Dans pratiquement tous les pays occidentaux, les écologistes et les socialistes sont devenus les plus fervents partisans de la superpuissance américaine et de l’Otan. Cela peut sembler paradoxal, mais la raison est simple. Ces partis sont la version de gauche du mode de vie capitaliste, ils existent par la stabilité du capitalisme. Comme ils existent par cette stabilité, ils se mettent à exister pour elle.
Si pour maintenir le capitalisme social il faut maintenir le capitalisme en assumant la guerre, alors ces gens l’assument.
On a ainsi le chef du Parti travailliste britannique qui vient de tenir des propos macabres. On ne parle pas ici de quelqu’un issu de la bourgeoisie : Keir Starmer vient d’une famille où il y avait quatre enfants, son père était ouvrier, sa mère infirmière, il a vécu dans une toute petite ville en périphérie de Londres. Son prénom fait référence au premier député travailliste, lui-même a été un cadre trotskiste dans sa jeunesse.
Le 12 avril 2024, donc, il a accompagné le secrétaire d’État britannique à la défense John Healey sur le chantier naval de BAE Systems à Barrow. C’est là-bas que sont construits les sous-marins d’attaque nucléaire britannique. On lui a demandé s’il était prêt à appuyer sur le bouton rouge, et il a répondu que « la dissuasion nucléaire est la menace ultime et, par conséquent, la dissuasion ne fonctionne que si l’on est prêt à l’utiliser ».
À la précision de savoir s’il le ferait « même si cela signifie potentiellement tuer des millions de personne », Keir Starmer a réaffirmé sa position : « La dissuasion ne fonctionne que si l’on est prêt à l’utiliser – c’est donc une réponse claire à votre question ».
Le même jour, il publiait un article dans le Daily Mail pour affirmer son soutien « inébranlable » à l’emploi de l’arme atomique.
C’est paradoxal, mais cela ne doit pas étonner, et on a la même chose avec Thomas Piketty. C’est un économiste extrêmement connu, il est considéré comme l’une des plus grandes figures de la Gauche française. Il ne cesse de dénoncer les inégalités dans toute une série d’ouvrages, dont l’un, Le capital au 21e siècle, publié en 2013, a connu un succès phénoménal.
Thomas Piketty est notamment Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, et c’est là quelque chose de très important, car les institutions universitaires sont des usines à cadres de la gauche à l’américaine, qui veulent réimpulser le capitalisme.
On parle ici de la Gauche célébrant les migrants, les LGBT, le cannabis, la PMA-GPA, bref tout ce qui peut développer des marchés et élargir le capitalisme. C’est présenté comme « de gauche » car donnant plus de « droits » aux citoyens.
Thomas Piketty dénonce pour cela le rôle des héritages, car pour lui cela enraye la dynamique capitaliste. Et, de la même manière, il se lance dans une croisade contre la Russie, dans une démarche impérialiste pour relancer le capitalisme.
On retrouve les positions de Thomas Piketty notamment dans les quotidiens Libération et Le Monde, et c’est dans ce dernier quotidien qu’on trouve deux appels.
- Le 13 avril 2024, Thomas Piketty appelait à l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne, afin de relancer le capitalisme (« L’entrée de l’Ukraine dans l’UE doit être l’occasion de formuler des normes strictes garantissant le pluralisme sous toutes ses formes« ).
- Le 17 avril 2024, il cosignait une tribune appelant à confisquer les avoirs russes pour les attribuer par la force au régime ukrainien (« La confiscation des avoirs publics russes constituerait une avance sur les réparations« ).
La première tribune est exemplaire. L’Ukraine est totalement corrompue et aux mains des oligarques depuis l’effondrement de l’URSS. Il y a des régions avec une vaste autonomie, accordant une dimension mafieuse à la domination. Le président actuel, Volodymyr Zelensky, n’était qu’un humoriste à l’humour populiste avant de se voir propulser par une partie de l’élite comme figure politique.
Aujourd’hui, le régime ukrainien est aux mains du nationalisme bandériste. Tous les partis de gauche sont interdits, les références positives à ce qui relève historiquement de la gauche sont interdites, les monuments soviétiques détruits y compris ceux honorant les morts de la seconde guerre mondiale, etc.
Et pourtant Thomas Piketty dit que l’Ukraine est démocratique ! Et il le dit, car il voit le moyen de moderniser l’Union européenne… C’est cela, la « Gauche » à l’américaine, et la « Gauche » pro-américaine.
« L’entrée possible de l’Ukraine dans l’Union européenne [UE] est-elle une bonne idée ? Oui, mais à condition de reformuler par la même occasion le projet européen. Pour résumer, cela doit être l’occasion de redéfinir l’UE comme une communauté politique au service de l’Etat de droit et du pluralisme démocratique, et de sortir de la religion économique du libre-échange et de la concurrence comme solution à tous les problèmes, qui a dominé la construction européenne depuis plusieurs décennies.
