Jeudi 20 mars 2025, les ministres de l’Économie, Eric Lombard, et des Armées, Sébastien Lecornu, ainsi que le président de la Direction générale de l’armement( DGA), Emmanuel Chiva, ont tenu une réunion sur les investissements financiers à réaliser dans le complexe militaro-industriel français pour répondre aux besoins de la guerre à la Russie.
Cette réunion a mis autour de la table les représentants des principales (grosses) entreprises du secteur à travers leur regroupement en différents groupes d’industriels, tels par-exemple Alain Dulac, PDG de Factem, présent surtout au nom du GIFAS (groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), et les représentants du secteur du capital financier.
La réunion avait deux buts : établir la robustesse du tissu industriel, composé de 4500 entreprises sous-traitantes, évoluant dans les domaines civils et militaires, en repérant les fragilités. De manière plus globale, il s’agissait de cibler les sources de financement pour augmenter les cadences de production de véhicules blindés, missiles, avions, navires, et autres armes en tous genres.

Il est en effet visé d’ici 5 ans, soit 2030, un rythme annuel de dépenses militaires de 100 milliards d’euros contre environ 50 actuellement, ce qui correspondait déjà à une hausse de 20 milliards d’euros par rapport au milieu des années 2010. Évidemment, les 100 milliards annuels ne correspondent pas aux seules dépenses en armements, mais à court terme la somme dans ce domaine est colossale.
Il est parlé de financer la hausse des commandes à hauteur de 17,5 milliards d’euros, comprenant 5 à 7 milliards d’investissements nouveaux à horizon 2030. À court terme, il s’agit de trouver 1 à 3 milliards d’euros.
Reste que financer de telles productions est un vrai une casse-tête pour la bourgeoisie : comme financer tout cela sans aller frontalement contre le niveau de vie des gens, faisant régresser la base à la consommation ? Comment financer cela sans passer par de la dette alors que la France est endettée jusqu’au cou ?

Il faut pouvoir faire sauter les obstacles à l’investissement, aller piocher dans l’épargne privée et dans de multiples fonds d’investissements, français mais aussi européens. C’est la raison pour laquelle était notamment convié Nicolas Namias, président du groupe BPCE, résultat de la fusion des banques populaires et des caisses d’épargne en 2009, deuxième plus grande banque coopérative française.
Parmi les obstacles, il y a ceux légués par la phase libérale qui a précédé celle actuelle du retour de la guerre de repartage impérialiste. C’était l’époque où l’État a composé avec la société civile et ses exigences d’impositions de normes mais aussi avec l’utopie d’un monde sans « guerre de haute intensité ». Il ne faisait pas bon d’investir dans l’armement…
Il y a notamment la règle ESG pour environnement, société, gouvernance, sensée flécher les investissements vers des entreprises respectant ces normes et, à l’inverse, pénaliser celles ne les respectant pas ou pas assez. Évidemment, cela n’avait du sens que pour ceux qui y croyaient, chaque entreprise pouvant truquer, magouiller ces règles…
Reste que le secteur de l’armement ne pouvait, lui, masquer son impact environnemental délétère, son opacité intrinsèque, etc., avec pour conséquence une limitation de ses capacités de financement. Mais cela ne posait pas tant problème tant que l’industrie répondait à une armée professionnelle réduite… Là il s’agissait de produire en masse et tout de suite les financements deviennent massifs, exigeants.
Il faut donc faire sauter, ou au moins affaiblir suffisamment des tas de normes et règlements. De la même manière qu’un signal fort se devait d’être envoyé aux investisseurs pour les rassurer et leur garantir de bons retours sur investissements en termes de profits. Pour le capitalisme privé, investir dans l’armement c’est investir sous la direction publique de l’État, il faut donc avoir de sérieuses garanties…
C’est ce qu’affirment les deux ministres Sébastien Lecornu et Eric Lombard dans la présentation à la presse de cette réunion :
Nous allons accroître la capacité des investisseurs privés et publics à se positionner sur la défense en assurant sa compatibilité avec le financement durable. Nous permettrons enfin aux Français qui le veulent d’orienter leur épargne vers la défense, et travaillons dès à présent à structurer un dialogue plus efficace entre l’industrie de défense et le secteur financier.

