L’occident avait médiatisé de manière massive l’offensive ukrainienne du Printemps 2023. Celle-ci s’est en fait réellement matérialisée au début de l’été, et elle a échoué. C’est donc la panique au sein des médias, notamment de tous ce gens faussement de gauche se plaçant dans le camp de la « démocratie » contre « l’ogre russe ».
L’Otan, ce ne serait pas bien, mais la menace principale, ce serait les vilains Russes et les affreux Chinois… Donc autant « sauver » les gentils Ukrainiens… au moyen de l’Otan. Voilà comment, à partir d’un point de vue partant de la Gauche, on arrive au militarisme. Le Canard enchaîné se lamente ainsi :
« Depuis deux mois, la contre-offensive menée par les Ukrainiens est une source de déception pour les états-majors occidentaux.
Ces stratèges s’étaient un peu vite persuadés que les soldats de Poutine ne pesaient pas bien lourd et que les armements déjà bien fournis par les Américains – l’équivalent de 43 milliards de dollars – allaient en faire de la pâtée.
Erreur : les envahisseurs résistent.
Un argument que Zelensky et ses généraux peuvent présenter en défense, et ils le font avec une relative discrétion, pour ne fâcher personne : « On ne nous a pas livré les 300 chars lourds et les dizaines d’avions de combat F-16 que nous avons réclamés dès janvier 2023. »
Il pourraient même ajouter que les autres matériels promis tout au long des dix-sept mois de cette guerre – batteries anti-aériennes, lance-missiles multiples, missiles de croisière, bombes à fragmentation, transports de troupes blindés, radars, drones, obus, munitions diverses, etc. – ont toujours été fournis à de petites doses, et avec beaucoup de retard. »
Tout l’article du Canard enchaîné va ainsi (« Les dangereux retards de l’aide fournie à Kiev », 16 août 2023). Et il est signé Claude Angeli, une figure majeure de cet hebdomadaire. Cet exclu du PCF dans sa jeunesse, en 1964, l’a rejoint en 1971 (c’est lui qui publie l’article sur les diamants de Bokassa touchant le président d’alors, Giscard). Il en est le rédacteur en chef de 1991 à 2012, pour ensuite s’occuper seulement de la politique étrangère.
Sa position est révélatrice de la situation actuelle, où parmi les pires militaristes se trouvent ceux qui veulent une France « sociale » et entendent la préserver à tout prix. C’est logique dans un pays où plus de 80% du chiffre d’affaires des entreprises du CAC 40 est réalisé à l’étranger. Le parasitisme à l’échelle mondiale produit un social-impérialisme agressif.
Sauf que le problème, donc, est que le régime ukrainien ne parvient pas à provoquer la destruction prévue de la Russie et sa partition en plusieurs pays.
La raison de l’échec du régime ukrainien tient à l’excellence russe au niveau défensif. Il faut remonter ici loin dans l’Histoire, ce qui a perdu la quasi totalité des observateurs. Il faut en effet connaître le parcours de la Russie depuis Napoléon, avec notamment le violent contraste entre l’URSS des années 1920-1940 et celle des années 1960-1980. Cela fait beaucoup!
La Russie a en effet été longtemps une partie de l’URSS et dans l’esprit communiste de la première partie du 20e siècle, la logique militaire est celle de la « défense active ». Autrement dit, on part du principe que l’ennemi est le seul agressif et qu’il est supérieur sur le plan militaire ; il faut donc contourner ces faiblesses en le manœuvrant sur un terrain prédéterminé.
Le « modèle », c’est la guerre générale du peuple russe contre l’armée de Napoléon au début du 19e siècle, combinant armée traditionnelle évitant les combats et harcèlement par la guerre des partisans. La dynamique de cette guerre est admirablement décrite dans le grand classique de Tolstoï, Guerre et paix. Les communistes soviétiques ont repris le concept de par sa dimension populaire.
Mais c’est en Chine que cette stratégie a été développée à une échelle la plus grande, conduisant à la victoire des communistes chinois en 1949 avec à leur tête Mao Zedong. Ce dernier a longuement théorisé les principes de cette « guerre populaire ». On trouve dans les « dix principes d’opération » les éléments fondamentaux de cette défense active.
