C’est une polémique qui correspond à notre époque, entièrement. D’un côté, on a des pseudos « conservateurs » qui n’ont en réalité aucune culture, aucun héritage historique réel. De l’autre, on a des modernistes dont l’art est un non-art, une platitude creuse.
Tout commence par une interview de Stéphane Bern dans Ouest France. Stéphane Bern est très connu, c’est un animateur de radio et de télévision sympathique, expressif et communicatif. Reste que c’est un ignare. Sa carrière, c’est Dynastie, Voici, Jours de France, Paris Match, Madame Figaro, Les Grosses Têtes, TF1, etc.
On parle d’un bourgeois maniéré et obséquieux, fasciné par les rois et les reines et il ne cache même pas son soutien au principe monarchique. Son rêve est de manger des gâteaux à Vienne dans un décor impérial propre aux Habsbourg, ce qu’il fait chaque année depuis huit ans d’ailleurs de manière subventionnée à l’occasion du concert du nouvel an passant à la télévision.
Stéphane Bern, à force d’entregent (une qualité de valet justement), arrive en effet à se vendre comme quelqu’un de cultivé, un représentant des traditions, traditions qu’il présente et valorise.
Il est invité, il est valorisé ; on le prend pour un représentant de toute une culture passée. Lui-même y croit : il a quitté Paris pour s’installer dans un ancien collège royal et militaire en Eure-et-Loir. Il mériterait un passage pour se moquer de lui dans les Caractères de La Bruyère.
Stéphane Bern a à ce titre été nommé en 2017 à la tête d’une mission au sujet du patrimoine, par Emmanuel Macron. C’était littéralement un fait du Prince de la part de ce dernier. Rien d’étonnant ici, Stéphane Bern est toujours au service du monarque élu et il se place à leur service en particulier, pour profiter de la reconnaissance en général. Il l’avoue de manière masquée :
« Je ne suis ami d’aucun des chefs de l’État, mais je les ai tous connus et appréciés, depuis Valéry Giscard d’Estaing. On ne peut pas m’accuser de parti pris. Je travaille pour la France. »
Quelle vantardise ! Mais le valet se rebelle désormais, il croit à sa propre fable, il se prend au sérieux et il ose critiquer le monarque ! Au nom de la monarchie bien entendu. L’ambiance de l’interview d’Ouest France, la voici :
« Devant lui, un buffet dévoile les dizaines de mugs royaux que le spécialiste des têtes couronnées collectionne. »
Quel mauvais goût, quelle horreur. Et donc, cet ami des rois et des reines qu’il soutient de tout son cœur, est mécontent. L’accusation de Stéphane Bern est donc que le monarque rompt avec la tradition.
Sa critique porte sur six grandes baies dans les chapelles sud de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
« Je n’ai rien ni contre Claire Tabouret ni contre les vitraux contemporains. Il y en a à la cathédrale de Chartres et j’ai participé à la collecte. Mais je leur suis favorable quand les anciens sont détruits ou détériorés. On ne peut pas enlever des vitraux classés Monument historique (…).
Mais bon, c’est un souhait du président. Donc ce que le président veut, Dieu le veut, j’ai l’impression !
Claire Tabouret, dont parle Stéphane Bern, est une peintre française qui vit à Los Angeles. On parle ici évidemment d’art contemporain, cette monstruosité où toute esthétique est absente et réfutée. Elle est très cotée sur le marché, et est représentée par de prestigieuses galeries : Night Gallery (Los Angeles), Almine Rech (Paris, Bruxelles, Londres, New York, Shanghai), Perrotin (Paris, Dubai, New York, Los Angeles, Las Vegas, Hong Kong, Séoul, Tokyo, Shanghai).
Naturellement, elle a travaillé pour les milliardaires François Pinault et Bernard Arnault, qui ont comme on le sait contribué financièrement à la reconstruction de Notre-Dame. C’est une sorte de retour sur investissement par la valorisation de l’art contemporain.
Il y a un problème toutefois dans ce que dit Stéphane Bern, c’est que les six vitraux que Claire Tabouret doit remplacer par des œuvres à elle n’ont rien de particulièrement historiques.
