Partons du principe que le capitalisme va être ébranlé de telle manière que les gens vont devoir se remettre en cause. On peut dire que le processus est même déjà en cours, même si c’est lent, très lent. Comment les gens vont-ils le vivre?
Essayons de résumer à grands traits la vie d’une personne vivant en France. Il y a deux aspects, la vie privée et la vie professionnelle. Les deux sont liés, naturellement, prenons les toutefois comme les deux aspects formant cette personne. Il y a d’un côté la famille : on est en couple ou on veut l’être, du moins on fréquente plus ou moins des gens proches, des amis chers. Il y a de l’autre le travail, avec l’exigence de gagner de l’argent pour vivre.
Même si le travail prend dans les faits la part belle dans une vie, disons que c’est 50/50 pour une personne. A moitié, on travaille ; à moitié, on a sa vie privée.
Si on était syndicaliste, on résumerait la contestation au monde du travail. C’est évidemment ridicule. Fidèle à la Gauche historique, nous considérons que la vie privée et la vie au travail sont deux choses différentes, mais se rejoignant, c’est un tout.
En 2023, la chose est évidente pour qui est un peu sérieux. le 24h sur 24 du capitalisme en atteste. L’ouvrier syndicaliste peut prétendre être contestataire, mais s’il est chasseur il se révèle en réalité être une composante de la France capitaliste. Le professeur gréviste peut s’imaginer rebelle, cependant le contenu de ses cours est entièrement formaté par l’esprit capitaliste par l’intermédiaire du ministère.
Et en général les Français peuvent éventuellement se dire contre le gouvernement ou le président, il n’en reste pas moins que 58% des ménages sont propriétaires de leur logement, ce qui les ramène immanquablement dans le camp de « l’ordre ».
Naturellement, cette question du logement relève aussi d’un besoin de « vivre bien » et ce qui est naturel est manipulé par le capitalisme. Cela ne change rien malheureusement au fait que les gens, idéalement, veulent un travail assuré pour le restant de leur vie et la propriété de leur logement, et que c’est leur seul horizon. Si le capitalisme peut ajouter à cela de la consommation sur Amazon et des vacances exotiques, des divertissements comme des séries toujours nouvelles et le moyen de mettre un peu de côté… c’est parfait.
C’est là qu’on voit que la vie privée et la vie au travail se confondent tout à fait pour les gens. Un couple, c’est toujours un projet de vie, avec l’achat d’un logement ou la gestion d’une propriété. Il y a une dimension calculatrice qui est vraiment prégnante. Cela fait que lorsque les gens travaillent, ils sont amenés à toujours raisonner plutôt en capitaliste, avec l’optique d’amasser du capital et d’investir.
Concrètement, rien n’est plus terre à terre qu’un Français de la fin du premier quart du 21e siècle. Tout est toujours soupesé et la dimension monnayable est toujours de la partie. Devant toute chose, le Français se demande : qu’est-ce que je vais bien pouvoir en faire?
Avec tout ça, on peut donc répondre à la question : comment les gens vont-ils se remettre en cause? En effet, ils ne vont pas se remettre en cause. Il n’y a que les faits qui peuvent les remettre en cause. Cela n’a rien de nouveau dans l’Histoire de l’Humanité : celle-ci a toujours été en retard, ses conceptions reflétant après coup un changement déjà lancé.
Néanmoins, on aurait pu se dire qu’au 21e siècle, l’humanité aurait plus de maturité, qu’elle saurait avoir de la distance sur elle-même. Eh bien, non. Et surtout pas dans une France qui est l’un des pays les plus riches du monde, avec des gens biberonnés au 24h sur 24 du capitalisme. Ce n’est pas la vie facile, toutefois c’est la vie dans les marchandises et c’est suffisant pour corrompre.
On ne modifie pas une corruption : celle-ci se brise, ou pas. Avec la crise économique commencée en 2020, la décadence des mentalités, la course effrénée à la guerre mondiale… Cette corruption va s’effacer. Mais cela ne sera pas une « remise en cause ». Ce qui fait que cela plus aisé pour les Donald Trump à la française, les gilets jaunes et autres nostalgiques, que pour nous qui voulons l’avenir.
Tant qu’il y aura une possibilité de confort, les Français resteront focalisés dessus. Et ils céderont aux sirènes du « retour en arrière » autant que possible.
Cela rend d’autant plus important la nécessité de prévoir un plan de recomposition de classe. Comment le prolétariat va-t-il se reconstituer comme classe à travers la crise? Comment faire en sorte que le processus réussisse, sans que la petite-bourgeoisie en perdition ou la bourgeoisie nationaliste n’entraîne avec elle des prolétaires encore largement corrompus?
Rien que la guerre occidentale contre la Russie montre bien comment la bourgeoisie sait employer des moyens indirects pour faire miroiter le retour d’une belle situation économique, par le renforcement de la puissance française à l’échelle mondiale. La bataille pour le repartage du monde est un vrai levier pour corrompre. C’est comme cela que même la classe ouvrière allemande a été corrompue dans les années 1930 par les nazis.
Le défi de la « remise en cause » qui n’en sera pas une va se révéler toujours plus exigeant, et il aura toujours plus d’ampleur. C’est une question fondamentale de notre époque !