Si la défense de l’Ukraine face à la Russie a une importance vitale, c’est d’abord pour des raisons politiques et démocratiques. Contrairement à son voisin russe, l’Ukraine respecte les principes de la démocratie électorale, de l’alternance démocratique, de la séparation des pouvoirs et du règlement pacifique des conflits. »
Par l’intégration de l’Ukraine, on pourrait relancer l’économie, relancer l’Union européenne politiquement… Bref, relancer le capitalisme, mais « de gauche ».
« C’est en se redonnant des marges de manœuvre sur le plan social et économique que l’on pourra convaincre l’opinion de l’opportunité d’un nouvel élargissement européen, sur la base de valeurs démocratiques partagées et non pas d’une religion économique libérale profitant aux plus riches et éloignant toujours davantage les classes moyennes et populaires de l’idéal européen. »
La seconde tribune est bien plus belliciste. Elle salue que les bénéfices des avoirs russes aillent à l’armement pour le régime ukrainien, mais elle demande également que les avoirs russes soient confisqués dans leur intégralité.
« Nous saluons l’initiative du Conseil européen qui a convenu d’une taxation des intérêts générés par les capitaux publics russes immobilisés dans divers Etats européens. Cette taxe, dévolue à 90 % à l’achat d’armement pour l’Ukraine, constitue un premier pas. Mais cette décision semble bien timide, lorsque l’on compare le milliard d’euros promis aux Ukrainiens avec les 200 milliards d’euros d’actifs que la Banque centrale de Russie a déposés dans les établissements financiers européens (sur un total de près de 300 milliards d’euros placés hors de Russie).
Ces capitaux, l’Ukraine en aurait immédiatement l’usage pour entamer la réparation des dommages subis avec la destruction de ses infrastructures civiles, systématiquement visées par les missiles russes. La reconstruction des hôpitaux, écoles, universités et centrales électriques ne peut attendre la fin, indéterminée, des hostilités. »
Mieux encore, ce ne serait qu’un début, car la Russie devrait payer des réparations colossales. Il va de soi qu’une telle position est une ligne impérialiste jusqu’au-boutiste, forçant à un conflit total de part et d’autre.
« La confiscation des avoirs publics russes constituerait une avance sur les réparations que devra payer l’agresseur in fine. Les dommages causés par la Fédération de Russie sur le territoire ukrainien sont évalués par la Banque mondiale à près de 450 milliards d’euros, à ce jour. Soit déjà bien davantage que les avoirs russes gelés. »
Le soutien à la ligne d’Emmanuel Macron fixé le 26 février 2024 est explicite.
« Alors qu’Emmanuel Macron a plaidé pour qu’aucune limite ne soit fixée a priori à l’action des alliés de l’Ukraine, pourquoi ne pas mettre en œuvre, au titre des réparations, les mesures de confiscation légitimes au regard du droit international coutumier ? »
C’est un appel belliciste, dont voici la conclusion, avec la liste des signataires.
« Il est impératif que notre pays, à la demande de l’Ukraine, mette en œuvre toutes les dispositions requises pour la confiscation des avoirs publics russes déposés en France. Aider l’Etat ukrainien à confisquer ces capitaux constituerait un acte d’affirmation du droit international. Indirectement, cela contribuerait, en outre, à alléger le budget de l’Etat ukrainien consacré aux reconstructions, alors qu’il doit assurer les dépenses militaires indispensables au combat pour sa liberté… et la nôtre.
Premiers signataires : Nicolas Bouzou, économiste, essayiste et dirigeant d’entreprise ; Emmanuel Daoud, avocat près la Cour pénale internationale ; Antoine Garapon, magistrat, membre du comité de rédaction de la revue « Esprit » ; Olena Havrylchyk, professeure d’économie à l’université Paris-I ; Martine Jodeau, juriste, membre de l’association Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ; Olivier Passet, économiste ; Thomas Piketty, directeur d’études à l’EHESS, professeur à l’Ecole d’économie de Paris ; Sylvie Rollet, professeure émérite des universités, présidente de Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ; Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil constitutionnel ; Nicolas Tenzer, enseignant à Sciences Po, chargé de mission au Center for European Policy Analysis. »
Sous des apparences de justice, on a ici la ligne de la guerre totale. Telle est la ligne de la « Gauche » à l’américaine, de la « Gauche » pro-américaine, dont Thomas Piketty est une figure majeure.
Et ni le PCF, ni LFI, qui se veulent pourtant plus à gauche, n’expriment de rupture réelle avec cette « Gauche » à l’américaine, car ils soutiennent également le régime ukrainien et son armement, ils possèdent les mêmes valeurs libérales américaines (LGBT, migrants, art contemporain, etc.)
Il est évident que tout cela est en contradiction historique avec les intérêts des masses françaises, même si elles sont endormies, corrompues par le 24 heures sur 24 du capitalisme. L’avenir appartient ici clairement à la Gauche historique !