L’heure est particulièrement grave pour les finances françaises, malgré l’incroyable silence médiatique. Non seulement la dette publique est abyssale (3 000 milliards d’euros au 31 mars 2023, selon l’Insee), non seulement la France produit moins de richesses que ce qu’elle doit à ses créanciers (la dette représente 112,5 % du PIB), mais en plus la France va avoir de plus en plus de mal à emprunter de l’argent pour faire face à ses dépenses.
Plus précisément, emprunter de l’argent coûte de plus en plus cher à l’État français. On parle de taux d’intérêt, dont la référence est l’obligation (OAT) à 10 ans (l’État emprunte une somme qu’il doit rembourser dans 10 ans). Jusque récemment, encore en 2021, il était systématiquement mis en avant des taux d’intérêt négatifs (une bizarrerie technique du système financier moderne) pour justifier tout et n’importe quoi. C’est maintenant de l’histoire ancienne.
En septembre 2023, le taux d’intérêt des obligations de l’État français à dix ans est de 3,3%, alors qu’il était de – 0,4% en janvier 2021. En deux ans et demi, cela fait une augmentation de 3,7 points. C’est littéralement un krach qui se dessine sous nos yeux. Il ne faudrait surtout pas s’imaginer pouvoir se rassurer en comparant avec les taux d’intérêt au 20e siècle (qui étaient plus élevés) : à l’époque, la France (et le capitalisme en général) ne vivait pas autant à crédit. La France n’a jamais été aussi dépendante que maintenant des marchés financiers.
Cela d’autant plus que la France n’est pas seule : elle est empêtrée dans la zone euro avec certains voisins tout aussi en difficulté, notamment en Italie, où le taux d’intérêt à 10 ans est de 4,5 %. Même en Allemagne, dont les comptes publics sont bien plus stables (et positifs), l’heure n’est plus à la fête au crédit. Finis les taux d’intérêt négatifs, l’Allemagne emprunte maintenant à 10 ans à 2,75 %.
Il faut bien se souvenir qu’il y a encore quelques mois, il a été rabâché qu’il n’y avait pas de crise, que les dettes des États européens n’étaient pas un problème, que ceux-ci étaient suffisaient solides pour emprunter de l’argent indéfiniment, et que d’ailleurs emprunter de l’argent ne leur coûtait rien. Mensonge !
La situation ne va faire que s’aggraver durant les prochains mois. L’inflation, qui plombe littéralement le capitalisme, est immense : proche de 6 % en France (et encore plus si l’on regarde uniquement l’alimentaire, qui est le véritable étalon). Cela n’aide en rien, et surtout cela empêche la Banque centrale européenne d’intervenir en trafiquant l’économie.
Jusqu’à présent, elle intervenait en baissant ses taux directeurs (les taux auxquelles les banques lui empruntent de l’argent, qui définissent ensuite directement tous les autres taux). Sauf qu’avec l’inflation, la Banque centrale européenne est piégée : si elle continue d’intervenir comme avant (avec des taux bas ou négatifs), elle fabrique encore plus d’inflation (en inventant de l’argent magique). Alors elle maintient et va maintenir des taux directeurs hauts (en tous cas plus élevés que ces dernières années), ce qui va continuer à pénaliser les États dans leur capacité de financement sur les marchés.
Le taux directeur de la BCE est supérieur à 4 % en septembre 2023, alors qu’il était encore à zéro il y a un peu plus d’un an. Personne n’imaginait une telle évolution il y a un an, alors que la BCE prétendait encore que l’inflation se stabiliserait. Fumisterie ou incompétence ? Toujours est-il que l’heure est grave pour le capitalisme, avec un risque de faillite généralisée de plus en plus évident.
La plus grande menace d’ailleurs vient de la contradiction existant au sein de la zone euro, avec d’un côté des pays en crise, mais avec des finances maîtrisées (l’Allemagne surtout), de l’autre des pays en crise et avec des finances totalement dans le rouge. Cet écart, qui se reflète surtout dans la capacité des États à emprunter de l’argent, crée un déséquilibre mortel pour la zone euro. On parle de spreads pour mesurer l’écart entre les différents pays : ceux-ci sont scrutés de près par les économistes (et surtout par les acteurs du marché financiers), car ils indiquent la cohérence économique, la stabilité, de la zone euro. Les spreads, notamment entre l’Allemagne et l’Italie, mais aussi entre l’Allemagne et la France (qui sont le moteur de l’Union européenne) montrent une zone malade et incohérente, avec un mélange de pays encore riches et relativement solides, et d’autres de plus en plus faibles, avec une économie (donc ici une capacité d’emprunt) relevant de plus en plus clairement du tiers monde.
De manière tout à fait pragmatique, les investisseurs, dont dépendent les États, se demandent maintenant jusqu’où les pays “sérieux” de la zone euro vont continuer à soutenir les pays malades. A l’époque de la crise de la dette de l’État grec, quand le pays avait été littéralement sauvé de la faillite par l’Union européenne (au prix d’une exploitation aggravée pour les travailleurs grecs), il s’agissait simplement de trouver 350 milliards d’euros. Aujourd’hui la dette publique italienne, c’est 2 800 milliards d’euros. La dette publique française, c’est 3 000 milliards d’euros. La donne n’est clairement pas la même.
Si la France était une entreprise, elle serait déjà en faillite. Elle va avoir de plus en plus de mal à trouver de l’argent pour assurer son train de vie monumental. Il suffit maintenant d’un rien pour que la machine déraille, comme nous l’avions vu depuis le début de la crise amorcée par la crise sanitaire de 2020. Les milliards d’euros tirés du chapeau pour sauver le capitalisme ne sont pas sans conséquence ; le système se retourne maintenant contre lui-même et est prêt à exploser.