Les Français sont un peuple puissamment paradoxal. Vus de loin, ils impressionnent. Les révolutions tout au long du 19e siècle, et la révolution française auparavant, où on coupe la tête au roi. Napoléon Bonaparte et son armée donnant des leçons militaires à toute l’Europe. Le Front populaire montrant l’exemple antifasciste au monde entier, une Résistance qui ne doit pas rougir, de Gaulle et son caractère intransigeant. Et puis mai 1968, où foisonnent les initiatives.
Vus de près, on a honte. C’est un peuple querelleur et individualiste, cultivant les traditions au point que même les jeunes chassent ou mangent du foie gras. Radins et maniaques qui plus est, les Français ne supportent pas la modernité à laquelle ils opposent un mot magique, celui de propriété.
Quand ils font quelque chose, cela doit avoir l’air d’être quelque chose, et c’est pour eux l’essentiel. On en est resté à l’époque de Molière, avec ce culte si critiquable des apparences. Le Français de base, c’est d’ailleurs Harpagon, ce type même pas capable d’être vraiment capitaliste, et qui préfère stocker ses richesses.
C’est ce qui donne la nomination de François Bayrou comme premier ministre le 13 décembre 2024. La France est un pays de mous et les Français ont donc un premier ministre mou par excellence. C’est cohérent. C’est vieux et rassurant, c’est sans prise de risque et ça n’a pas d’envergure. C’est Français!
Déjà justement, la France sans caractère s’aligne. Les socialistes ont promis un accord de non-censure contre le gouvernement si celui-ci n’utilise jamais l’article 49.3 pour passer en force. Le PCF est déjà sur la même longueur d’onde. Le Rassemblement national de Marine Le Pen entend se la jouer constructif également. Quant à La France insoumise, c’est simplement le parti du bruit.
Nous sommes en France, effectivement. Marine Le Pen n’est pas Mussolini, Jean-Luc Mélenchon n’est pas Lénine. Ils n’ont d’ailleurs jamais souhaité l’être, ni prétendu l’être non plus. Ils gèrent des affaires politiques, avec du bruit et un certain état d’esprit. Rien de plus.
Voilà la clef, rien de plus. Cet insupportable « rien de plus » manié par les Français à tort et à travers, avec la prétention d’être raisonnable. Alors que c’est simplement le culte de la médiocrité.
Où est l’envergure ? Où est l’intelligence ? Où est la culture ? Où est même, employons le mot, où est l’esprit ?
Alors, aux Français de choisir ce qu’ils vont faire. Soit ils suivent en râlant, à leur habitude. Et les choses continueront comme avant, avec simplement plus de bêtise, plus de délinquance, plus de vide aussi, car le capitalisme dessèche tout, depuis les pensées jusqu’aux sentiments. Et un jour c’est la guerre, sans même qu’on comprenne pourquoi.
Ou il y a un soulèvement – moral ou politique, économique ou social, peu importe, tout est lié de toutes façons. Mais il y a soulèvement.
Pour nous, il ne reste plus qu’à espérer ça. Voir les Français de loin, comme on les admire quand ils sont pleins d’entrain, en espérant qu’en même temps ce soit de près, pour vivre un de ces grands moments de rupture. De toutes façons, les Français ne sont bons que le dos au mur.
Quel dommage, tout de même. Comme ils méprisent l’histoire des idées, la discipline, le travail acharné – bref tout ce que nécessite le Parti de la Révolution – les Français ont toujours un coup de retard.
En fait, depuis la dissolution de l’Assemblée nationale et les élections législatives de juin – juillet 2024, c’est la crise de régime. Il aurait fallu alors se précipiter politiquement, partout à gauche, pour systématiser la critique, harceler le régime.
Il y avait un boulevard pour ébranler l’époque et parvenir à la grande cassure nécessaire. Maintenant, on est condamné à attendre que tout craque de soi-même, avec le risque que ça parte dans tous les sens.
Il faudra bien faire avec. Et là, gare à celui, gare à celle qui a tenté le refuge dans sa petite propriété, dans sa vie à l’écart de l’Histoire, dans son refus de la Culture, dans son mépris de l’engagement révolutionnaire.
Quand on méprise les Lumières, on célèbre l’obscurité et on s’y noie. Les lois de l’Histoire ne pardonnent rien.