S’il doit y avoir des sceptiques sérieux (donc pas des ultras de droite) quant à l’engagement militaire contre la Russie, c’est dans le lectorat du Figaro qu’ils se trouvent. Cela tient à des restes gaullistes dans la droite traditionnelle.
C’est ce que se disent forcément les belliqueux autour d’Emmanuel Macron et c’est pourquoi ils ont envoyé le Président ukrainien s’entretenir avec Le Figaro, comme parallèle « sérieux » à la propagande de masse faite parallèlement le même jour à la télévision d’État.
Volodymyr Zelensky le comédien a pris son rôle très au cœur, allant très loin dans les explications pour convaincre. Mais d’abord, d’entrée de jeu, il a fallu poser le cadre, et réclamer des troupes européennes. Avant il était réclamé des armes et du soutien financier, maintenant c’est directement des contingents dont ils discutent avec Emmanuel Macron.
« Nous parlerons des contingents, bien sûr. Nous devons définir nos besoins, savoir qui est prêt à envoyer des troupes, lesquelles, combien, pour les mettre où ? Combien de pays sont vraiment prêts à le faire ? C’est un sujet difficile et important. »
Cependant, il n’a pas oublié de réclamer encore de l’argent, en assumant de demander à faire exploser tout le cadre international légal et toute la confiance économique basique, en se faisant allouer les avoirs russes gelés.
Une telle opération serait du suicide pour la France d’un point de vue international, car il s’agirait d’un acte de piraterie primaire entachant durablement son crédit. Mais peu importe, la folie guerrière est telle que cela est assumé.
« Nous voudrions que les avoirs russes gelés soient utilisés pour équiper notre armée. Car une armée ukrainienne renforcée et solide sera notre plus grande garantie de sécurité. »
On remarquera au passage que le soit disant « entretien » avec Le Figaro est en réalité une tribune, car il n’y a aucune question journalistique, ni aucun rebond à propos de ces paroles, en l’occurrence ici de sa demande délirante de se voir attribuer les avoirs russes.
Mais là où c’est intéressant surtout, c’est sur le fond. Le Président ukrainien a tenté d’expliquer aux lecteurs du Figaro que quoi qu’il arrive, les choses sont pliées : il n’y aura pas d’accord de paix, il n’en veux pas.
« Une chose est certaine : nous ne céderons jamais à la Russie nos territoires occupés. Ces terres appartiennent aux Ukrainiens. »
Il est ensuite ajouté, pour les idiots qui voudraient y croire, que cela pourra aboutir sans les armes.
« Quand les récupérerons-nous ? Sans doute pas tout de suite. Il faudra peut-être le faire diplomatiquement. La diplomatie fait moins de victimes, elle cause moins de pertes que les armes. »
Ce qu’on doit comprendre, c’est que le Président ukrainien et le Président français discutent maintenant de l’après, de la façon dont ils vont organiser leur guerre contre la Russie.
Cela réclame la mise en place de tout un dispostif, et de la narration qui va avec. Les mots sont donc très précis, avec un récit élaboré, il cherche à ne pas heurter, il est emprunt d’une certaine naïveté… mais le fond est clair comme de l’eau de roche pour quiconque s’appuie sur les principes et valeurs de la Gauche historique.
« Nous avons créé et consolidé notre indépendance. Mais ce n’est pas assez.
Car la guerre n’est pas terminée. Quand elle sera finie et que nous aurons des garanties de sécurité assez solides pour empêcher qu’elle ne reprenne, nous pourrons nous féliciter d’avoir déjà réussi à sauvegarder notre identité, notre indépendance et notre souveraineté.
Nous l’avons fait grâce à notre peuple, à nos alliés proches et à nos partenaires, et bien sûr à notre armée.
Mais vous savez, c’est difficile de parler de victoire en pleine guerre, car chaque famille ukrainienne a perdu quelqu’un ou quelque chose.
Seuls les livres d’histoire peuvent parler d’une vraie victoire. Pour les familles, celles qui ont perdu un fils, un frère, un mari, la seule vraie victoire serait de les ramener à la maison.
Mais c’est impossible. Aujourd’hui la victoire, pour nous, consiste à sauver notre nation, notre indépendance. Elle consiste à avoir la liberté de ne pas appartenir à la Russie ou à sa manière de voir le monde.
La liberté, pour nous, ce n’est pas qu’un simple mot. Nous voulons pouvoir décider comment vivre, avec qui, qui aimer. Ce sont des mots simples, mais ils concernent notre droit à vivre comme nous le voulons.
