Depuis la nomination de François Bayrou comme premier ministre le 13 décembre 2024, la bourgeoisie est extrêmement mécontente d’Emmanuel Macron. Il est reproché au président de la République son incapacité à maintenir la stabilité socio-économique dans le pays.
La critique est générale, du MEDEF au Figaro, en passant par Le Monde ou la CFDT. Rappelons que cette dernière est le premier syndicat en France, qu’elle est bien plus « moderne » et ancrée dans la réalité que la CGT, qui n’est plus aujourd’hui qu’une fiction, une caricature bouffonne de la CGT syndicaliste révolutionnaire d’avant 1914.
Ce qui se joue maintenant est donc immense. Soit, en effet, on a une tentative de sortie par l’extérieur. Cela signifie pour la France d’assumer l’engrenage militaire en Ukraine, parce qu’il est considéré que de toutes façons les questions internes ne sont pas réglables en l’état. Soit on a une tentative de sortie par l’intérieur, ce qui signifie réimpulser le capitalisme français « de lui-même », et pour cela il faut le départ d’Emmanuel Macron, une nouvelle élection présidentielle pour asseoir une nouvelle légitimité, et partant de là une stabilité au moins relative.
Cela, naturellement, les Français ne le remarquent pas, même les protagonistes n’en ont pas conscience. Mais si on est armé de la conscience sociale de la Gauche historique, alors on peut le voir, le comprendre. Et, faut-il le dire, les portes de sortie « intérieure » et extérieure » n’en sont pas, tout en se complétant mutuellement. On marche à la catastrophe, tout simplement.
Et on va autant dans un sens que dans l’autre. On vit un moment fondamentalement dialectique, où coexistent des choses contradictoires en apparence… et qui le sont plus qu’en apparence, qui se combinent et s’opposent, se recombinent et se confrontent.
Autant dire que c’est compliqué, bien trop compliqué pour des consciences endormies, et qu’en plus tout va trop vite.
Pour bien comprendre comment les choses vont se jouer, pencher avant tout dans un sens intérieur ou extérieur, suivons ce qui se passe.
Le 18 septembre 2024, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est rendu à Bruxelles. Il y a rencontré le chef de l’Otan Mark Rutte, qui a naturellement apporté son soutien. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen l’a fait également :
« Renforcer l’Ukraine maintenant est non seulement un impératif moral, mais aussi stratégique. »
Cette rencontre avec Mark Rutte est très importante, qui plus est la veille d’une grande rencontre de l’Union européenne au sujet du soutien militaire au régime ukrainien.
Ce même Mark Rutte, dans son premier grand discours en tant que nouveau dirigeant de l’Otan, le 12 décembre 2024 (et comme noté dans la chronologie de l’escalade), avait dit les choses suivantes, rappelons-le :
« En moyenne, les pays européens dépensent facilement jusqu’à un quart de leur revenu national pour les pensions, la santé et les systèmes de sécurité sociale.
Nous avons besoin d’une petite fraction de cet argent pour renforcer notre défense et préserver notre mode de vie. Donner la priorité à la défense exige un leadership politique. Cela peut être difficile et risqué à court terme, mais c’est absolument essentiel à long terme. »
« N’oublions pas qu’en Europe, nous représentons 10 % de la population mondiale et que nous consacrons 50 % des dépenses mondiales à la sécurité sociale. En ce sens, je pense que nous avons une certaine marge de manœuvre. »
Qui s’est également précipité pour rencontrer le président ukrainien, le 18 décembre 2024 ? Le président français Emmanuel Macron, qui est littéralement tombé dans ses bras. La présidence française a résumé la réunion en soulignant que la France « continuera de donner à l’Ukraine les moyens de se défendre et de faire échec à la guerre d’agression menée par la Russie depuis bientôt trois ans ».
Volodymyr Zelensky s’est également empressé de saluer Emmanuel Macron après la réunion :
« J’ai eu une réunion productive avec le président français. Nous avons eu une discussion approfondie en tête-à-tête, axée sur les priorités clés pour renforcer davantage la position de l’Ukraine face à l’agression russe. L’accent reste clairement mis sur le renforcement des capacités de défense aérienne.
J’ai remercié la France d’avoir formé une brigade pour notre armée et nous avons convenu de poursuivre cette coopération pour former une brigade de plus. Nous savons espérer que nos partenaires se joindront à ces efforts et contribueront à la conception des brigades ukrainiennes supplémentaires. »
Imaginons maintenant qu’Emmanuel Macron soit remis en cause. Il faut bien quelqu’un pour le remplacer. La bourgeoisie française est passée dans l’orbite américaine, sur le plan des institutions (avec l’Union européenne) comme de l’armée (avec l’Otan). Rompre est une tâche énorme, ce qu’a compris Marine Le Pen et Jordan Bardella qui ont accepté à la fois l’Union européenne et l’Otan, abandonnant toute prétention à un néo-gaullisme.
Que reste-t-il alors ? Pas grand monde, mais il est un personnage opportuniste qui joue sa partition politique depuis de longs mois déjà : François Hollande. Il joue le sympathique, l’accueillant, le chaleureux, l’amuseur, etc. Il tient également des positions ultra-bellicistes. Voici ce qu’il a expliqué sur France Info le 18 décembre 2024.
« Chacun a compris en entendant Donald Trump qu’il va lâcher l’Ukraine. Chacun comprends qu’il a déjà une relation installée avec Vladimir Poutine, et depuis longtemps.
Chacun a maintenant à l’esprit que le retrait de l’aide américaine va obliger les Européens à faire des choix difficiles.
Le premier c’est de continuer à aider l’Ukraine.
Et deuxièmement c’est de garantir la sécurité.[Le journaliste lui pose la question de la volonté d’exposer des vies européennes dans le conflit.]
Je n’en suis pas là. Mais, est-ce qu’on a songé que des Coréens du Nord sont aujourd’hui sur le champ de bataille, [ce] qui permet aux Russes de prendre du territoire en Ukraine ?
Ça ne choque personne de savoir qu’il y a des forces étrangères sur le continent européen, par ce que c’est le contient européen, qui sont en ce moment en train de tuer des Ukrainiens pour que Vladimir Poutine puisse avaler une partie de l’Ukraine?
Et nous on ne ferait rien ? On dirait écoutez allez-y, servez-vous, prenez ce que vous avez [sic].
Et puis ça sera l’Ukraine au début, la Finlande demain, la Moldavie après demain.
[Le journaliste demande s’il y a un enjeu existentiel.]
C’est notre identité qui est en cause. C’est notre dignité en tant qu’Européens. On se laisse comme ça impressionner ? Mais non !
Je connais Vladimir Poutine : il ne respecte que le rapport de force.Ça veut pas dire qu’on va utiliser des moyens militaires. Ça veut dire qu’on doit lui démontrer que s’il va plus loin il sera arrêté. »
François Hollande est ici un immense hypocrite, car il est un « interventionniste » depuis longtemps. Mais peu importe ce qu’il est. Ce qui compte, c’est que l’escalade continue, malgré la crise de régime, à travers la crise de régime. L’escalade militaire contre la Russie et la crise de régime sont pour la France les deux faces d’une même pièce. C’est la grande actualité française, ce qui décide de tout.
Et la tension entre les deux aspects devient intenable. C’est un événement politique de la plus haute importance. On ne peut le comprendre qu’à travers la vision du monde de la Gauche historique, et il faut assumer son mot d’ordre: Socialisme ou retombée dans la barbarie !