L’option « Bardella » pour éviter la faillite du régime

7 novembre 2025

Devant les présidents de groupes du Sénat le 6 novembre 2025, le Premier ministre Sébastien Lecornu s’est voulu ferme.

« Je ne serai pas le Premier ministre qui fera une passation de pouvoir avec Jordan Bardella. »

C’est le chantage envers les députés :

« Censure sur le budget vaudra démission, et cela vaudra dissolution. »

Seulement, en même temps, le régime est à bout de souffle et ne tient que par la passivité des masses, qui refusent obstinément la politique.

Le pire exemple de cela est le fait qu’Emmanuel Macron a pu tranquillement esquiver la grave crise du cambriolage du Louvre. Il n’y a eu aucune démission, malgré des révélations ahurissantes quant aux graves manquements à la sécurité de la part de la direction du musée et de l’État.

Quant à la vague de contestation de septembre 2025, il n’en reste rien. Il y a eu un vrai ressenti, mais les faiblesses sont telles sur tous les plans – humainement, culturellement, intellectuellement, pour ne pas parler de politique et d’idéologie – que rien de concret n’a jamais pu ressortir.

Car rien ne naît de rien et pour qu’il se passe quelque chose, encore faut-il faire quelque chose. Quelque chose qui ait du sens, au niveau historique.

Ainsi, la crise de régime est telle que le Parlement ne consiste dorénavant qu’en une farce, avec une Assemblée nationale où les députés sont de véritables comédiens. Et le pays continue de tourner, avec en toile de fond la mise en place de Jordan Bardella. C’est la petite musique du moment.

En attendant ce « sauveur providentiel », l’enjeu en automne est celui de voter un budget, pour l’État ainsi que pour la Sécurité sociale.

Or, le gouvernement n’a aucune assise politique, et donc aucune capacité d’action. Le premier ministre Sébastien Lecornu a expliqué qu’il renonçait à l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour éviter le passage en force face au Parlement…

En fait, il y renonce car il est tellement en position de faiblesse qu’il ne pouvait pas s’en servir : son gouvernement sauterait immédiatement en engageant sa responsabilité.

Le ministre s’imagine retourner une faiblesse en un argument à son avantage, c’est en fait le reflet d’une pathétique faiblesse politique, dans un contexte de crise.

Cela sert à masquer les choses, aussi. Actuellement, le petit jeu à l’Assemblée nationale est de voter une multitude de choses… qui ne passeront jamais, ou qui ne servent à rien. C’est surtout la (fausse) Gauche et le Rassemblement national qui s’y adonnent en célébrant des pseudo victoires, qui ne seront en réalité jamais inscrites dans la loi de finance.

D’ailleurs, il n’y aura peut-être même pas de loi, mais simplement une reconduction du budget de l’année précédente. Les amendements (inutiles) sont cependant tellement nombreux que l’examen de la partie « recettes » du budget n’a pas pu être clôturé mardi 4 novembre et c’est le projet de loi de financement de la Sécurité sociale qui est étudié depuis, avec le même cinéma.

On est dans une situation qui est, finalement, celle de la Troisième République. C’est le chaos parlementaire avec un pays qui tient par ses institutions et la passivité des masses.

D’où le story-telling, la fiction. L’imagination parlementaire est telle qu’au gré des amendements et d’alliances de circonstance pour les voter, les députés ont inventé pas moins de 40 milliards d’euros d’impôts supplémentaires par rapport à l’année en cours.

Cela n’a bien entendu aucun sens, cela ne correspond à aucune réalité économique ni même fiscale. Et il faut s’attendre à une comédie encore plus pathétique de la part de la (fausse) Gauche et des députés du Rassemblement national quand il va s’agir de voter les dépenses. Leur racolage est sans limite, et ils inventeront tout et n’importe quoi pour prétendre à des victoires.

La France baigne donc incontestablement dans une ambiance « fin de règne », avec une bourgeoisie incapable de produire un personnel politique compétent à son service. Le député (Générations) Emmanuel Duplessy fait remarquer de manière très significative :

« Au travail on est rarement autorisé à consommer de l’alcool. Ici [à l’Assemblée] c’est de 9h à 00h, c’est problématique, la buvette fait 100 000€ de recettes.

