La violente altercation entre Donald Trump et Zelensky vendredi 28 février 2025 était-elle calculée ? Ou alors était-ce une fuite en avant de la part des deux parties ?
Le protocole de la Maison blanche aurait demandé au Président ukrainien de venir en tenue civile pour annoncer un tournant, avec à la clef rapidement un accord de paix et de prétendus accords sur les minerais en faveur des Américains.
Mais Zelensky est venu dans son habituelle tenue militaire et Donald Trump lui a directement adressé un pic en l’accueillant. La suite a été à l’avenant : reproches acerbes, contestation vigoureuse des points de vue, ton qui monte, et finalement départ sans conférence de presse ni annonce commune.

Forcément, on ne saura jamais de quoi il en retourne dans les coulisses, mais ce n’est de toutes façons pas ce qui doit nous intéresser. Ce qui compte, c’est la marche de l’Histoire et la façon dont le monde marche à la guerre, inexorablement.
En l’occurrence, la situation est absolument critique. L’altercation entre Donald Trump et Zelensky n’a eu comme résultat que de renforcer le fanatisme européen en faveur de la guerre à la Russie.
Là, c’est un tournant majeur qui s’est produit. Auparavant, la guerre était américaine et les pays européens (avec la France et le Royaume-Uni en première ligne) travaillaient directement pour le compte de la superpuissance américaine. En tant que sous-traitant, mais à ses côtés.
Dorénavant, les Européens ont entièrement pris à leur compte la question ukrainienne. Sur le fond, la tendance est la même : ils n’ont aucune autonomie et n’agissent que comme vassaux intégrant le camp de la superpuissance américaine. En pratique pourtant, ils sont maintenant face au mur : ils n’ont plus d’autre choix que d’assumer la surenchère, en empêchant (en tous cas à court terme) toute possibilité d’un accord de paix.
Le premier à réagir a été le Président de la Pologne :
« Cher Zelensky, chers amis ukrainiens, vous n’êtes pas seuls. »
Puis il y a eu le Premier ministre espagnol :
« Ukraine, l’Espagne est avec toi »
Ensuite la ministre allemande des Affaires étrangères :
« L’Allemagne et nos alliés européens se tiennent unis aux côtés de l’Ukraine et contre l’agression russe. L’Ukraine peut compter sur le soutien indéfectible de l’Allemagne, de l’Europe et au-delà.«
Ainsi que la présidente de la Commission européenne :
« Votre dignité honore la bravoure du peuple ukrainien. Soyez fort, soyez courageux, soyez sans peur. Vous n’êtes jamais seul, cher Président Zelensky. Nous continuerons à travailler avec vous pour une paix juste et durable. »
La France est alors rapidement entrée en scène, avec le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot mettant sur la table la question d’une force armée européenne et demandant à « passer aux actes » :
« Il y a un agresseur: la Russie de Poutine. Il y a un agressé: le peuple ukrainien. Face à cela et pour notre sécurité collective, une nécessité: l’Europe. »
On apprenait ensuite qu’Emmanuel Macron avait parlé avec Zelensky directement. Ce dernier a rapidement répondu à un message public d’Emmanuel Macron :
« merci pour votre soutien »

Le Premier ministre français François Bayrou a pour sa part quasiment directement critiqué Donald Trump, en encensant de manière délirante Zelensky :
« À Washington, en refusant de plier, Volodymyr Zelensky était l’honneur de l’Europe. Il nous reste à décider ce que nous, Européens, voulons être. Et si nous voulons être, tout court. »
Ces mots ont une portée belliciste énorme, qu’il faut absolument souligner. Le Premier ministre français se félicite ici directement de l’échec d’un accord de paix et sous-entend un prétendu risque existentielles face à la Russie. La conséquence d’un tel message ne peut être que : il faut la guerre.
Dans le même genre, Emmanuel Macron a contredit Trump, qui reprochait à Zelensky d’emmener à la troisième guerre mondiale. Il reprend à fond la thèse (initialement américaine) de Vladimir Poutine comme menace mondiale.
« S’il y a une seule personne, qu’on a tous entendue nous menacer d’ailleurs du nucléaire, qui joue à la troisième guerre mondiale, il ne faut pas aller la chercher du côté du Kiev. Il faut plutôt chercher du côté de Moscou. »
« Si quelqu’un joue à la troisième guerre mondiale, c’est Vladimir Poutine. »
Mais la plus grande annonce a été celle concernant (l’abominable) arme nucléaire française. Emmanuel Macron (sans aucun mandat démocratique d’ailleurs) a lancé vendredi 28 février la proposition d’une force nucléaire européenne collective.
Autrement dit, la France diluerait entièrement sa souveraineté dans l’Union européenne en mettant en commun sa capacité à disposer de bombes nucléaires.
Cela devrait être au cœur des discussions entre dirigeants européens ce dimanche 2 mars 2025 à Londres. C’est d’ailleurs à Londres que s’est immédiatement rendu le navetteur mondial Zelensky dès samedi premier mars 2025, où il a été reçu par le premier ministre Keir Starmer (puis le « roi » Charles III) :
«Nous sommes aux côtés de l’Ukraine aussi longtemps que cela sera nécessaire»,
Dans la foulée, un accord sur un prêt de 2,26 milliards de livres (environ de 2,7 milliards d’euros) du Royaume-Uni à l’Ukraine a été signé, en guise de «soutien indéfectible au peuple ukrainien».
