Notre époque folle produit des fous furieux en série et la route est un lieu privilégié pour l’expression de cette folie. Cela tient principalement au fait que les conducteurs, de voiture, de vélo, de camion, de trottinette électrique, peu importe, se retrouvent en permanence exposés individuellement à des interactions collectives. Ils ne savent pas y faire face subjectivement, alors ils déraillent en se réfugiant dans l’agressivité, puis parfois la violence physique.
Cela commence par les insultes, versées à haute voix, que l’autre n’entend pas bien sûr, ou devine seulement, mais qui sont toutefois réelles.
Il y a ce cycliste qui insulte cet automobiliste qui ne l’a pas vu, sans se poser la question de savoir s’il était lui-même visible de par l’angle-mort existant pour chaque conducteur lorsqu’on le remonte par sa droite.
Il y a ce chauffeur de taxi trop pressé qui insulte cette mère de famille qui n’a pas mis son clignotant, alors qu’elle était déjà engagée dans un rond-point, sans se poser la question de savoir si cette femme devait mettre un clignotant, ni de savoir pourquoi elle n’a pas été en mesure de le faire.
Concrètement, il n’y a aucune bienveillance sur la route. C’est le reflet de la société, avec une bulle d’individualisme.
Il suffit de voir des piétons s’étonnant qu’on les laisse passer à un passage piéton où ils sont prioritaires, pour comprendre ce qui ne va pas! En France, quand une voiture laisse passer un piéton, le piéton remercie son conducteur d’un signe de la main !!! C’est aberrant !
C’est plus ou moins vrai partout en France, mais c’est particulièrement vrai dans la région parisienne où les automobilistes (et les cyclistes) agissent comme de véritables agresseurs à l’encontre des autres.
Heureusement que les feux de signalisation sont encore globalement respectés, quoi que de moins en moins, sinon il n’y aurait plus aucun frein à la chienlit automobile et l’enfer francilien serait absolu.
L’enfer, c’est par contre ce qu’a vécu mardi 15 octobre 2024 Paul Varry, jeune homme de 27 ans. Il circulait à vélo en fin d’après-midi sur une piste cyclable du boulevard Malesherbes, mais un automobiliste lui aurait coupé la route, entraînant sa chute. De colère, il aurait alors tapé sur le capot du véhicule, un SUV Mercedes tout neuf, ce qui aurait entraîné une altercation.
Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour se faire une idée de la scène : le conducteur, riche, s’imaginant important, est incapable de reconnaître son tort et s’excuser, de surcroît face à jeune homme, d’allure fine, qu’il identifie comme un faible, car dans son imaginaire, les cyclistes sont des faibles. C’est tellement banal, à Paris ou ailleurs.
Ce qui s’ensuit par contre l’est moins, mais ce n’est pas étonnant non-plus. L’automobiliste de 52 ans non rassasié par les mots aurait finalement choisi d’aller au bout de sa colère en écrasant le cycliste. Il avait avec lui, comme passagère de son véhicule, sa fille de 17 ans!
On utilise ici le conditionnel, car légalement il le faut, mais il n’y a pas vraiment de doute quant au déroulé des faits. De nombreux témoins étaient présents et ont été entendus ; le ministère public a confirmé le caractère délibéré du geste, d’après les premiers éléments de l’enquête.
Le conducteur a été placé en garde à vue et une enquête pour meurtre a été ouverte. Paul Varry est mort dans un bain de sang, malgré l’intervention rapide d’un passant, puis des secours.
Ce jeune homme était très engagé pour le développement des déplacements à vélo en région parisienne. Il était membre actif de l’association Paris en Selle. La porte-parole cette association a rappelé légitimement dans la presse que :
« Quand on est cycliste, tous les jours on vit des petits actes d’incivilité de la part des véhicules motorisés, qui sont ceux qui tuent le plus dans des accidents. Il ne faut pas banaliser ça. Il faut que les pouvoirs publics prennent au sérieux les plaintes des cyclistes. »
L’idée n’est pas fausse. Mais, les pouvoirs publics justement n’ont plus aucun pouvoir ! Ce n’est pas tant une question subjective, de mauvaise volonté de la part de la police ou de la justice. C’est surtout que la société française s’effondre et les individus sont de plus en plus débridés dans leur fonctionnement façonné par le cynisme du capitalisme en crise.
Au fond, les propos de la porte-parole de cette association sont indignes par rapport à la mémoire de son camarade, car ils sont bien en deçà de la réalité. Il existe en France un nombre incroyable d’automobilistes ayant un comportement exterminateur à l’encontre des cyclistes et il semble ici évident que Paul Varry a été la victime du plus zélé d’entre-eux.
Chaque cycliste, que ce soit en ville pour les déplacements du quotidien, ou bien à la campagne pour les sorties sportives, a forcément une multitude d’anecdotes terrifiantes à ce sujet.
On ne compte plus les automobilistes qui n’hésitent pas à mettre en dangers les cyclistes pour ne pas être entravés dans leur cheminement. Parfois cela se solde par un accident, de temps en temps par des morts, mais ce fonctionnement est absolument systématique pour certains.
Les organisateurs de courses cyclistes en particulier savent à quel point il devient de moins en moins possible d’assurer la sécurité, à cause précisément de ces automobilistes au comportement exterminateur, qui ne respectent ni les signaleurs bénévoles (insultes, menaces, coups), ni les arrêtés préfectoraux restreignant ou interdisant la circulation au profit des courses.
Bien entendu, les cyclistes ne sont pas en reste, surtout pour les plus jeunes venant de milieux urbains et étrangers aux codes des clubs sportifs. Souvent, ils évoluent eux-même n’importe comment sur les routes, mettant en danger les piétons et manquant cruellement de courtoisie à l’égard des automobilistes.
Cela ne fait que renforcer l’attitude des chauffards, qui se sentent alors légitimes dans leur haine exterminatrice à l’encontre des cyclistes, tous les cyclistes.
Seule une révolution culturelle, assumant la violence sociale légitime contre les déviances individuelles meurtrières, pourra vaincre ce fléau. La tâche est immense pour vaincre le cannibalisme social. Et ce sera violent, violent comme la révolution.