Cela en dit long ! Et dans un tel contexte, le régime n’a plus d’autre choix que d’envisager l’hypothèse d’un gouvernement populiste, et c’est pourquoi la figure de Jordan Bardella est de plus en plus mise en avant.

Au sens strict, il faudrait dire qu’il est crédibilisé par le régime, qui après s’être servi du Rassemblement national comme d’un épouvantail, peut maintenant l’utiliser pour sauver les meubles.

La France n’est pas un régime démocratique et les figures politiques sont en effet souvent littéralement fabriquées par le haut. Ce fût bien entendu le cas d’Emmanuel Macron. C’est le cas de Jordan Bardella en ce moment.

Celui-ci a donné suffisamment de gages au régime en rappelant régulièrement ses positions en faveur de l’Otan et contre la Russie. C’est l’essentiel, le reste étant relativement anecdotique du point de vue de la bourgeoisie française en faillite.

Même le Figaro, faiseur de roi dans le pays (étant le journal le plus sérieux, lu par les personnes les plus sérieuses, ou en tous cas les moins décadentes), se met à « apprécier » Jordan Bardella. Il n’est plus honni, mais invité carrément à publier une tribune, après avoir été l’objet d’un éditorial élogieux, entre autres.

Cela ne doit rien au hasard. Il s’agit d’une véritable narration, pour rendre acceptable le personnage. Le moment le plus important de ce récit est cette tribune dans laquelle il explique qu’il n’est assurément pas de gauche.

Le populisme de Marine Le Pen l’a emmené depuis pratiquement 15 ans maintenant à se positionner très fortement sur le terrain social. D’abord de manière quasiment fasciste à ses débuts, avec un positivement national et social très fort, puis de manière beaucoup plus édulcorée depuis 2017, avec un positionnement social réformateur faussement nationaliste (Marine Le Pen critique à peine l’Otan, et Jordan Bardella est ouvertement favorable à l’Otan, ce qui serait impossible au sens strict pour des nationalistes).

Le positionnement « social » du Rassemblement national est très efficace pour engranger des voix dans les classes populaires. Par contre, cela empêche tout crédit auprès de la bourgeoisie industrielle, des petits entrepreneurs et des investisseurs. Ceux-ci se moquent bien de la politique, mais par contre il faut que le climat des affaires leur soit favorable.

C’est pourquoi Jordan Bardella s’est adressé à eux dans sa tribune.

« C’est pour cela, aussi, que nous avons voté – et obtenu – un impôt sur les sociétés réduit sur les TPE-PME jusqu’à 100 000 euros de bénéfices, l’exclusion des ETI de la surtaxe annoncée, ou encore le démantèlement de la taxation des biens professionnels au sein des holdings qui s’apparenterait à un véritable « ISF anti-PME ».

Par ailleurs, et puisque la diminution drastique des impôts de production constitue une ambition économique forte du RN, nous avons agi en faveur de la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et avons œuvré pour sa suppression complète, bien que rejetée par les autres groupes (…).

[…]

J’entends, de la part de certains, qu’exiger d’une multinationale étrangère réalisant des bénéfices en France qu’elle s’acquitte de la même imposition qu’un commerce de proximité ou qu’un grand groupe français serait chose critiquable, qui rappellerait les heures sombres du collectivisme ; quelle bévue !

Nous refusons les postures. Nous voulons des résultats : moins de dette pour la nation, plus de compétitivité pour les entreprises françaises.

De surcroît, nous portons l’ambition de baisser la fiscalité de 25 milliards d’euros sur les familles, et de 20 milliards sur les entreprises. »

D’un côté, à l’Assemblée nationale les députés Rassemblement national s’adonnent à un large racolage social-populiste en concurrence avec la (fausse) gauche.

De l’autre, dans la presse bourgeoise sérieuse, le chef du parti et probable candidat à la future élection présidentielle rassure la bourgeoisie et montre sa parfaite intégration au régime.

Telle va être l’actualité des prochains mois. C’est pratiquement la seule option pour le régime, qui va tout faire pour se sauver en évitant une grave crise.

Cela renforce la nécessité d’un vrai travail de fond de la part de l’avant-garde des masses populaires, de la part de ceux et celles qui ont une conscience élevée de la situation, et qui ne sombrent pas dans le pessimisme et la capitulation, ou bien le pseudo-militantisme à la fois folklorique et vain.

Nous avons besoin de l’intelligence du Socialisme !