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Refus de l’hégémonie

L’Arménie au bord de l’effacement avant le conflit gréco-turc

Le dénouement s’annonce meurtrier.

L’Arménie connaît une pression énorme, alors que l’Azerbaïdjan a repris ces dernières semaines le contrôle du Nagorny-Karabakh. Autour de 100 000 Arméniens, soit la quasi totalité de la population arménienne locale, ont fui. Désormais, ce qui se trame, c’est l’effacement de l’Arménie, avec un partage du pays par la Russie d’un côté, la Turquie et l’Azerbaïdjan de l’autre, dans le cadre inévitable d’un accord avec l’Iran.

On sait comment tout cela forme un « Orient compliqué » pour les Français, mais il n’est pas difficile de comprendre la carte suivante. Vous avez la Turquie et autour… il y a l’Ukraine, Israël et Gaza, l’Arménie et l’Azerbaïdjan… tous les foyers les plus chauds du moment.

Pour ceux qui veulent approfondir la question turque en tant que telle, il y a l’excellent article « La Turquie, maillon faible de la chaîne des pays dépendants« , qui en 2020 présentait justement la Turquie comme au centre de la nouvelle crise historique qui se joue. La guerre gréco-turque – avec la France alliée « secrète » de la Grèce – s’annonce comme inévitable.

Mais regardons la question arménienne, qui connaît son dénouement. Que restera-t-il de l’Arménie? demandions-nous en septembre 2022. On risque de le savoir très vite malheureusement.

Pourquoi cela? Parce que nous vivons l’époque du repartage du monde et que l’Azerbaïdjan a les moyens de continuer à déstabiliser la région. Son objectif est de parvenir à unifier géographiquement ses régions, une d’entre-elle se situant derrière l’Arménie. Et cela permettrait une jonction avec la Turquie, pays considéré comme frère suivant la théorie employée d’une nation, deux pays.

Quel est le scénario?

Cette unification de l’Azerbaïdjan passerait par tout d’abord la demande d’un « corridor de Zanguezour »… et dans la foulée il y aurait des affrontements militaires ; ce serait tellement le chaos que la Russie serait « obligée » d’intervenir pour agir en tampon…

L’Arménie perdrait des territoires dans le processus et ce qui en reste n’aurait plus qu’un choix pour exister : celui de rejoindre la Fédération de Russie.

Le plan est évident, au point que le premier ministre arménien Nikol Pachinian, de passage au Parlement européen à Strasbourg le 17 octobre 2023, a directement accusé la Russie d’avoir lâché l’Arménie. Depuis plusieurs semaines, il a en ce sens lancé des appels incessants aux pays occidentaux, au point qu’il est considéré du point de vue russe comme un nouveau « Zelensky » en puissance.

La tenaille Russie-Azerbaïdjan est, de fait, une réalité pour l’Arménie, c’est la bataille pour le repartage du monde, une liquidation des acquis de fraternité datant de l’URSS. On notera d’ailleurs que le président d’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, lors de son discours suite à la reconquête du Karabagh, a longuement salué l’époque passée de fraternité entre Arméniens et Azéris au Karabagh. Il était obligé de le faire en raison du prestige historique de l’amitié caucasienne.

Affiche soviétique arménienne des années 1930

Le contexte étant ce qu’il est, les autres puissances se mettent donc de la partie. La France s’est la première lancée et a répondu positivement à l’Arménie. Elle a décidé d’envoyer des armes, le ministre français de la Défense Sébastien Lecornu étant en processus de discussion avec son homologue arménien Suren Papikian. Quelles armes, c’est par contre secret défense, le ministre français ayant même refusé de répondre à ce sujet à des questions du Sénat en octobre 2023.

Le président d’Azerbaïdjan Ilham Aliyev a, en raison de cette vente d’armes, refusé de rencontrer Nikol Pachinian le 5 octobre 2023 à Grenade lors d’un sommet de l’Union européenne. De son côté, Nikol Pachinian a boycotté une réunion de la Communauté des Etats Indépendants, qui regroupe des pays de l’ex-URSS.

Ce qui a provoqué deux réactions. D’abord une déclaration commune du Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, du président du Conseil européen, Charles Michel, du président français, Emmanuel Macron, et du chancelier allemand, Olaf Scholz.

Ensuite, une réponse acide du président d’Azerbaïdjan Ilham Aliyev :

« Maintenant, cela soulève la question : l’Arménie veut-elle la paix ?

Je ne le pense pas, car si elle avait voulu la paix, elle n’aurait pas manqué cette occasion.

Le Premier ministre arménien prend six heures de vol pour Grenade et participe à une réunion incompréhensible où l’on discute de l’Azerbaïdjan sans qu’elle y soit présente, mais il ne peut pas voler pendant deux à trois heures jusqu’à Bichkek [au Kirghiztan]. Il a mieux à faire apparemment. »

Car l’Azerbaïdjan sait que les pays occidentaux sont… loin, très loin. La presse azerbaïdjanaise se moque ainsi de la France et de l’ambassadeur Olivier Decotigny, reprenant les discours anti-occidentaux de la Turquie et de la Russie.

Les pays occidentaux ne peuvent que jouer les trouble-fêtes, et d’ailleurs ils n’ont aucun autre objectif concernant l’Arménie. Ce pays passe par pertes et profits dans les calculs impérialistes. Comme d’ailleurs au final tous les pays dans le cadre de l’affrontement entre les superpuissances américaine et chinoise, la seule vraie actualité.