Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un ICBM a été employé, tôt le matin du 21 novembre 2024. La cible était une usine de missiles nommée Yuzhmash dans la ville de « Dnipro », en Ukraine, qui a un peu moins d’un million d’habitants (la population a baissé de moitié depuis la fin de l’URSS).
La ville a été fondée par l’impératrice de Russie Catherine II sous le nom de Ekaterinoslav, prenant pour quelques temps ensuite le nom de Novorossiisk (« Nouvelle-russe »). L’URSS a renommé la ville Dnipropetrovsk, en référence au fleuve Dniepr et au révolutionnaire communiste ukrainien Grigori Petrovski. En 2016, le régime fasciste ukrainien a renommé la ville Dnipro.
Un ICBM, c’est un missile balistique dont la fonction est très précise : celle de transporter plusieurs ogives nucléaires. On l’envoie à 1200 km de hauteur, il va à une vitesse suffisamment basse pour ne pas être mis en orbite, puis il retombe, en deux minutes, libérant plusieurs ogives.
La portée d’un ICBM est d’au moins 5 500 km. L’ICBM employé par la Russie est une variante expérimentale, qui peut en parcourir bien moins. Ce n’est donc officiellement pas un ICBM en tant que tel…
Néanmoins, symboliquement, cela revient au même. D’ailleurs, la Russie a tout de même prévenu au préalable les États-Unis : c’est une règle pour tout emploi d’un ICBM (pour les tests), afin d’éviter qu’on pense que le missile n’ait une charge nucléaire et que c’est le début d’une attaque surprise.
La Russie a ici fait une démonstration non pas tant de force que de détermination. C’est une escalade assumée, pour montrer que la direction du pays concerné a du cran et est prête à assumer les choses les plus dures. L’envoi de l’ICBM sur Dnipro est une première mondiale dans l’histoire de l’humanité, c’est la preuve que les choses sont dures et deviennent toujours plus dures.
D’ailleurs, il y a eu ensuite une mise en scène de la revendication de ce missile en deux temps, le second étant particulièrement marquant.
Le premier est, en effet, assez étrange quand on ne connaît pas le style russe, mi-provocateur, mi-amusé. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, était en pleine conférence de presse quand elle a reçu un appel téléphonique qu’elle a bizarrement pris, s’interrompant en plein milieu.
On pouvait alors entendre l’ordre donné de ne pas parler du missile lancé ! Dans la vidéo de la conférence de presse ensuite mise en ligne, le passage n’a évidemment pas été coupé. C’est une manière à ce moment-là de laisser planer le doute sur la nature de ce missile. Tout le monde avait compris que c’était un ICBM, mais sa nature ne semblait pas claire.
Ensuite, le président russe Vladimir Poutine a lui-même pris la parole, en soirée, pour un discours à la nation, d’un peu moins de dix minutes et non annoncé au préalable.
Il a bien entendu fait référence à l’emploi de missiles américains ATACMS et britanniques Storm Shadow en Russie même, depuis une permission américaine venant d’être donnée au début de la semaine par la superpuissance américaine. Cette dernière a également annoncé la fourniture massive de mines anti-personnel.
Il a surtout tenu un discours d’affrontement décidé, insistant sur le fait que la Russie est prête à aller plus loin, bien plus loin encore.
Car bien loin des illusions de ceux qui espèrent la « paix » avec l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine, ou qui la veulent pour retrouver un capitalisme « calme », les choses vont empirer.
Il y a deux raisons. La première est subjective : le régime ukrainien est nationaliste et entend réduire la Russie à une petite Moscovie asservie. Il est impossible pour a Russie de tolérer une telle chose, au-delà de toutes les considération nationalistes grand-russes comme quoi l’Ukraine n’existe pas.
La seconde est objective : le conflit en Ukraine n’est qu’un aspect du grand jeu sino-américain de bataille pour le repartage du monde. Il n’y aura pas la paix, c’est déjà la troisième guerre mondiale qui est enclenchée. C’est la révolution ou la guerre, il faudra que chaque personne choisisse, inéluctablement.
