Les élections législatives anticipées de juin et juillet 2024 ont été la conséquence de la vague Rassemblement national aux élections européennes de juin 2024, mais plus encore elles sont le produit de la crise ouverte en 2022, lors de la réélection d’Emmanuel Macron.
Il n’avait alors qu’une faible majorité parlementaire et celle-ci s’est ébranlée au fil du temps, avec notamment l’utilisation très controversée de l’article 49.3 de la Constitution pour forcer la main aux députés. Tout cela est le reflet d’une France malade, prise dans le tourbillon de la crise du capitalisme à l’échelle mondiale commencée en 2020.
Ce qui s’est passé électoralement en juin et juillet 2024 est de ce point de vue très simple à voir. L’aspect principal est que la France est devenue entièrement soumise à la superpuissance américaine, elle n’est pour ainsi dire plus qu’un satellite américain en Europe, comme le montre son soutien acharné à la guerre contre la Russie.
Les forces politiques en présence sont donc toutes les mêmes dans leur fondement : les nuances ne suffisent pas à produire une vague politique et donc une majorité pour gouverner. Mais il y a en même temps de trop fortes traditions politiques, qui font qu’un consensus à l’américaine, bi-partidaire et par en haut, est devenu pratiquement impossible. C’est donc une période de grande instabilité qui s’ouvre maintenant.
Regardons les choses un peu en détail.
La première, c’est que le camp présidentiel a été largement défait lors de l’élection, avec à chaque fois au premier et au second tour, environ 6,5 millions de voix.
Cela n’a permis que d’obtenir 150 sièges, dont 2 dès le premier tour. Ce n’est pas négligeable, mais, même avec des alliances de proximité, il est impossible de gouverner le pays car c’est bien trop loin de la majorité absolue de 289 sièges.
Le produit commercial « Emmanuel Macron » est donc périmé, il ne suffit plus à maintenir le régime en France. Il lui reste trois ans de mandat, et il ne pourra pas dissoudre l’Assemblée nationale avant un an. C’est là un premier blocage.
Ensuite, la force juste au dessus (et qui prend la première place) est la coalition électorale faite entre la fausse Gauche et les populistes de la France insoumise, qui récolte 7 millions de voix au second tour, contre 9 millions au premier tour.
Le fait qu’il y ait moins de voix aux second tour s’explique par le fait que beaucoup de députés ont été élus dès le premier tour, les voix en leur faveur n’ont donc pas eu à s’exprimer à nouveau.
Cette engouement électoral permet d’envoyer 178 députés à l’Assemblée nationale. C’est, en apparence, une victoire, car il s’agit du plus grand nombre de députés. Toutefois, c’est très loin d’une majorité pour gouverner, et surtout c’est en réalité un assemblage très bancal, pour ne pas dire un bricolage.
Dans les faits, il n’y aura pas nécessairement un seul groupe de députés et il y a des divergences énormes de ligne politique, ainsi qu’en réalité aucune structuration décisionnaire. Toutefois, c’est là un épiphénomène propre à la décadence du pays.
La troisième chose qu’il faut voir est en fait la plus importante. C’est l’incapacité du Rassemblement national à arriver à la tête du pays, malgré son hégémonie politique. C’est là un facteur de blocage essentiel pour la France.
Le Rassemblement national (en alliance avec Eric Ciotti de la Droite classique) a récolté 10 millions de voix au second tour (et un peu plus au premier tour). Il obtient pratiquement 40 députés dès le premier tour et les autres candidats font en général des scores très élevés.
Au premier tour, cela donne un peu moins de 34 % des suffrages exprimés, et au second tour c’est 37 % des suffrages exprimés. C’est énorme, largement de quoi obtenir naturellement une majorité et un gouvernement. Cela d’autant plus qu’il y a une hégémonie sur les thèmes qui sont mis en avant dans le débat public français : refus de l’immigration, inquiétude quand à l’insécurité, apathie culturelle, volonté de figer le capitalisme tel qu’il était au 20e siècle.
Seulement, le Rassemblement national se heurte à une France faible et fragile, incapable d’avoir un Jordan Bardella comme Premier ministre. Celui-ci est pourtant très consensuel et particulièrement peu radical, si on le compare aux différents leaders populistes à travers le monde. Ni dans ses propos, ni dans son attitude, il ne sort du cadre et il paraîtrait comme un modéré si on le mettait à côté de n’importe quelle figure de la Droite française des années 1980.
Mais c’est encore de trop pour une France devenue insignifiante. La petite bourgeoisie hystérique des centre-villes et des cités de banlieue a pu largement s’exprimer et inventer une menace « fasciste » et « raciste » pour exister et empêcher le Rassemblement National. Cela a été suivi par la bourgeoisie moderniste française, elle aussi des grandes villes, qui a espéré profiter de la situation pour se maintenir.
Dans ces conditions, le Rassemblement national et ses alliés n’a pu obtenir que 143 sièges : ce n’est même pas la moitié de ce qu’il lui faudrait pour gouverner ! Le décalage avec la situation politique réelle est donc gigantesque.
Et il faut bien noter cet aspect. Formellement, la France est entrée au cœur de la crise politique ouverte en réalité dès 2022 avec la faible majorité obtenue par Emmanuel Macron : la crise s’exprimant effectivement avec deux ans de retard, ont peut donc s’attendre à une énergie cinétique immense, notamment en termes de rancœurs accumulées.
Car il ne faut pas s’y tromper : la défaite politique du Rassemblement national, pour ne pas dire son échec, est une défaite populaire, et par bien des aspects, prolétarienne. Non pas que le parti de Marine Le Pen soit celui du prolétariat, seule la Gauche authentique peut le représenter et le Rassemblement national n’a rien de Gauche, n’étant qu’une forme moderne de Droite sociale et populiste. Mais il est évident que le prolétariat en France, faible, isolé, marginalisé culturellement et politiquement pendant des décennies, n’a pas pour l’instant pu trouver mieux que Jordan Bardella pour s’exprimer.
Et quand il l’a fait, il s’est pris une gifle monumentale, avec une absence de gouvernement malgré la dynamique politique et le nombre très important de suffrages. Jordan Bardella n’a pas pu faire la différence, car il est coincé par la situation elle-même : d’un côté il ne sort pas du cadre du capitalisme et de la soumission à la superpuissance américaine, donc il ne peut pas soulever de réelle vague populaire, d’un autre il assume beaucoup trop de choses, notamment des exigences d’ordre et de sécurité, pour que la France molle et décadente de 2024 soit capable de le mettre à sa tête.
Et ce qu’il se passe, c’est que personne n’est maintenant capable de gouverner. La seule option possible est une coalition de gouvernement, comme cela existe dans de nombreux pays. Mais c’est impossible en France, où il n’y a ni la rigueur, ni la discipline politique pour que cela fonctionne.
D’autant plus dans une situation de crise (économique notamment, avec une crise de la dette qui ne demande qu’à exploser à la figure du pays) et avec l’engagement militaire du pays contre la Russie.
Voici une projection faite par le Figaro, qui reste le grand journal le plus sérieux en France (ou disons, le moins décadent), avec une connaissance fine de la politique nationale. Cinq scénarios de coalitions sont envisagés, avec seulement un scénario comportant une réelle majorité.
On comprend tout de suite que cela est intenable. La France est en crise, au-delà de l’instabilité, c’est carrément une crise de régime qui se profile.
L’Histoire avance malgré les Français. Préparons-nous pour qu’elle avance avec eux, par la lutte de classes, pour le Socialisme!