Ce « prêt » n’en est d’ailleurs pas un, puisqu’il est censé être remboursé… avec les bénéfices des actifs russes gelés. Impossible de nier dans ces conditions la teneur de l’escalade anti-Russe. Ceux-qui voudraient saboter des accords de paix ne s’y prendraient pas autrement !
Si, en raison de la position de Donald Trump, la question ukrainienne semblait pouvoir être relativement mise de côté pour un certain temps, il y a dorénavant un emballement belliciste nouveau, forcément supérieur, contre la Russie.
Et ce sont les Européens l’Union européenne + le Royaume-Uni, qui portent, assument et développent furieusement cette escalade. Concrètement, nous sommes au cœur du monstre, dans un pays comme la France.
Que dit justement Emmanuel Macron, qui va de plus en plus loin, dans une interview donné le 1er mars 2025 au Journal du Dimanche et au Parisien ?
« Il [Vladimir Poutine] ira à coup sûr sur la Moldavie et peut-être au-delà sur la Roumanie. »
Voilà la narration : il faut la paix, et pour la faire… il faut la guerre.
Comme les Américains « trahissent », il faut prendre leur place.
Quel retournement historique ! Le point de tension de la troisième guerre mondiale s’est dangereusement déplacé ici, depuis les États-Unis, en quelques heures.
Cela ne signifie pas qu’en arrière-plan, la guerre de repartage du monde entre la superpuissance américaine et la superpuissance chinoise ne soit plus principale. Mais la tendance historique à la guerre fait de l’Europe (à nouveau), le centre mondial de l’inexorabilité de la guerre (pour l’instant).
Le conflit sino-américain se voit accouplé au conflit entre les principales puissances européennes et la Russie.
On remarquera à ce titre les tensions au sein du camp européens, avec des forces de droite (Mélonie en Italie, Orban en Hongrie) ou national populiste (avec Marine Le Pen en France) qui assument dorénavant une ligne divergente. Et c’est tout à fait nouveau.
Ces forces sont maintenant isolées en disant qu’il faut s’aligner sur Donald Trump et laisser tomber (relativement) la question ukrainienne.
La première ministre italienne Giorgia Meloni est depuis plusieurs jours farouchement opposé à l’envoi de militaires italiens en Ukraine et plaide pour un mandat des Nations unies, avec le soutien de la Chine. Elle aurait été, d’après le grand quotidien italien Il Corriere della Sera, jusqu’à demander à Emmanuel Macron «à quel titre» il s’était rendu à Washington en début de semaine pour discuter avec Donald Trump du positionnement possible de troupes européennes en Ukraine.
Du côté Hongrois, Victor Orban a assumé un ton très virulent, très trumpien :
«Les hommes forts font la paix, les hommes faibles font la guerre. Aujourd’hui, le président Donald Trump a défendu courageusement la paix. Même si cela a été difficile à digérer pour beaucoup. Merci, Monsieur le Président !«
De manière plus mesurée, plus française, mais tout aussi significative, la leader de l’opposition en France Marine Le Pen a été clairement dans le même sens, en relativisant l’accrochage entre Trump et Zelensky (et donc en ne soutenant pas farouchement Zelensky).
« Que deux dirigeants de nations défendent leurs intérêts nationaux, défendent la vision qu’ils considèrent la plus juste pour le monde, ne m’apparaît pas quelque chose d’extraordinaire. »
Surtout, elle assume maintenant ouvertement la question de favoriser un accord de paix avec la Russie, ce qui est tout à fait nouveau.
« On a été, comme diraient les jeunes, ghostés de ces négociations, alors que notre pays aurait pu intervenir positivement.«
« Si la Commission européenne veut être à la pointe pour continuer la guerre, alors que ce sera un nouveau sujet de désaccord entre nous… Ce ne sera pas le premier. »
C’est à donner le tournis, et d’ailleurs les Français déjà largués ne comprennent rien. Ils abandonnent la réflexion ou bien ils se précipitent dans un sens ou un autre, sans voir la propre incohérence de leur démarche.
Les uns soutiennent le nationalisme de Donald Trump en s’imaginant « pacifiste », les autres prétendent refuser la domination américaine en prônant la guerre contre la Russie.
Les mêmes gens, qui hier étaient les pires valets de Washington, comme Emmanuel Macron, prétendent désormais vouloir une Europe indépendante… tout cela pour assumer la guerre.
Et au milieu de tout cela, il y a une gauche de la gauche, qui a commis un suicide politique au cours de cette séquence. Elle n’a jamais parlé de l’Ukraine en trois ans. Là, elle a commencé à le faire en s’imaginant qu’elle le pouvait, car la paix allait arriver, pensait-elle.
Elle a donc pris des positions « dures » : contre les impérialismes, contre la guerre, etc. Sauf que l’affaire n’est pas terminée, bien au contraire même, elle commence.
Et là, il faudra assumer les positions prises, ou bien capituler. Enfin bon, s’imagine-t-on des syndicalistes habitués aux manifestations répétitives et creuses devenir des Rosa Luxembourg et des Lénine pour faire face à la guerre en risquant la prison ou sa vie ?