Chaque jour la narration en faveur de l’entrée en guerre de la France continue, chaque jour la société est façonnée, l’État remodelé, les esprits adaptés pour que ça soit prêté comme inéluctable. La chronologie de l’escalade française contre la Russie depuis le 26 février 2024 est dans ce contexte l’arme politique par excellence.
Qu’a-t-on de nouveau, cette fois ? On a une « fuite » diffusée par le quotidien Le Monde, et qui bien entendu ne relève d’aucun hasard. On est dans l’orchestration, la mise en scène, le story-telling. Absolument tous les médias ont en ce sens repris l’information « tombée du ciel ».
Donc, Hubert Bonneau, directeur général de la gendarmerie, annonce à ses troupes dans un courrier qui leur est adressé que l’entrée en guerre de la France est une vraie question. Il parle de « point de bascule », de « l’hypothèse d’un engagement majeur ».
La France risque d’être attaquée !
« Depuis l’invasion russe en Ukraine, la possibilité d’un conflit armé et d’une agression du sanctuaire national doit sérieusement être envisagée. »
Qui va envahir la France ? Monaco ? La Belgique ? L’Allemagne et l’Italie, comme en 1940 ? Cela ne tient pas debout. Mais c’est ainsi qu’on galvanise les troupes et aucun agresseur militaire n’a agi différemment. Lors de toutes les guerres, il a été dit qu’il s’agissait purement et simplement de se défendre. Même l’Allemagne nazie utilisait ces prétextes.
C’est une protection oratoire. Hubert Bonneau dit de toutes façons en même temps de quoi il s’agit réellement, au fond : de la participation au conflit en Ukraine.
« Les évolutions politiques aux États-Unis avec leurs possibles conséquences sur l’Otan, vont sans doute pousser l’Europe à s’engager plus en avant pour sa propre défense.
Aussi le contrat opérationnel des armées est-il plus que jamais tourné vers l’hypothèse d’un engagement majeur. »
En langage indirect, « sans doute » veut dire inévitablement. En langage traduit, cela donne : les Américains vont arrêter d’aider l’Ukraine pour s’occuper de la Chine, c’est à l’Union européenne d’y aller contre la Russie.
Est-ce que cela veut dire qu’on va envoyer des gendarmes au front ? Absolument pas. Cependant, c’est d’une importance très grande.
Hubert Bonneau, en agissant ainsi, joue une pièce dans cette horrible partie d’échecs. Il place la gendarmerie dans le cadre du dispositif général d’une entrée en guerre.
La gendarmerie aura à maintenir l’ordre à l’intérieur du pays, et ce en étroite liaison avec l’armée. Elle devra exercer une pression énorme, sur les opposants à la guerre et la société, pour que tout fasse bloc.
La « gauche de la gauche » a souvent dénoncé un éventuel « État policier ». C’est totalement idiot : en France, c’est toujours l’armée qui a servi de levier à la réaction.
Et si les gens détestent les « flics », c’est parce que le policier est un type comme eux, avec qui d’ailleurs il est toujours discuté même en cas d’amendes. Avec des gendarmes, la discussion n’existe pas et s’il n’y a pas de dénonciation des gendarmes par les gens, c’est parce qu’ils sont considérés comme hors peuple !
C’est de moins en moins vrai, les gendarmes aussi se fondent dans le décor du capitalisme généralisé. Aussi le chef des gendarmes procède-t-il à une sorte de rappel à l’ordre : les gendarmes sont là pour agir comme bras « extérieur ».
« En tout point du territoire national, notamment en Outre-mer, différents acteurs et compétiteurs cherchent à déstabiliser la Nation (…). Face à cela, je veux insister sur notre lien avec les armées et sur l’enjeu structurant de la DOT (Défense opérationnelle du territoire). »
Ce qui ressort ici, c’est la contradiction interne à la gendarmerie nationale, qui fait office en pratique de police tout en ayant une dimension militaire. Là, il est clairement dit que la gendarmerie va agir comme support direct de l’armée – ce qui veut dire une militarisation des activités policières.
Cela change beaucoup de choses, ça veut dire que les activités de propagande anti-guerre, dans le cadre d’un conflit où la France entre en scène, auraient ainsi à subir les coups des services secrets et des gendarmes bien plus que de la police.
C’est la militarisation de la société française, conformément à la centralisation des pouvoirs (le gouvernement n’a pas de majorité mais gouverne quand même) et à l’esprit impérialiste qui règne au niveau international.
Le capitalisme français se renferme sur lui-même ; l’appareil d’État s’ossifie, l’armée prend les commandes stratégiques. Et Hubert Bonneau annonce que les gendarmes seront au premier rang sur le front intérieur.
« À cela, il convient d’ajouter la volatilité inédite du contexte politique et ses conséquences sur le plan budgétaire. Dans ce contexte, l’objectif est de préserver le centre de gravité du pays : la cohésion nationale (…).
Parce que la Nation fait face à des défis majeurs, nous devons aller vite, frapper fort, viser juste – tout cela à la fois (…). L’année qui commence sera dense. Elle n’autorise aucun immobilisme. »
On est carrément dans les années 1930 ! Et il faut agir comme dans les années 1930. Socialisme ou retombée dans la barbarie !