Nous sommes hyper-minoritaires avec ce point de vue, mais nous le considérons comme scientifiques et nous avons les mêmes ambitions que Rosa Luxembourg et Lénine, la même ligne de défaitisme révolutionnaire.
Nous n’avons rien à voir et ne voulons rien à voir avec les gens dont l’horizon ce sont une mini-augmentation des retraites dans le capitalisme, l’accession à la propriété pour tous et plus de services sociaux. Car c’est réducteur et corrompu, et de toutes façons c’est impossible dans le capitalisme en crise marchant à la guerre.
Voici le discours de Vladimir Poutine, qui reflète bien le niveau de conflictualité. Plusieurs passage importants ont été ici mis en gras.
Je voudrais informer le personnel des forces armées de la Fédération de Russie, les citoyens de notre pays, nos amis dans le monde entier et ceux qui continuent à se faire des illusions sur la possibilité d’infliger une défaite stratégique à la Russie des événements qui se déroulent aujourd’hui dans la zone où se déroule l’opération militaire spéciale, à savoir [la situation ]après l’utilisation d’armes de longue portée fabriquées par l’Occident sur notre territoire.
Poursuivant l’escalade du conflit en Ukraine provoquée par l’Occident, les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN ont déjà annoncé qu’ils autorisaient l’utilisation de leurs systèmes d’armes de précision à longue portée sur le territoire de la Fédération de Russie.
Les experts savent bien, et la partie russe l’a souligné à plusieurs reprises, qu’il est impossible d’utiliser de telles armes sans l’implication directe de spécialistes militaires des pays qui les produisent.
Le 19 novembre, six missiles opérationnels-tactiques ATACMS de fabrication américaine et, le 21 novembre, au cours d’une attaque combinée de missiles, des systèmes Storm Shadow de fabrication britannique et HIMARS de fabrication américaine ont frappé des installations militaires sur le territoire de la Fédération de Russie – dans les régions de Briansk et de Koursk.
À partir de ce moment, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, le conflit régional en Ukraine provoqué par l’Occident a pris une dimension mondiale.
Nos systèmes de défense aérienne ont repoussé ces attaques. Par conséquent, les objectifs manifestement fixés par l’ennemi n’ont pas été atteints.
Une fois de plus, je tiens à souligner en particulier que l’utilisation de telles armes par l’ennemi n’est pas en mesure d’affecter le déroulement des opérations de combat dans la zone d’opération militaire spéciale.
Nos troupes progressent avec succès sur toute la ligne de contact. Toutes les tâches que nous nous sommes fixées seront accomplies.
En réponse à l’utilisation d’armes à longue portée américaines et britanniques, les forces armées russes ont lancé, le 21 novembre dernier, une frappe combinée sur l’une des installations du complexe défense-industrie ukrainien.
Dans des conditions de combat, elles ont également testé l’un des plus récents systèmes de missiles russes à moyenne portée, en l’occurrence un missile balistique à configuration hypersonique non nucléaire.
Nos ingénieurs en missiles l’ont baptisé « Oreshnik ». Les essais ont été couronnés de succès et l’objectif du lancement a été atteint. Sur le territoire ukrainien, dans la ville de Dniepropetrovsk, l’un des complexes industriels les plus importants et les plus connus depuis l’époque de l’Union soviétique, qui produit encore aujourd’hui des équipements de missiles et d’autres armes, a été touché.
Nous développons des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée en réponse aux projets des États-Unis de produire et de déployer des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée en Europe et dans la région Asie-Pacifique.
Nous pensons que les États-Unis ont commis une erreur en mettant unilatéralement fin au traité sur l’élimination des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée en 2019 sous des prétextes fallacieux.