Ils sont en effet dus à l’infâme Viollet-le-Duc, par l’intermédiaire du maître verrier Alfred Gérente. On parle de vitraux qui sont des « grisailles », des motifs géométriques sur fond clair devant éclairer des peintures (nouvelles) dans les chapelles, peintures grattées dans les années 1960 pour s’en débarrasser.
Cela remet en cause la thèse de Stéphane Bern d’une défense du patrimoine. Mais regardons immédiatement qui est Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879), emblématique de la démesure française.
Si on écoute en effet les historiens français, cet architecte serait à l’origine de pas moins toute l’architecture moderne, il serait une référence mondiale. C’est la même escroquerie qu’avec Victor Hugo, dont les écrits sont mauvais, simplement pittoresques parfois, et qui est présenté comme un auteur « mondial ».
On parle d’ailleurs de la même époque et l’approche pseudo-romantique, néo-gothique est exactement la même.
En réalité, Eugène Viollet-le-Duc est un escroc. Il est connu en France pour ses innombrables restaurations : la cathédrale Notre-Dame d’Amiens, celle de Paris, la basilique Saint-Denis, la Cité de Carcassonne, etc.
Mais ces restaurations ont donné naissance à l’expression « Faire du Viollet-le-Duc ». Car ce type sinistre qui a agi dans tout le pays, d’Avignon à Poissy, ne restaure pas. Il invente.
« Faire du Viollet-le-Duc », c’est restaurer en ayant une approche subjectiviste, c’est imaginer comment le lieu aurait pu être, et construire sur cette base. Une citation de lui est très connue :
« Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné. »
Le résultat est que quand vous regardez quelque chose en France, il faut se demander si Viollet-le-Duc n’est pas passé par là et n’a pas modifié les lieux, ce qu’il a appelé une « restauration ».
Si on va à Carcassonne, on doit supporter de voir des toitures coniques d’ardoise, comme dans le Nord de la France, au lieu de toitures plates couvertes de tuiles. Et il justifie cela en disant qu’il y a eu une influence des chevaliers du nord du pays.
Il en va de même pour la cathédrale Notre-Dame de Paris. Sa flèche initiale atteignait 83 mètres au-dessus du sol, mais elle n’existe plus au 18e siècle. Ce qui fait que c’est Viollet-le-Duc qui va en « inventer » une nouvelle, de 96 mètres de haut, au 19e siècle.
Après l’incendie, on a donc reconstruit la flèche « à l’identique », mais ce n’est pas la flèche historique pour autant ! C’est celle de Viollet-le-Duc. D’ailleurs, sous la flèche, on a également une statue de Saint-Thomas, qui regarde celle-ci. Elle représente… Viollet-le-Duc !
Pour prendre un autre exemple, on connaît bien les gargouilles de Notre-Dame de Paris. Elles sont d’époque. Les chimères ont par contre été placées par… Viollet-le-Duc, pour faire néo-gothique.
Passons maintenant aux vitraux. Voici ce qu’on lit sur le site officiel de la cathédrale de Paris. On y a un art consommé du « en même temps »: c’est d’époque, mais en fait… pas du tout.
« Les vitraux de Notre-Dame comptent parmi les chefs-d’œuvre de l’art gothique (…).
Avec le temps, la cathédrale souffre des intempéries. Les vitraux ne sont jamais nettoyés. Ils se salissent et leurs couleurs s’altèrent. Au XVIIIe siècle, l’effet lumineux et coloré a disparu.
A l’époque de Louis XV, les chanoines font détruire une partie des vitraux médiévaux pour les remplacer par du verre blanc aux sensations plus claires et modernes. Les roses du transept sud sont les vitraux anciens les mieux conservées. »
Viollet-le-Duc a ainsi posé de nouveaux vitraux, en couleur. Le ministre de la Culture assume pareillement le caractère renouvelé des vitraux :
« Entre 1855 et 1865, Jean-Baptiste Lassus et Eugène Viollet-le-Duc firent réaliser un décor vitré qu’ils souhaitaient le plus respectueux possible des traditions médiévales.
Leur programme fut réfléchi pendant une dizaine d’années avant d’être mis en œuvre suivant un agencement mêlant harmonieusement verrières figurées et verrières ornementales, vitraux à grandes figures pour les baies hautes du chœur, vitraux légendaires pour quelques chapelles et verrières en grisaille pour le reste de l’édifice.