C’est la raison pour laquelle l’État, au travers de la Banque publique d’investissement (BPI) mise en place sous le mandat de François Hollande, à l’époque pour financer des industries en difficultés, va mobiliser 1,7 milliards d’euros dans le but de sécuriser la confiance du secteur des banques et des assurances.
En parallèle, la BPI lance un livret « Bpifrance Défense », avec une somme de 450 millions d’euros, et un accès aux épargnants fixé à 500 euros. Il y a aussi des attentes d’investissements dans le cadre de la loi « Industrie verte » et la caisse des dépôts va redéfinir la définition des « infrastructures stratégiques » pour réorienter certains de ses investissements dans le complexe militaro-industriel.
Il faut bien voir qu’il n’y a aucune « organisation » du capitalisme mais simplement une mise en forme à court-terme pour gérer la course aux armements dans le cadre d’une fusion du capital industriel et financier au sein-même du complexe militaro-industriel.
Enfin, les deux autres problèmes soulevés lors de cette réunion relèvent directement, là aussi, de la crise générale du capitalisme commencée en 2020.

C’est la question de l’approvisionnement en matières, qu’il s’agit de protéger, alimentant ici d’ailleurs la tendance à la guerre, et celle du recrutement de la main d’œuvre qualifiée, dont l’industrie de l’armement est en déficit sévère. On y apprend la création d’une « réserve industrielle de défense », avec 3 000 réservistes pouvant être déployées à tout moment dans les entreprises, sans oublier le « partenariat » entre France travail et la DGA pour ramener des chômeurs vers l’industrie d’armement….
Pour couronner le tout, ce même jeudi 20 mars 2025, les ministres des armées et de l’économie ainsi que le président de la DGA, se rendaient à Bergerac pour inaugurer une nouvelle ligne de production à l’usine de poudre pour obus détenue par Eurenco.

On l’a donc compris : c’est la fin du rêve petit-bourgeois de la « moralisation » du capitalisme, et de celle de l’Union européenne comme soi-disant vecteur d’un capitalisme « durable ». Dorénavant, ce qui prime ce sont les grandes entreprises de l’armement pour faire la guerre et « tirer » l’économie. Fini le rêve libéral-démocrate, place au rouleau compresseur du capitalisme le plus brutal et anti-démocratique !
Pour cela, la France peut compter sur son régime de la Ve République qui a pris le caractère d’un régime semi-fasciste depuis sa crise ouverte à l’été 2024.
La haute fonction publique dirige l’appareil d’État, avec un parlement anesthésié, et le complexe militaro-industriel prend de plus en plus de la place dans cette direction.
À ce titre, il faut mentionner la mise en place d’un espace institutionnel de dialogue entre investisseurs, hauts fonctionnaires et industriels, co-présidé par Philippe Brassac, directeur général du Crédit Agricole et Hervé Guillou, ancien PDG de NavalGroup. Voici la présentation qui en a été faite :
Son objectif est de garantir un échange régulier entre les acteurs des deux secteurs, de créer des groupes de travail ad hoc sur des problématiques identifiées par des membres de l’instance ou encore de lancer des initiatives de place visant à renforcer le financement des entreprises de la défense. Le travail s’articulera notamment autour des thèmes suivants :
→ Améliorer les délais de paiement au sein de la chaîne de valeur de l’industrie de défense ;
→ Rendre les doctrines d’investissement favorables à la défense ;
→ Renforcer le financement en fonds propres par la mobilisation des fonds d’investissements et de l’épargne des Français
Cela va signifier un renforcement de la dictature des monopoles du capitalisme sur la vie des gens. Pour faire la guerre, il ne peut plus être toléré une critique, tout doit doit aller dans le même sens, celui de l’unité nationale dans le cadre d’une collaboration de classe qui neutralise tout.
La réunion du 20 mars 2025 entre dans ce cadre historique. Le poids du complexe militaro-industriel se renforce sur tout l’appareil productif français et sur toute la société de manière générale. C’est le rouleau compresseur du bellicisme et du militarisme pour sauver la France dans la guerre de repartage impérialiste qui ne fait que commencer.
Préparez-vous à affronter ce colosse aux pieds d’argiles : ou la Guerre empêche la Révolution, ou la Guerre provoque la Révolution !