Les Français tendent toujours à l’océan, où qu’ils soient dans le pays. Ce n’est pas le même océan qui les attire ; on ne trouve pas le même esprit dans le ciel de Biarritz et celui de la Normandie, sur les plages de Bretagne ou de la Côte d’Azur. Mais la France est indissociable de sa vaste côte bleue et Baudelaire ne sera jamais oublié dans le pays rien que pour son mot si français dans l’esprit : « Homme libre, toujours tu chériras la mer ».
La réouverture du Musée de la Marine à Paris se devait donc d’être à la hauteur de la tradition. Situé sur la place du Trocadéro, à deux pas de la Tour Eiffel, ce Musée est d’ailleurs une version amiral, puisqu’il en existe également à Port-Louis en Bretagne, Rochefort, Brest, Toulon. Et au bout de six années de travaux, le résultat est en effet là : le musée est massif, extrêmement rempli d’objets souvent grands, prêts à frapper les esprits.
Le drame, c’est qu’il n’y a aucun charme, contrairement à la version précédente qui profitait du charme suranné d’un certain romantisme qui, pour aussi passéiste qu’il était, avait le mérite d’être historique. Désormais, le capitalisme est passé par là et même le romantisme marin national-agressif, dont la principale figure était les corsaires, a disparu.
Le Musée est désormais indubitablement et unilatéralement une oeuvre idéologique, visant à légitimer, par une savante disposition du parcours, une avancée de l’histoire marine française dont l’aboutissement seraient un porte-avion et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins – on parle ici de missiles nucléaires.
Le discours d’Emmanuel Macron pour l’ouverture, fin novembre 2023, reflète le caractère forcé de la démarche, qui ne manque pas de sauter aux yeux lorsqu’on visite le musée. Lorsqu’il souligne qu’il y aura la guerre sur l’océan au 21e siècle, il donne la clef de la nature et de la fonction du musée, qui dispose par ailleurs de multiples salles pour conférences et ateliers à vocation propagandiste.
De manière cocasse, on notera l’anecdote que le musée abrite au milieu d’innombrables objets sur le thème du sauvetage en mer, un gilet de sauvetage de SOS Méditerranée, l’ONG de la bourgeoisie « de gauche » qui accompagne l’émigration forcée depuis le tiers-monde pour disposer d’une main d’oeuvre corvéable à merci. Ne manquent plus que les drapeaux de l’Otan et LGBT.
Militarisme et apparence démocratique se côtoient donc dans une sorte de syncrétisme très mal ficelé ; l’endroit est aussi propre et vaste que sans âme et froid. Même les tableaux représentant la vie des marins semblent avoir été placés dans le musée de manière purement symbolique, parce qu’il le fallait bien.
Ceux qu’on peut voir ont un intérêt d’ailleurs plutôt naturaliste, avec un goût facile pour le pittoresque, le facile. On notera toutefois un tableau dont il est dommage de ne pas disposer d’une photo de qualité. A la mer, triptyque de 1902 d’Albert Guillaume Desmarest est en effet à remarquer. La vieille mer dit au revoir à son fils, celui-ci meurt en mer, et c’est le cercueil qu’elle récupère. Un reflet terrible de la vie si précaire des marins, à laquelle on trouve une simple allusion dans le musée, de par la dimension anti-populaire. Le public visé, c’est celui des adultes appréciant les catamarans et des enfants fascinés par les bateaux de guerre. La France, moisie, ne peut pas viser mieux.
Le Dîner de l’équipage de Julien Le Blant, de 1884, est également très intéressant. On reconnaît toutefois facilement le problème fondamental. La mer, en France, c’est historiquement celle de l’armée obsédée par ses faits d’armes et celle d’activités de pêche artisanale très difficiles et ainsi très marquées par la religion catholique. On retombe, qu’on le veuille ou non, très aisément dans la logique historique de la bourgeoisie.
Il faut utiliser les grands mots et le dire : sans révolution culturelle dans le rapport à l’océan, les Français résument celui-ci à des bords de plage, du poisson à manger, des catamarans et des bateaux de guerre. Il y aura bien des gens pour s’intéresser à la dimension scientifique, mais cela reste soumis aux impératifs « nationaux ». Quant à la Nature, elle est réduite à quelques peluches dans la boutique finale du musée, très riches bien sûr en multiples habits et gadgets marins à la française, hors de prix comme il se doit.
En fait, le musée est à l’image de la France : dépassé et forcé, il est condamné à être refait. Heureusement, la solution, elle est très simple. Lorsque le drapeau rouge flottera, il faudra refaire tout le musée en se fondant sur 20 000 lieux sous les mers. Voilà une porte d’entrée historique française et une porte de sortie vers la compréhension à la fois scientifique et sensible de l’océan.