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Le projet de parti de Sahra Wagenknecht

Vers un nouveau parti vraiment à gauche en Allemagne.

Le 23 octobre 2023 lors d’une conférence de presse à Berlin, c’est la députée Amira Mohamed Ali membre de « Die Linke » (La Gauche) qui a annoncé le départ de ce parti de toute une série de cadres, à la suite de Sahra Wagenknecht.

Voici les points essentiels.

1. L’extrême-Droite, concurrente et pas seulement ennemie

Les médias français, qui reprennent le discours de leurs équivalents allemands, assimilent Sahra Wagenknecht à une « populiste » au discours conservateur sur le plan des valeurs et social sur le plan économique. C’est naturellement totalement faux.

Sahra Wagenknecht a évidemment souligné qu’il ne s’agissait pas du tout d’aller dans le sens de l’AfD (le parti d’extrême-Droite allemand), avec qui aucune alliance n’est bien sûr possible. L’AfD, c’est la Droite. Sahra Wagenknecht c’est la Gauche. Le clivage est assumé.

Seulement, l’AfD a une capacité d’intervention dans les masses et il faut en prendre compte. Il y a une bataille pour les masses qui se mettent en colère, et il faut la gagner. Sinon, ce sera un désastre.

Ici, on comprend bien à l’arrière-plan l’horrible expérience des années 1930, où l’extrême-Droite a concurrencé avec succès, tragiquement, la Gauche allemande divisée.

2. Par la Raison

Les quatre mots d’ordre mis en avant lors de la conférence de presse sont « Raison », « Paix », « Liberté » et « Justice » ; toute la conférence de presse a tourné autour de la logique selon quoi il faut revenir à la « raison ». C’est ce qu’attendent « les gens qui travaillent dur, mais sont mis de côté par la politique ».

Il ne s’agit pas de proposer une ligne populiste, mais de rappeler à la raison, systématiquement. Les gens voient leur situation sociale devenir catastrophique, ils commencent à se mettre en mouvement. Ils basculent dans la démarche de l’extrême-Droite, par manque de perspectives, il faut donc être à la hauteur.

L’objectif est l’implication des gens dans des propositions politiques, sociales concrètes. Il n’est pas difficile de voir ici le parallèle historique avec le Front populaire en France, qui avait justement comme principe d’exiger de manière ininterrompue la raison contre l’irrationalisme fasciste (rappelons que le Front populaire avait consisté en l’unité des communistes, des socialistes et des radicaux).

3. La base sociale

Justement, de manière parallèle au Front populaire, le projet de Sahra Wagenknecht se veut une unité populaire. Alors que dès sa prise de parole, elle a souligné la situation de « crise mondiale », elle propose ni plus ni moins qu’une union des couches populaires et des classes moyennes contre les monopoles multinationaux.

Sahra Wagenknecht parle en ce sens beaucoup de relancer la compétitivité allemande : son discours ne se veut pas en rupture, il se propose comme « protecteur » si l’on veut. D’une certaine manière, on peut dire qu’elle cherche à faire une proposition de sortie raisonnable à une situation de stress massive des classes moyennes.

4. L’évaluation de la situation allemande comme point de départ

L’initiative de Sahra Wagenknecht ne doit rien au hasard : c’est la rencontre de la tradition de la Gauche historique en Allemagne et d’une situation de rupture économique et sociale provoquée par la guerre en Ukraine.

Les choses sont présentées de la manière suivante. « Comme sont les choses, elles ne peuvent pas continuer » : si cela continue, dans dix ans l’Allemagne sera méconnaissable en raison de la désindustrialisation.

L’Allemagne applique en effet les sanctions contre la Russie de manière maximale ; or, toute son industrie dépendait des ressources énergétiques russes. Tout le système social allemand s’effondre.

Cela va de pair avec une fuite en avant militariste, où il est prétendu que fournir des armes à l’Ukraine permettrait de mettre fin au conflit. Et l’extrême-Droite se propose comme solution.

Il faut donc une Gauche qui soit capable de proposer une perspective : c’est le sens de la rupture avec « Die Linke ».

5. La rupture avec « Die Linke »

« Die Linke » a échoué à former une opposition de gauche à la coalition gouvernementale (qui unit les socialistes, les écologistes et les libéraux). C’est le constat fait à la conférence de presse.

Il n’a pas été rappelé pourquoi, mais Sahra Wagenknecht est connue depuis plusieurs années pour rejeter la ligne de « Die Linke » qui est de se tourner uniquement vers des minorités urbaines et cosmopolites qui sont coupées de la vie réelle.

Autrement dit, elle dénonce la Gauche bobo. Et elle propose de fonder un parti vraiment de Gauche. Pour faire un parallèle en France, on peut penser à ce que fait Fabien Roussel avec le PCF, sauf que Fabien Roussel assume un côté beauf, et que ce n’est pas du tout la position de Sahra Wagenknecht.

Le style de Sahra Wagenknecht, c’est clairement le style social-démocrate de 1910, qu’on connaît en France souvent uniquement par Rosa Luxembourg. C’est maîtrisé, cadré, ultra-réfléchi, voire « doctrinaire » du point de vue français.

6. Le nouveau parti

Il y a d’abord la mise en place d’une nouvelle structure, « Bündnis Sahra Wagenknecht » (Union Sahra Wagenknecht). Pour l’anecdote qui n’en est pas une, Sahra Wagenknecht se prononce « Sara Vaguénknéchtte ». Son prénom s’écrit ainsi car il est arabe (son père est iranien) et signifie « rester la nuit à veiller quelqu’un ».

Cette Union est la première étape pour fonder un nouveau parti en janvier 2024, qui se présentera aux élections européennes dans la foulée.

Cette Union n’est pas encore un parti ; elle ne prendra d’ailleurs pas d’adhérents. Elle est une sorte de sas pour la mise en place du nouveau parti, de manière lente et organisée.

Il ne s’agit pas de viser un parti de masse, mais un parti qui se tourne vers les masses. Ici, on en revient à l’approche social-démocrate, à l’approche de la Gauche historique.