L’URSS a abandonné le principe de défense active à partir des années 1950, la bureaucratie capitaliste transformant à partir de là tout le pays et donc également les objectifs. L’URSS visait à devenir la puissance hégémonique mondiale. La stratégie militaire agressive a ainsi formé une superstructure théorique sur le principe de « défense active ».
Il s’agissait cette fois d’attaquer, suivant le principe traditionnel bourgeois du « blitzkrieg », l’attaque-éclair. L’Otan avait une peur bleue de cette stratégie et pour cette raison il était prévu d’utiliser immédiatement des bombes atomiques tactiques (en Allemagne et en Autriche) pour briser une éventuelle avancée des forces du Pacte de Varsovie.
Cependant, dans cette stratégie offensive, il y a des restes de « défense active », en raison de la supériorité considérée comme acquise de l’aviation occidentale. Pour cette raison, la « défense active » dans sa version impérialiste soviétique s’appuyait notamment sur les lignes de défense et les mines, afin de forcer l’opposant à agir sur un terrain prédéfini (et hors aviation).
Il faut savoir en effet que la stratégie militaire de l’Otan repose entièrement sur l’aviation : celle-ci écrase tout et après on envoie les troupes. La guerre contre l’Irak dans les années 1990 est un exemple fameux. Les lignes de défense avec une très forte artillerie et les mines sont une tentative soviétique de contrer ce principe.
C’est même tellement un arrière-plan qu’en fait, les soviétiques ne savaient pas faire autrement (et de fait ni les Russes ni les Ukrainiens aujourd’hui non plus). Voici par exemple ce qui a posé problème à l’URSS lors de sa conquête de l’Afghanistan en 1979. La carte suivante montre ce qui n’allait pas : l’invasion est passée par les grandes routes, mais le territoire contrôlé n’a jamais réellement dépassé l’environnement de ces grandes routes.
Pourquoi ? Parce que malgré des bombardements aériens terribles, les rebelles afghans n’ont jamais pu être détruits par l’artillerie soviétique puisqu’ils n’entraient pas dans le jeu de la défense active. Résultat, ce fut la défaite soviétique.
De manière incroyable, en 2023, les Ukrainiens sont par contre rentrés dans ce jeu. C’est sidérant, même. Le piège était énorme, mais le nationalisme ukrainien a tellement aveuglé les stratèges qu’ils ont tenté de passer en force.
Ils ont été aidé en cela il est vrai par l’Otan, qui a formé pendant des semaines des milliers de soldats ukrainiens pour « percer » la défense active. Tout le matériel distribué, avec les blindés, allait en ce sens (ce sont les Leopard, les Stryker, les Challenger 2, etc.). Or, c’était une opération suicide, au point que l’armée ukrainienne elle-même a arrêté d’utiliser les principes de l’Otan dans ses opérations.
Voyons pourquoi. Les lignes de défense russes sont composées de trois lignes. Le schéma suivant présente leur configuration générale (de manière grossière et néanmoins expressive).
L’armée russe a eu des semaines pour former ses lignes. Donc cela donne la chose suivante.
Vous avancez, comme sapeurs, à pied. Vous vous prenez de l’artillerie sur la tête. Une artillerie vous appuie, sans la même envergure pourtant (les Russes ont beaucoup plus de munitions). Vous cherchez à dégager les obstacles et à combler le fossé anti-char. Ensuite vous tentez de déminer. Sauf que là vous êtes tellement près de la première ligne russe que des drones suicides se précipitent sur vous. Vos drones sont bien moins efficaces également, en raison des systèmes utilisés pour les déboussoler (l’armée russe est très forte désormais en ce domaine).
Et en cas d’échec, la première ligne russe a le temps de remettre de nouvelles mines, d’adapter celles-ci (pour les blindés par exemple). Et tout est à recommencer.