La majeure partie du décor vitré de la cathédrale ayant été supprimée au XVIIIe siècle, les architectes s’appuyèrent pour les nouveaux vitraux sur des écrits évoquant les verrières disparues, des relevés de fragments anciens conservés, ainsi que sur les modèles présents dans d’autres édifices du Moyen Âge. »
Voilà pourquoi il y a eu si facilement l’idée de changer quelques vitraux. Ce n’est d’ailleurs pas une idée d’Emmanuel Macron, mais de Laurent Ulrich, archevêque de Paris.
L’Église a toujours cherché à se moderniser pour renouveler son hégémonie, et en 1938 les vitraux avaient déjà été renouvelés (puis les anciens remis en 1939 afin de protéger les nouveaux en cas de conflit !). Claire Tabouret ne tombe pas du ciel non plus : elle a exposé dans le pavillon du Vatican de la Biennale de Venise.
Voici ses propos d’artiste lèche-bottes par excellence, à la revue Connaissance des arts :
« Dans une époque comme la nôtre marquée par les guerres, les divisions et les tensions extrêmes, cette opportunité de mettre mon art au service de l’unité à travers le thème de la Pentecôte est une magnifique main tendue. »
On est ici dans la propagande religieuse la plus claire.
Et, de toutes façons, dans cette affaire de vitraux, on est dans la propagande de A à Z.
Stéphane Bern est somme toute un menteur, car il part en défense de l’héritage historique de la culture française… alors qu’il défend, en réalité, une œuvre déjà modernisée, et pas du tout historique.
L’Église est mensongère, car elle prétend représenter une tradition spirituelle intouchable, alors qu’elle s’adapte de manière opportuniste et le choix de l’art contemporain montre bien que son but est de vider les esprits, pas de les emplir.
Faut-il choisir son camp entre ces modernes et ces super modernes ? Bien sûr que non.
Dans le premier cas, on se retrouve à être aussi idiot que les 265 000 signataires d’une pétition lancée par La Tribune de l’art en faveur du maintien des vitraux, pétition qui dit ouvertement que tout cela est une invention et n’a rien d’historique !
« Les vitraux de Notre-Dame conçus par Viollet-le-Duc l’ont été comme un ensemble cohérent. Il s’agit d’une véritable création que l’architecte a voulu fidèle à l’origine gothique de la cathédrale.
Aux vitraux historiés du déambulatoire, du chœur et du transept s’ajoutent, dans les chapelles de la nef, des verrières purement décoratives en grisaille.
Il y a ici une recherche d’unité architecturale et de hiérarchisation de l’espace qui fait partie intégrante de son œuvre et que les travaux avaient notamment pour but de retrouver. »
Et si on prend parti pour le super modernes, on se retrouve simplement à préférer Claire Tabouret à Viollet-le-Duc, et donc à tourner le dos à ce que Notre-Dame possède d’historique dans sa substance.
Il n’y a d’ailleurs, au fond, pas de contradiction, simplement une nuance dans le moderne », et Stéphane Bern n’est d’ailleurs pas du tout contre l’art contemporain, ce qu’il avoue sans ambages dans l’interview à Ouest France.
« Je n’ai rien contre les vitraux contemporains. Il y en a à la cathédrale de Chartres et j’ai participé à la collecte. Mais je leur suis favorable quand les anciens sont détruits ou détériorés. On ne peut pas enlever des vitraux classés Monument historique. »
Car quel est le point commun de tous ces gens ? De tourner le dos au peuple, à l’Histoire, à l’art comme produit de l’Histoire et du peuple.
Toutes ces modifications intempestives de Notre-dame reflètent que pour les ennemis du peuple, Notre-Dame est un outil avant tout, certainement pas un acquis du patrimoine de l’Histoire française.
Il n’y a qu’une chose à faire : virer tous ces gens de Notre-Dame et en faire un bastion de la culture, avec une présentation historique détaillée par des guides lors de visites en groupes obligatoires.
Il doit être impossible d’approcher Notre-Dame sans avoir un aperçu matérialiste de ce qu’elle est dans sa substance : un produit de l’Histoire. C’est ça ou bien cela devient un produit de fiction, de Victor Hugo à Claire Tabouret en passant par Viollet-le-Duc.