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Rapport entre les classes

Le contrôle bourgeois du style des villes

Des journalistes avaient demandé à ChatGPT la perception d’eux que donnaient les habitants de plusieurs villes. ChatGPT est, comme on le sait, un supercalculateur; il prend des données partout où il peut, il compile, il mélange, il associe, et il résume. Il fournit toujours une réponse pleine de consensus, neutralisant toutes les contradictions, en faisant en sorte que cela soit conforme à l’idéologie dominante et que personne ne soit choqué. Et voici ce que cela donne.

Parisarrogants
Lillediscourtois
Lyonbourgeois
Nantesbobos
Bordeauxsnobs
Marseilleimpulsifs
Toulousenonchalants
Cannessuperficiels
Niceélitistes

Ce qui est très dérangeant dans ce tableau, c’est qu’il est tendanciellement juste. ChatGPT n’est pas un programme intelligent, on a juste à faire à un nombre immense de données, et le programme compare, prend ce qui est majoritaire et le recrache. Et c’est là qu’on s’aperçoit du poids gigantesque du style bourgeois propre à chaque ville.

Au-delà des contradictions de classe, il y a un style à chaque ville, car les gens vivent ensemble. Mais normalement, les contradictions de classe devraient agir sur ce plan malgré tout. Or, en France, il n’y a rien de tout cela. Il y a dans chaque ville un style dominant et il est accepté tel quel, il est repris tel quel. C’est qu’il faut bien vivre et on s’adapte. Pour autant, on devrait constater que les luttes de classe déchirent l’équilibre donnant naissance au style urbain. Ce n’est pas le cas.

La marque Sézane est emblématique du style parisien dominant, bobo sans audace

Il ne s’agit pas du tout de prôner un contre-style imaginaire. Cela ne marche pas. Le PCF a d’ailleurs tenté de le faire dans les années 1920-1930 avec le style ouvrier à béret. Comme cela n’a pas marché, il a fini par accepter les conventions dominantes pour contribuer à la mise en place du Front populaire.

Pour autant, il y a un problème à ne pas voir de contradiction de classe jouer au niveau des villes. C’est d’ailleurs très français. On sait comment, dans de nombreuses villes d’Europe, il y a deux clubs de football, avec une différence de classe au niveau de l’attirance et du style (Inter et AC à Milan, City et United à Manchester, Sparta et Slavia à Prague, Rapid et Austria à Vienne, etc.). En France, cela n’a jamais été le cas.

Cela a certainement comme source que les villes d’importance, en France, sont peu nombreuses, qu’elles centralisent beaucoup et qu’il y a une telle richesse d’activités que tout le monde est emporté dans l’élan, dans le style urbain local. C’est en tout cas un sujet d’importance.

Il faut ici remarquer plusieurs choses. En Allemagne, ou même en Italie, la Gauche est historiquement organisée dans tout le pays, également dans les zones isolées – qui ne le sont pas tant que ça, en raison du maillage important des petites villes. On n’a rien de tout cela en France.

Un problème en découle. La Gauche a un style bien différent dans chaque ville importante, avec des mentalités différentes, des types d’action très différents. Il n’y a pas d’unité, pas d’action politique d’envergure nationale. Une telle action n’existe que pour les campagnes électorales. Il y a là un vrai souci, cela empêche de générer quelque chose qui ait un niveau réel.

Il n’y a pas non plus de communication réelle entre la Gauche des différentes villes. C’est comme si on avait différents petits royaumes. A Nantes et Paris, les anarchistes peuvent casser des vitrines comme ils veulent et s’imaginer les rois du monde, ils ne le peuvent que parce que localement on le tolère pour pacifier. Pendant ce temps-là, à Marseille, la Gauche n’existe pas, alors qu’à Lyon elle est tout à fait en phase avec le style bourgeois prenant de haut.

La question du style des villes est d’une grande signification. Le 24h sur 24 du capitalisme uniformise les styles, mais en même temps il y a une hégémonie de la bourgeoisie adaptée à chaque situation locale. Tant que les verrous ne sont pas brisés à ce niveau, il y a un poids immense qui joue sur les mentalités.

Comment le Socialisme, comment la Révolution vont-ils se frayer un chemin? Cela ne viendra pas tout seul, pas du tout. Il faut trouver les solutions, et les mettre en pratique. C’est une composante de la grande bataille pour la recomposition du prolétariat en tant que classe, dans le contexte de la crise du capitalisme et de la tendance à la guerre.