Initialement, les titres restaurant, sont une aide au repas du midi de la part d’entreprises qui ne fournissent pas un service de restauration, mais qui veulent proposer quelque chose aux employés. Il était donc prévu de les dépenser dans un restaurant, ou bien un snack ou une boulangerie, lors d’une pause repas.
Le principe est que l’entreprise paie la plus grosse partie du titre et l’employé n’en paie qu’une petite partie. Ainsi se fait l’aide, mais donc directement pour le repas de la pause lors des jours travaillés. Les « tickets resto » ne peuvent être octroyés que pour les jours effectivement travaillés et avec une pause repas (pas seulement une coupure) ; il n’y a donc pas de titres restaurant délivrés pour les jours de congé ou d’arrêt maladie.
Les restaurateurs ont beaucoup apprécié ce principe. En effet, les détenteurs de ces « tickets resto » y voyaient une sorte de bons gratuit pour le restaurant et se permettaient des repas qu’ils n’auraient pas pris avec leur propre salaire. D’ailleurs, il y avait parfois l’idée de devoir liquider ses « tickets resto » avant qu’ils ne périment, et donc encore plus l’idée d’un repas pas cher, qui n’aurait pas été pris autrement. Cela a largement profité aux petits restaurants surtout, c’est-à-dire des fast-food et autres kebab.
On peut dire déjà qu’à l’origine, ces titres restaurants ont été un cadeau empoisonné, car encourageant la malbouffe.
En raison de la crise et particulièrement de l’inflation, il y a eu toutefois un grand changement. En 2022, une loi a permis l’utilisation de ces titres restaurant pour l’ensemble des courses alimentaires. En fait, il y avait déjà l’habitude prise par certains de payer une partie de ses courses avec ces titres, mais cela pouvait s’avérer très aléatoire en raison du fait que seuls les produits prêts à manger étaient pris en compte.
Avec cette loi, cela devenait beaucoup plus facile et cohérent de se servir de ces titres lors de ses courses, car tout l’alimentaire est devenu directement éligible. Par exemple, le sel et le poivre, l’huile d’olive, le beurre de cacahuète, la farine, etc.
Parallèlement se sont développés les cartes à puce (type carte bancaire) en remplacement des tickets classiques, détachables dans un carnet type chéquier.
Ces derniers avaient en effet le grand inconvénient d’être plafonnés par en haut et par en bas. C’est-à-dire qu’avec un ticket d’une valeur de 9 euros, il fallait forcément avoir une note supérieure, au risque de perdre la différence. Et inversement, il fallait faire le complément directement pour une somme supérieure. Cela était peu pratique à la caisse, alors que cela restait acceptable au restaurant (avec cette idée d’un ticket de réduction).
Avec les cartes de titres restaurant, c’est beaucoup plus simple : le plafond maximal est de 25 euros par jour (sauf jours fériés) et on utilise directement le crédit utile.
Si on fait 14 euros et 22 centimes de courses, on paie directement avec sa carte « tickets resto », et ce sans contact qui plus est. Si l’on fait 74 euros de courses, on paie d’abord 25 euros avec la première carte (sans contact) puis 49 euros avec la carte bancaire habituelle (toujours sans contact). C’est simple et rapide.
Ainsi, les titres restaurant ont largement changé de nature. D’une aide, tel un service concernant les pauses repas au travail, ils sont devenus directement un élément de rémunération.
En 2023, plus de la moitié des sommes titres restaurant sont utilisées ainsi.
La dérogation pour l’éligibilité de l’ensemble des produits alimentaires aux titres restaurant devait prendre fin en janvier 2024, mais cela a été repoussé. Il a donc été officiellement et durablement entériné cette utilisation détournée des titres restaurant, qui va se généraliser.
Maintenant, venons-en à la question des salaires et de leur baisse. C’est très simple : avec une rémunération normale, il y a un salaire dit brut, qui est le vrai salaire, ainsi qu’un salaire net, qui correspond à la somme que l’on reçoit sur son compte en banque.
Avant, jusqu’au début des années 2000 peut-être, les ouvriers et les employés avaient une conscience sociale élevée en France. Ils connaissaient très bien le salaire brut et considéraient que la différence avec leur salaire « net » leur revenait, comme salaire socialisé, différé. Les cotisations et contributions salariales obligatoires étaient considérés comme un acquis et une chose à défendre.
Après les années 2000, le capitalisme s’est tellement développé, il est tellement devenu un rouleau compresseur faisant que tout est marchandise et consommation, que cette conscience du salaire brut a disparu. Seul compte donc le « net », que l’on peut dépenser soi-même en tant que consommateur. Le salaire « brut » est quant à lui considéré comme une chose étrange, à laquelle on ne s’intéresse pas, si ce n’est pour critiquer « l’État » qui « se sert ».
Si on faisait un référendum en 2023 pour demander aux salariés s’ils veulent la disparition du salaire brut en le transformant en net à payer, pratiquement tout le monde serait pour ! Ce serait bien sûr une grande catastrophe sociale, mais personne n’en aurait conscience et il serait très dure de convaincre du contraire.
Eh bien c’est exactement ce qu’il se passe avec les titres restaurant. Puisqu’ils servent maintenant à faire ses courses, il sont devenus directement un élément de rémunération. Et c’est une rémunération brute, sans cotisation sociale ni prélevèrent obligatoire.
Il ne faut pas regarder que du côté du salarié. Pour l’employeur également, cela change la donne : il y a des charges à payer à côté d’un salaire brut, pas pour des titres restaurant (ou très peu) !
On ne parle pas ici de sommes anecdotiques, mais de 150 euros à 250 euros par mois. C’est extrêmement conséquent dans la rémunération.
Les titres restaurants sont donc du salaire défiscalisé, échappant largement aux cotisations sociales. C’est un moyen pour le capitalisme de baisser directement les salaires (en n’augmentant pas suffisamment en raison de l’inflation) tout en le cachant à court terme avec une rémunération nette qui semble faire l’affaire.
Même s’ils ne servent plus à aller au kebab ou au tacos, c’est encore un cadeau empoisonné !
Ainsi, les titres restaurants sont un moyen de la grande restructuration économique dans le cadre de la crise du capitalisme. Il s’agit d’augmenter la pression sur les ouvriers et les employés, pour garantir les bénéfices capitalistes ; la baisse des salaires est une forme incontournable de cette pression.