de la vie par le bruit, fut-il égocentré, capitaliste !
Les émeutes des cités banlieue de fin juin 2023 sont à ce titre exemplaires, tellement elles sont dans leur nature l’inverse de celles de 2005. Elles prennent prétexte de la mort d’un délinquant, mais ne reposent que sur des egos hypertrophiés se mettant en scène. Rien à voir avec les émeutes de 2005 où on savait depuis plusieurs années avant que cela allait craquer et où il y avait énormément de gravité dans les événements. D’ailleurs, à l’époque, tous les mouvements politiques (à part les maoïstes) étaient sous la table et dénonçaient la révolte, y compris les plus à gauche du spectre politique. Alors que désormais, dans le capitalisme, c’est par définition la surenchère populiste permanente.
Pourquoi ? Parce que tout est prétexte à une affirmation de soi et une affirmation de soi seulement. Les gens ne s’attachent à aucune valeur, à moins que ce ne soit « leurs » valeurs, leur propre aventure. On en a une preuve simple. Même ceux assumant une religion de manière rigoriste sont simplement dans la posture. Ils ne généralisent pas leur position censée être pourtant universelle, puisque Dieu est à tout le monde. Ils se focalisent toujours sur leur propre ego et si jamais ils font du prosélytisme, c’est toujours avant tout pour se rassurer eux-mêmes. C’est flagrant : même les gens religieux consomment leur religion.
La société française, capitaliste, est une société sans esprit, sans âme. Ses membres agissent tels des consuméristes errants, sans but ni vision du monde, au jour le jour, sans état d’âme ni profondeur d’esprit. Ils sont incapables de se déterminer, de s’orienter avec une perspective historique. Ils s’imaginent prendre les choses telles qu’elles sont, et donc ils en ratent tant le sens que la profondeur.
Que peut-il alors spontanément sortir d’une telle société? Absolument rien de bien. C’est pourquoi la Gauche historique a toujours dit : attention, le rôle de la conscience est primordial, les anarchistes ont tort de célébrer l’individu alors que c’est le propre du capitalisme de promouvoir l’égoïsme et l’égocentrisme. Les gens qui réagissent spontanément dans le capitalisme consomment, ils réagissent à des impulsions capitalistes, ils n’ont aucun aperçu ni sensibilité, ils sont dans le consumérisme et l’ego.
Le Socialisme, c’est justement l’affirmation de l’envergure des choses, le recalibrage de l’humanité dans la dialectique de la personnalité et de la société, à rebours de l’incohérence de l’individu avec une société capitaliste exploiteuse et aliénante.
Ce qui est en jeu, c’est en fait la question de la recomposition du prolétariat. Que la bourgeoisie soit décadente, il ne peut pas en être autrement. Surtout avec une bourgeoisie française qui a accepté de se soumettre à la superpuissance américaine. Mais où est le prolétariat? Là est la question réelle. Il est forcément là, il ne peut pas en être autrement. Seulement, le prolétariat est atomisé, individualisé, déboussolé. Il existe objectivement, mais subjectivement il faut le recomposer, car le capitalisme a tout fait pour l’empêcher de se saisir en tant que classe. La corruption au moyen de l’exploitation du tiers-monde a joué ici un rôle majeur.
Dans tout événement, c’est ça le fil conducteur : la recomposition de la classe. Pour cela, il faut prendre de la hauteur, s’orienter toujours par rapport à la question de la conscience. Et ne jamais courir derrière les petits-bourgeois et les déclassés, ces sous-produits d’un occident moribond !