C’est un cauchemar. Et il faut avoir conscience qu’on parle ici de millions de mines, sans doute autour de 8 millions ! Pour cette raison, à la mi-août 2023, l’armée ukrainienne… n’a même pas atteint la première ligne de défense, à part en un ou deux points grosso modo des 800 km de la ligne générale de front.
C’est un désastre, avec un front gelé sauf en de très rares points, mais un gel coûtant la vie à des centaines de soldats chaque jour.
La stratégie de l’Otan, historiquement mis en place dans les années 1970 face à l’URSS, dit qu’il faut cibler un point de la ligne de défense et foncer. Sauf qu’il faut des forces énormes pour passer sans se faire étriller de tous les côtés. C’est pour cela que des blindés ont été fournis en masse au régime ukrainien. Mais cela ne suffit pas.
L’offensive ukrainienne du printemps, en fait de l’été, est donc un carnage total. Et ce d’autant plus qu’il y en a pour six mois d’artillerie (à un rythme bien moins élevé que l’armée russe), et après il n’y a plus rien.
Pour cette raison, des dissensions s’expriment pour la première fois quasi ouvertement dans le régime ukrainien à la mi-août. Les « politiques » sont très déçus de l’échec de l’offensive et se demandent si elle vaut encore le coup, car il va falloir continuer de tenir. Les « militaires », avec à leur tête Valeri Zaloujny le commandant suprême de l’armée ukrainienne, disent qu’il faut prolonger l’effort coûte que coûte.
Le grand espoir de l’armée ukrainienne est de passer le Dniepr, au moyen d’un millier de soldats formés par les Royal Marines britanniques. Rappelons ici que l’objectif très clair du Royaume-Uni, c’est de faire passer sous sa coupe le port d’Odessa. Pour la Russie, c’est hors de question et le conflit ne s’arrêtera pas de son côté tant que la « Nouvelle Russie » historique au bord de la Mer Noire n’est pas récupérée.
C’est pour cela que dès juin 2022, il avait été dit de notre part que l’Ukraine serait, en tout état de cause, coupé en trois. Cela donnerait en jaune une zone marquée par l’intervention militaire polonaise avec un régime ukrainien nationaliste, en gris comprenant Kiev une zone tampon « protégé » par la France et l’Allemagne, en bleu une zone rejoignant la Fédération de Russie.
Tout cela a lieu alors qu’il y a eu au début d’août 2023 des rumeurs infondées mais révélatrices de possible coup d’État militaire en Ukraine, alors qu’inversement les « politiques » ont procédé à l’éviction de la totalité des responsables de centres de recrutement de l’armée ukrainienne, en raison de la corruption.
Et mi-août, le chef du bureau du secrétaire général de l’Otan, Stian Jenssen, a parlé d’un éventuel accord où l’Ukraine rejoindrait l’Otan en échange de territoires remis à la Russie. Il s’est bien évidemment rétracté. Cependant, tout cela correspond à un état d’esprit fondé sur la compréhension de l’échec de l’offensive ukrainienne de Printemps. La situation semble sans issue.
Ce qui rend fou de rage l’Allemagne qui a changé totalement de ligne et est désormais pro-régime ukrainien de manière totale. Tout ça pour ça ! Aussi prône-t-elle l’escalade. Elle compte fournir des missiles Taurus, d’une portée de 500 km.
Cela ne ferait que prolonger le conflit de quelques mois, sans en changer la donne. En l’état actuel des choses, les carottes sont cuites pour le régime ukrainien, dont la majorité des finances provient des aides occidentales. Sur le plan des troupes, ce n’est pas un problème, on est loin des statistiques horribles de la guerre de 1914-1918 et cela pourrait durer encore longtemps.
Mais le soutien occidental ne durera pas au-delà de la fin de l’année 2023 en raison de l’ombre de l’intervention chinoise pour récupérer Taïwan en 2024. Et une victoire militaire marquante à court terme semble impossible.
On touche un point névralgique du conflit, un tournant, un noyau dur faisant passer d’une situation à une autre. Cela ne rend que les choses encore plus dangereuses de par le contexte de guerre générale pour le repartage du monde.