Aujourd’hui, les États-Unis ne se contentent pas de produire de tels équipements, mais, comme nous pouvons le constater, ils ont réglé les questions liées au déploiement de leurs systèmes de missiles avancés dans différentes régions du monde, y compris en Europe, lors d’exercices d’entraînement pour leurs troupes. En outre, au cours de ces exercices, elles s’entraînent à les utiliser.
Permettez-moi de vous rappeler que la Russie s’est volontairement et unilatéralement engagée à ne pas déployer de missiles de moyenne et de courte portée tant que les armes américaines de ce type n’apparaîtront dans aucune région du monde.
Je le répète : nous procédons à des essais réels du système de missiles Oreshnik en réponse aux actions agressives des pays de l’OTAN à l’encontre de la Russie. La question de la poursuite du déploiement de missiles à moyenne et courte portée sera décidée par nous en fonction des actions des États-Unis et de leurs satellites.
Nous déterminerons les cibles des nouveaux essais de nos derniers systèmes de missiles en fonction des menaces qui pèsent sur la sécurité de la Fédération de Russie.
Nous nous considérons autorisés à utiliser nos armes contre les installations militaires des pays qui autorisent l’utilisation de leurs armes contre les nôtres, et en cas d’escalade des actions agressives, nous répondrons de la même manière décisive et en miroir.
Je recommande aux élites dirigeantes des pays qui envisagent d’utiliser leurs contingents militaires contre la Russie d’y réfléchir sérieusement.
Il va sans dire que lorsque nous choisirons, si nécessaire et à titre de mesure de rétorsion, des cibles à frapper par des systèmes tels que « Oreshnik » sur le territoire ukrainien, nous proposerons à l’avance aux civils et demanderons également aux citoyens des États amis qui se trouvent sur place de quitter les zones dangereuses.
Nous le ferons pour des raisons humanitaires, ouvertement, publiquement, sans craindre l’opposition de l’adversaire, qui reçoit également ces informations.
Pourquoi aucune crainte ?
Parce qu’il n’existe aujourd’hui aucun moyen de contrer de telles armes.
Les missiles attaquent des cibles à une vitesse de Mach 10, soit 2,5 à 3 kilomètres par seconde.
Les systèmes de défense aérienne actuellement disponibles dans le monde et les systèmes de défense antimissile créés par les Américains en Europe ne peuvent pas intercepter ces missiles, c’est impossible.
Je voudrais souligner une fois de plus que ce n’est pas la Russie, mais les États-Unis qui ont détruit le système de sécurité internationale et qui, en continuant à se battre et à s’accrocher à leur hégémonie, poussent le monde entier vers un conflit mondial.
Nous avons toujours préféré et sommes désormais prêts à résoudre tous les différends par des moyens pacifiques. Mais nous sommes également prêts à faire face à toute évolution des événements.
Si quelqu’un en doute encore, c’est en vain : il y aura toujours une réponse.
On notera qu’une action dure était attendue : plusieurs ambassades (dont celle des États-Unis) avaient fermé leurs portes à Kiev le 20 novembre 2024. L’Ukraine avait grandement dénoncé ça. Et à son habitude, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a affirmé que l’action russe était la preuve de l’échec russe.
« Aujourd’hui, notre voisin fou a une fois de plus montré ce qu’il est vraiment et à quel point il méprise la dignité, la liberté et la vie humaine en général. Et à quel point il a peur ».
Il va de soi que de tels propos montrent également à quel point aucun accord n’est possible. Avec le nationalisme ukrainien, la superpuissance américaine a trouvé un allié parfait.
Et maintenant, ce sont les pays européens qui vont prendre le relais du soutien militaire au régime ukrainien. La narration est déjà installée en ce sens.
Dans tous les pays, dont la France, les opinions publiques sont passives et l’acceptent, l’ensemble la Gauche est d’accord, ou s’en moque, ou prétend très rarement le refuser, mais sans jamais être capable de faire autre chose que dénoncer les « Américains ».
Alors qu’il faut affirmer le défaitisme révolutionnaire, la défaite de son propre impérialisme !