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Refus de l’hégémonie

Sahra Wagenknecht et l’économie de guerre allemande

Contre la guerre, éviter le piège nationaliste.

La démarche de Sahra Wagenknecht en Allemagne a ceci de pertinent qu’elle se confronte ouvertement avec la marche à la guerre des deux superpuissances, américaine et chinoise.

Il faut bien comprendre qu’économiquement, la première victime du conflit militaire Russie-Ukraine du côté des pays riches est l’Allemagne, son satellite autrichien y compris. Toutes les économies des principales puissances ont été torpillées par la crise commencée en 2020. Mais l’initiative russe a fait de l’Allemagne un maillon faible, comme celle-ci s’est alignée sur la superpuissance américaine.

Sahra Wagenknecht a indubitablement compris que les masses allemandes allaient protester contre la situation et que le grand risque était celui d’une situation comme celle des années 1930, où c’est le nationalisme qui l’emporte. C’est le cas en Autriche, où la Gauche a acquis une position très marquée contre le capitalisme, mais reste dans l’ombre d’une extrême-Droite assumant d’être contre la guerre à la Russie.

Sa ligne est donc de former un mouvement de masse, afin de bloquer l’extrême-Droite et de permettre une initiative de masse sur une base sociale.

« Ses propres intérêts et la paix au lieu de la fidélité vassalisée et la confrontation »

Voici un long extrait du document d’analyse proposée par le mouvement « Aufstehen » (se lever, se soulever) lancé par Sahra Wagenknecht. Ce document fait partie des éléments constitutifs du parti qu’elle met en place fin octobre 2023.

On y trouve des points essentiels de la vision de Sahra Wagenknecht sur la guerre et la situation allemande.

« L’espoir de nombreux électeurs qu’un gouvernement dans lequel davantage de partis de gauche seraient représentés, et qui remplacerait ainsi le gouvernement conservateur en tant que représentant de l’élite, s’est rapidement évanoui.

Depuis le début de la guerre [entre la Russie et l’Ukraine], le gouvernement de coalition, contrairement au reste du monde, a complètement mis de côté les intérêts nationaux par rapport au capital américain et a déguisé moralement son action en opération d’aide à l’Ukraine.

Au lieu d’œuvrer dès le début à une solution diplomatique (le début remonte à 2014 au plus tard), des armes et de l’argent sont fournis sans cesse.

Le chancelier [social-démocrate Olaf] Scholz a amorcé un tournant. Aujourd’hui, c’est la confrontation qui remplace la détente.

La guerre actuelle a été déclenchée par la Russie. Si on veut y mettre fin, on ne doit pas mettre de côté ce qui a précédé.

En toute allégeance aux États-Unis et à nos dépens, la coalition, avec de prétendus objectifs moraux, vise uniquement à écraser la Russie ([référence aux propos de la ministre des affaires étrangères, écologiste, Annalena] Baerbock) et, si possible, à parvenir à un changement de gouvernement dans ce pays.

Surtout, les sanctions et l’embargo pétrolier ont amené notre économie au bord de l’effondrement dans de nombreux domaines et déclenché une vague sans précédent de « fierté coupable » ([l’expert du proche et moyen-orient Michael] Lüders = aveu d’actes répréhensibles contre la Russie avant la guerre).

Ceux qui sont au pouvoir parlent ainsi toujours sous la forme du « nous » et exigent que nous, les contribuables, acceptions la réduction de notre propre « prospérité » par solidarité avec l’Ukraine. Une majorité est pourtant depuis longtemps opposée au prolongement d’un soutien militaire.

Ces sanctions visaient à priver la Russie de sa base financière, même si les importations de pétrole n’ont pas encore été sanctionnées. Dans une obéissance prématurée, [le ministre de l’économie, écologiste, Robert] Habeck les a arrêtés, causant d’énormes dégâts à notre économie.

En tant que société, nous sommes simplement accaparés et, selon lui, nous devons supporter les difficultés.

Le suicide économique et social dû à une augmentation incommensurable des coûts n’a jusqu’à présent fait que prolonger les morts des deux côtés du front dans la guerre injustifiée de la Russie contre l’Ukraine, mais a causé bien moins de dégâts à l’économie russe qu’à la nôtre.

Mais « nous sommes les bons » ! La propagande de guerre s’accompagne d’une autoglorification morale et d’une perte du sens des réalités.

Bush, Reagan, Clinton et Obama ont mené des guerres comme étant du « bon côté ». C’est pourquoi les sanctions n’ont même jamais été ne serait-ce qu’envisagées.