Chaque matin, nous voulons savoir que les Ukrainiens sont libres et que la matinée leur appartient. »
Et pour être plus clair, quand il lui est demandé ce qui le fait tenir, il répond que c’est le monde libre, puis il ajoute, sans fard :
« La deuxième motivation, c’est la haine des Russes qui ont tué tant de citoyens ukrainiens.
Je sais bien qu’en période de paix, il n’est pas poli d’utiliser ce mot.
Mais quand on est en guerre, quand on voit des soldats rentrer sur son territoire et tuer des personnes innocentes, je vous le promets, on peut ressentir cette haine. »
Volodymyr Zelensky s’aligne entièrement sur le nationalisme ukrainien, pour qui la Russie doit être réduite à une Moscovie, avec le territoire russe actuel découpé en plusieurs entités. C’est entièrement assumé.
Et il montre dans Le Figaro qu’il assume jusqu’au bout, demandant aux Français de le suivre dans sa haine fanatique de la Russie.
Quand il lui est parlé de Donald Trump, il botte en touche et en rajoute une couche sur Poutine, avec un discours absolument inverse d’un discours cherchant la paix.
C’est un choix tactique, car il sait que Vladimir Poutine a une très mauvaise image, et il peut ainsi éviter de dénoncer unilatéralement la Russie. Cependant, la ligne du régime ukrainien est très claire : la Russie doit être détruite.
« Je voulais partager des informations relatant des faits avérés pour montrer à Donald Trump le vrai visage de la Russie. Je voulais lui prouver que Poutine ne voulait pas arrêter la guerre.
Car il aime la guerre, il joue avec elle comme un enfant avec un jouet.
Son but est de détruire l’Ukraine en tant que pays indépendant, de l’empêcher d’être libre et de choisir ses alliances.
Poutine est un menteur. Il joue en permanence avec la guerre. Mais pour nous, il ne s’agit pas d’un jeu mais d’une tragédie. Cet épisode aurait pu rompre l’unité entre l’Europe et les États-Unis. Cela aurait été, alors, un gros succès pour les Russes. »
Ce que les lecteurs du Figaro sont tenus de comprendre, c’est par conséquent qu’il ne doit surtout pas y avoir de négociations de paix, que de telles négociations ne peuvent être qu’une tromperie, que la Russie veut envahir l’Union européenne.
« L’intérêt de Donald Trump est de finir cette guerre le plus vite possible. Nous avons le même souhait.
Mais stopper cette guerre, c’est stopper Poutine.
Pas quelqu’un d’autre, non, mais stopper Poutine.
Certains diplomates ont vraiment essayé d’arranger les choses mais ils ont fait beaucoup d’erreurs en essayant d’entretenir de bonnes relations avec lui, en essayant de créer une atmosphère propice aux négociations.
Mais Poutine est Poutine et le restera. Il comprend ce que vous voulez dès la première seconde. Il ne recule que face aux hommes forts. Il faut être fort pour obliger à arrêter sa guerre. »
Les citations ici sont longues, mais pourtant elles ne sont qu’un échantillons. Volodymyr Zelensky a rabâché en long en large et en travers dans Le Figaro à quel point rien n’était possible avec la Russie, et qu’il fallait donc des troupes européennes.
Igor Jovkva, un conseiller du président Volodymyr Zelensky, a d’ailleurs expliqué le même jour à l’AFP que l’Ukraine avait besoin non pas de forces pour maintenir la paix, mais de soldats
« prêts à combattre ».
Pour enrober le tout sur un ton mélodramatique, la fin de l’échange est lunaire, avec des choses ridicules comme :
« Craignez-vous pour votre vie ?
Ce sont plutôt mes gardes du corps qui doivent avoir peur ! Car si je meurs ils perdront leur boulot ! Mais ce sont des pros ! Je refuse de me laisser envahir par cette question. »
Mais c’est tout à fait secondaire. Le principal, c’est de voir comment est façonné sérieusement une propagande de guerre, pour mener la France à l’engagement militaire contre la Russie plein et entier.
La séquence qui se joue est absolument décisive, comme est décisif de voir à quel point en face il n’y a aucune opposition.
La France, engluée dans son capitalisme en pleine décadence, cherche une porte de sortie dans la guerre de repartage du monde.
Soit la révolution empêche la guerre, soit la guerre provoque la révolution !