Comment caractériser une société en crise ? En voyant à quel point elle sombre dans la fuite en avant. En février 2025, la France découvre l’intelligence artificielle (IA) et prétend avoir trouvé la poule aux œufs d’or ; elle y fonce tête baissée, en annonçant des milliards d’euros à disposition. Ce serait la solution magique à tous les maux du pays, surtout pour relancer son capitalisme, pourtant bien à la peine.
Avec un déficit public annoncé à 161 milliards d’euros pour 2025 (et ce n’est que la première estimation, pas forcément sincère) accompagné d’une balance commerciale catastrophique (un déficit de 81 milliards d’euros), la France est un maillon faible du capitalisme occidental.
Pourtant, les annonces se succèdent à l’occasion du Sommet international sur l’IA à Paris lundi 10 et surtout mardi 11 février 2025.
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Le Premier ministre François Bayrou a d’abord annoncé la mise à disposition de 35 sites « clés en main » pour accueillir des centres de données, indispensable à l’entraînement et au fonctionnement des applications. Il est question d’une puissance cumulée d’un gigawatt pour 1 200 hectares de foncier, avec EDF et RTE directement dans la boucle.
On se demande bien où ces gens ont trouvé l’argent, mais de toutes façons il n’y aura pas un câble de branché avant au minimum 2027.
Il y a aussi les Émirats arabes unis qui ont annoncé vouloir construire en France un centre de donnée géant, pareil pour une puissance d’un gigawatt, avec plusieurs dizaines de milliards d’euros d’investissement. Rien n’a toutefois été décidé quant à sa localisation. On notera en tous cas que derrière cette annonce émiratie, il y a le fonds MGX déjà associé avec Microsoft et BlackRock.
Autrement dit, cet investissement viserait surtout à faire de la France une petite colonie numérique de la superpuissance américaine. Il y a aussi Brookfield, grand gérant d’actif canadien, donc américain, qui annonce 20 milliards d’euros d’investissements dans l’IA sur le territoire, ce qui signifie la même vassalisation américaine.
La France a également annoncé s’être associée au Chili, à la Finlande, au Nigeria, au Maroc, au Kenya, à l’Allemagne, à la Slovénie et à la Suisse pour espère lever au total 2,5 milliards de dollars sur les cinq prochaines. Le but, une intelligence artificielle plus « transparente et sécurisée », selon un communiqué, avec l’idée d’avoir des bases de données accessibles dans des domaines comme la santé et l’éducation pour alimenter les modèles.
En fait, c’est l’euphorie générale, car comme l’a dit le ministre de l’Économie Éric Lombard :
« Sur l’IA, nous sommes au meilleur niveau mondial. »
Et bien voyons ! Pour preuve du niveau mondial, il faudrait télécharger l’application Chat de l’entreprise française MistralAI, qui a annoncé dans le cadre du Sommet international avoir maintenant une application pour les smartphones (pour le grand public).
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Alors, comme c’est l’engouement, le Président Emmanuel Macron a décidé de s’adresser à la population à la télévision. La France serait merveilleusement bien positionnée dans le domaine et l’avenir radieux.
Pas de demi-mesure : le Président annonce 109 milliards d’euros d’investissement dans les prochaines années. Rien que ça !
Et pour donner une idée de la chose, Emmanuel Macron met la France au même niveau que les États-Unis : eux ont annoncé un plan à 500 milliards, le plan français serait dans « le même rapport ». Sur le plan psychologique, on se dira que cela frôle la mégalomanie, de la part du dirigeant d’un pays en décrochage, mais c’est assez secondaire.
Ce qui est remarquable surtout, c’est que cela fait à peine un an que les Français savent ce qu’est ChatGPT (et surtout car il été dénoncé comme support de triche par des élèves), ou bien ont une vision au moins générale de ce qu’est ou peut être l’intelligence artificielle. On a donc des annonces qui tombent du ciel de manière absolument horizontale, sans aucune forme de lien avec la population et le cours des choses.
C’est absolument artificiel (sans mauvais jeu de mot) et bien sûr sans aucun fondement démocratique. Les Français sont priés de se mettre à jour rapidement et d’intégrer cette fête du futur, salvatrice du capitalisme.
Pour se donner une idée du délire, on a par exemple la ministre du Travail (Astrid Panosyan-Bouvet), que personne ne connaît, qui demande à «toutes les entreprises» d’adopter l’IA. Comme ça, de but en blanc, sans même vraiment expliquer de quoi il est question. Sans même réfléchir à ce que cela signifie en pratique.
À rebours de cette intégration à marche forcer à l’IA pour restructuration du capitalisme, on remarquera la publication d’un dossier d’une grande valeur scientifique et pédagogique par le site matérialisme dialectique, intitulé « L’intelligence artificielle, prolongement de la cybernétique ».
Voilà qui est sérieux, avec une démarche tournée vers le peuple et sa raison, à l’inverse des fous furieux à la tête d’un empire en pleine chute, qui remuent ciel et terre pour sauver leur capitalisme à bout de souffle.
En tout cas, ce qui est clair politiquement, c’est que c’est la grande accélération. Ceux qui espèrent se replier sur leur vie privée, sur de vieilles idées, peuvent abandonner tout espoir. Tout va changer à très grande vitesse, que ce soit par la restructuration capitaliste ou pour la guerre de repartage du monde, ou plus exactement : à la fois par l’une et par l’autre.