Ainsi, de l’accord de coalition, peu a été mis en œuvre. « Oser faire plus de progrès », tel est le titre du document de 178 pages, empruntant évidemment à la déclaration gouvernementale de Willy Brandt en 1969, dont le slogan était « Oser plus de démocratie ».

A quoi ressemblent ces progrès ?

Avec le début de la guerre en Ukraine, notre économie est entrée dans le déclin.

L’interdiction d’importer du pétrole et du gaz naturel russes a poussé l’économie à ses limites, à l’exception de l’industrie militaire, qui est en plein essor grâce à l’injection de 100 milliards.

Lorsque le pays est entré en récession, le taux d’inflation a parfois dépassé 10% et s’élève au 23 juillet à 6,4%, même s’il dépasse encore 11% pour l’alimentation.

Cela touche particulièrement les groupes à faible revenu, déjà défavorisés.

Malgré une baisse significative des ventes de produits alimentaires, les bénéfices des leaders de l’industrie ont augmenté grâce à des prix abusifs criminels.

Cela signifie que les bénéfices vont aux riches, tandis que l’augmentation des coûts affecte particulièrement la population la plus pauvre.

La demande intérieure a été considérablement ralentie et, tout comme la baisse des exportations, elle a un impact sur la conjoncture négative.

Compte tenu de la hausse des prix des denrées alimentaires allant jusqu’à 20%, le flux vers les banques alimentaires a considérablement augmenté et, dans certains cas, a doublé. de sorte que des arrêts d’admission et des réductions de quantité dans la distribution ont été nécessaires.

C’est une impudence de la part du pouvoir que de confier la prise en charge de la « partie de la population laissée pour compte » à des associations organisées et financées par le secteur privé, sans leur apporter le soutien financier approprié !

En Allemagne, plus de deux millions de personnes dépendent désormais de l’aide alimentaire. Le besoin est probablement encore plus grand, car de nombreuses banques alimentaires ont cessé de les accepter.

Les dividendes des actionnaires ont cependant augmenté. De moins en moins de bénéfices sont restés dans l’entreprise, de plus en plus sont allés aux propriétaires (…).

Notre économie est en récession « technique » depuis le printemps 2023.

La production économique (produit intérieur brut, PIB) a diminué tant au quatrième trimestre 2022 qu’au premier trimestre 2023. Et les perspectives ne se sont pas améliorées depuis.

L’Allemagne connaît cette année la pire situation parmi toutes les grandes économies. Et ce sera probablement la seule grande économie à connaître une contraction. Cela veut dire : le FMI s’attend à une récession pour l’Allemagne.

L’industrie chimique en particulier s’est affaiblie, car les sanctions pétrolières et gazières y ont eu un impact particulier, mais aussi les secteurs des machines-outils et de l’électrotechnique.

Contrairement aux « citoyens normaux », l’économie allemande peut fuir. Une entreprise sur cinq envisage de délocaliser sa production à l’étranger.

Les petits fournisseurs qui ne peuvent pas déménager avec nous seront conduits à la ruine !

Il y a également un exode de travailleurs qualifiés. Environ 1,2 million de spécialistes bien formés et pour la plupart hautement qualifiés ont émigré en 2022.

Le budget fédéral 2024 prévoit des économies dans presque tous les domaines afin de pouvoir financer les dépenses d’armement et de guerre tout en respectant le frein à l’endettement (…).

La démocratie occidentale actuelle est une démocratie d’élite. Elle ne repose pas sur une volonté unifiée de la société, car la société est divisée en raison de différents intérêts économiques et de différentes visions du monde quant au développement.

Les élites comprennent des personnes qui ont beaucoup de pouvoir et qui, socialement, proviennent presque exclusivement des classes les plus riches et les plus capitalisées.

Leur attitude face aux inégalités sociales est essentiellement façonnée par leurs origines sociales exclusives et homogènes : c’est la base de leur pouvoir et de la mise en œuvre des politiques néolibérales !

Cependant, il n’existe pas une élite fermée, mais plutôt différents groupes d’élite, généralement liés les uns aux autres par leurs origines sociales.

Ils vivent dans un monde parallèle depuis leur naissance et ont une culture, une éducation et des opportunités de carrière communes. Cela signifie qu’ils fréquentent des écoles privées d’élite, étudient dans des collèges et universités (privés) d’élite et ont donc déjà un lien avec l’élite au pouvoir. »

Sahra Wagenknecht veut couper l’herbe sous le pied du nationalisme ; le faible niveau politique l’amène à lancer une initiative « sociale » avant tout, mais autour de principes bien circonscrits, comme la paix, le refus de l’OTAN. C’est là ce qui la distingue fondamentalement de gens comme Jean-Luc Mélenchon en France, dont le populisme est sans bornes aucune.