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Vie quotidienne

Même Noël est devenu moche

Dans l’imaginaire, Noël c’est encore l’image d’Épinal de la personne arpentant les boutiques et scrutant les vitrines à la recherche du cadeau idéal pour chacun de ses proches. Ce serait une ambiance, chaleureuse et réconfortante ; ce que d’aucun nomment la « magie » de Noël.

En pratique, cela est de moins en moins vrai. Le capitalisme n’en finit plus de tout lessiver et même Noël est devenu moche. Le problème n’est pas tant que Noël n’est plus une fête populaire et familiale, mais d’abord et surtout une orgie de consommation. Cela fait déjà longtemps que c’est comme ça, au moins 30 ou 40 ans.

Viggo Johansen, Glade jul (1891)

Le problème, c’est que même cette orgie de consommation n’a pratiquement plus de valeur, plus aucune « magie ». Le comble en effet, c’est que Noël consiste maintenant bien plus en une ruée vers les points relais pour retirer des objets commandés à la chaîne sur internet.

On ne choisit rien, on colle à des listes, comme pour les enfants gâtés. Une tireuse à bière pour lui, un sèche cheveux connecté pour elle. Une PlayStation 5 pour un autre qui s’identifie comme un gamer, un K-way horriblement cher pour une autre qui se rêve bobo.

Alors on part au plus pressé sur internet, en s’imaginant parfois faire une bonne affaire grâce aux prix agressifs de certaines plateformes sur certains produits d’appel. Plus de boutiques à faire donc, simplement du temps, beaucoup de temps sur internet, puis la queue dans des points relais bondés et débordant de colis jetés en vrac, sens dessus dessous.

Les cadeaux ne voyagent plus dans la hôte en osier du Père Noël (historiquement mis en avant par Coca Cola d’ailleurs), mais dans la hotte en tissu délavée et trouée du livreur pressé qui balance ça à la chaîne, de boutique point relais en boutique point relais.

Les commerçants se rendent alors compte alors qu’ils ne sont plus des commerçants, mais des supplétifs mal rémunérés des plateformes en ligne. Quelques centimes par colis ! Certains râlent un peu pour passer leurs nerfs et la presse locale ou nationale, papier ou internet, télé ou radio, est très contente de relayer ça. « Les points relais d’Avignon débordés », « Nancy : à l’approche de Noël, les relais colis saturent », « On ne sait plus où donner de la tête », etc.

Le Télégrame raconte très bien cette scène devenu typique :

« Des colis par terre, des colis sur le guichet, par dizaines. Il en arrive quasiment une centaine par jour au bar La Barrière à Saint-Martin-des-Champs (29) et une grande pièce leur est aménagée. En fin de matinée, ce mercredi, un flux incessant de clients va et vient. En cinq minutes, trois d’entre eux réclament un colis. Et malgré un large sourire affiché, les trois employés se marchent dessus et ne s’arrêtent jamais. »

Les prévisions de La Poste pour la période du Noël 2023, c’est 106 millions de Colissimo, en hausse de 6 % par rapport à 2022. Pour Chronopost (filiale de La Poste), c’est 50 millions (+12%) dont la moitié en point relais.

Du coté de Mondial relay, spécialiste de la livraison en point relais avec 12 000 commerçants affiliés en France, ainsi que 4000 armoires « Lockers », 1 500 intérimaires ont été recrutés pour la période. La plateforme flambant neuve de Harnes près de Lens (Pas-de-Calais), fleuron affiché du groupe, évoque jusqu’à 400 000 colis traités par jour contre 250 000 en temps normal.

Il y aussi DHL, UPS, Relais colis, Fedex, GLS. Et puis il y a Amazon qui gère directement une grande partie de ses acheminements. Ce sont des dizaines de millions de colis qui s’amoncèlent, dans une course effrénée et aliénée à la consommation.

Voilà à quoi ressemble le capitalisme absolument généralisé et systématisé à notre époque. Il n’y a plus aucune saveur, il n’y a même plus vraiment de Noël ; il est grand temps de renverser la vapeur, d’instaurer de nouvelles valeurs.

Là c’est vraiment flagrant : le capitalisme a gagné, et donc… il a perdu. Il n’a plus de contenu du tout, il tourne sur lui-même.