« Jeunes, ultraviolents et millionnaires » : tel est le titre d’un documentaire d’Enquête exclusive de la chaîne M6, avec une présentation racoleuse et fascinée, la journaliste s’empressant de dire que les assassins en question ont toujours été « respectueux ». Le thème, c’est bien entendu la violence meurtrière de nos narcos à nous, qui se développent massivement à Marseille. Leurs affrontement internes ont fait 49 morts en 2023.
C’est une situation à la mexicaine. Pour prendre un exemple parallèle, en septembre 2024, une ville mexicaine d’un million de personnes, Culiacan, est paralysée par des affrontements entre cartels. Pas d’écoles, les rues vidées, des commerces fermés massivement, etc. Car les narcos frappent avec violence, malgré leur petit nombre. Les assassinats inter-groupes débordent régulièrement sur la population, avec des viols, des meurtres, des massacres, des incendies, des destructions de bâtiments.
Le phénomène se produit de manière récurrente au Mexique et qui s’y intéresse peut lire une description terrible dans le roman d’Eduardo Antonio Parra, El Edén. C’est une retranscription romancée du massacre dans la ville d’Allende en 2011. Il n’y a jamais eu de procès ni même de poursuites pour ces crimes.
On y va en droite ligne pour la France. Car là où les cartels se développent, ils rentrent en concurrence, et ils s’affrontent, s’auto-nourrissant les uns les autres. C’est le sens de la fusillade mortelle visant l’entourage du rappeur Marseillais SCH à la Grande-Motte, près de Montpellier, fin août 2024. L’arrière-plan est flou : règlement de comptes, tentatives d’extorsion. Mais ce qu’il faut bien saisir, c’est qu’il y a tout un arrière-plan, un terreau qui est celui du cannibalisme social.
Cela fait d’ailleurs plus de 4 mois pendant lesquels l’État n’a toujours pas mis la main sur Mohammed Amra et les assassins des agents pénitentiaires du péage d’Ircanville. Pourtant, l’État a mobilisé à ses débuts plus de 600 policiers pour la traque du fugitif. Depuis, on est revenu à une trentaine avec comme unique recours un appel à témoignage public, plusieurs mois après cette opération mafieuse dont on ne sait pas la nature véritable.
Mais il court justement toujours l’hypothèse comme quoi l’évènement du 14 mai 2024 ne fut pas une évasion, mais une attaque d’un gang rival en vue d’éliminer directement Mohammed Amra après l’avoir récupéré pour obtenir des informations. Si un tel scénario est vérifié, et même finalement si l’attaque assassine visait à le libérer à l’arme lourde, alors il est clair que la France s’oriente à grande vitesse vers la situation à la mexicaine comme cela avait été souligné par des juges mexicains eux-mêmes en visite en France.
Toute cette affaire en dit long sur la déliquescence générale de l’État emporté par la moisissure du capitalisme. Voilà un des aspects qui n’est pas mis en avant par le rapport fort détaillé du Sénat publié en mai 2024, quelques jours avant l’opération mafieuse ultra-violente contre des fourgons de l’administration pénitentiaire au péage d’Ircanville pour intercepter Mohammed Amra.
La ligne rouge du rapport reste confiné aux perspectives de la bourgeoisie : celle de changer de perspective de lutte contre la narcotrafic, la faisant passer d’une lutte contre une criminalité à une lutte contre « les intérêts fondamentaux de la nation ».
Sauf que la nation est elle-même en plein craquage, emportée par un capitalisme pourrissant dont le trafic de drogue est, précisément comme le remarque le rapport, l’expression d’un « turbo-capitalisme ». Le stade ultime du capitalisme, c’est la perte de tout rapport sensible d’avec la réalité et il y a là un équivalent strict entre l’art contemporain, les lubies LGBTQIA+ et la petite main du deal recrutée sur Snapchat, Tik-tok ou Instagram.
Le petit détaillant qui parvient à grimper dans la hiérarchie de son entreprise – son réseau criminel – peut ensuite aisément planifier corruption d’agents publics, assassinats de concurrents ou de personnes dérangeantes, dans une ambiance ultra-individualiste sans connexion avec le réel tel un joueur de jeu vidéo.
Et l’État lui-même produit de cette ambiance ne prend pas la mesure d’une réalité qui enfante dorénavant des figures du trafic dont le caractère anti-social est porté à son paroxysme. Le meurtre au pistolet de Lilian Dejean à Grenoble par un conducteur en fuite en est un des derniers exemples.
Car rien n’est isolé de rien et l’ampleur du trafic de drogue émerge d’une situation générale. À commencer par « la question sociale », où des pans du prolétariat ayant basculé durement et durablement dans le lumpenprolétariat constituent une strate sociale disponible sur le temps long pour réaliser les profits de businessmens.
Ceux-ci vivent le plus souvent dans des pays de la décadence à moitié moyen-âgeuse, à moitié capitaliste tentaculaire, à l’instar de Dubaï. Et c’est une strate sociale d’autant plus disponible qu’elle a généré toute une culture de valorisation de l’idéal gangster, équivalent pour les couches ultra-paupérisées de la figure capitaliste.
C’est le règne du morbide dans une société qui a de toute manière viré dans le glauque au mépris de toutes les considérations morales. Car l’explosion des trafics résulte d’une augmentation de l’offre de production, notamment par les ateliers de drogue de synthèse tout autant que de cocaïne en Amérique du sud, avec une explosion de la demande.
Une demande qui s’épanouit dans un turbo-capitalisme qui vend la fête à coups de pilules et de substances psychoactives comme la perspective ultime de la survie existentielle dans un monde pourri. Pareillement que les dealers, les consommateurs acceptent de suivre les préceptes d’une « happycratie » qui se moque entièrement des conséquences macabres et esclavagistes du « moment récréatif ».
La France s’est mise sur un mode où le faux-bonheur psychoactif répond aux vrais trafics lugubres, tout cela dans un contexte de personnalités zombies qui ont perdu pied avec la réalité car ayant refusé tout engagement moral. Le jeu vidéo GTA devient réalité, chaque jour un peu plus, si ce n’est en pratique au moins dans les têtes.
Pour s’en sortir, la France a besoin d’un retour fracassant d’une lutte de classe prolétarienne. Une classe qui porte l’ordre, et la violence pour la maintenir. Une classe qui a besoin de se rééduquer dans un nouveau moule éthique, mais qui y a justement tout intérêt, au moins pour ne pas être victime du cannibalisme social emportant la société.
Il y a besoin d’une tempête de feu qui éradique un capitalisme en crise qui mène au cannibalisme social et à la fuite irrationnelle !