Voici une tribune de la branche française de la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires. À l’occasion des 75 ans des « horreurs des bombardements nucléaires de Hiroshima et Nagasaki », elle rappelle à quel point cette question est plus que jamais d’actualité, particulièrement en France. Le démantèlement immédiat de l’arsenal nucléaire de notre pays doit être point fondamental et indiscutable du programme de la Gauche. Rien ne peut justifier un tel pouvoir de destruction, aucun gouvernement véritablement démocratique et populaire, pacifique et internationaliste, n’est possible sans se débarrasser immédiatement de telles armes.
« Nous devons refuser les armes nucléaires
Soixante-quinze ans après les horreurs des bombardements nucléaires de Hiroshima et Nagasaki, les Etats disposant d’armes nucléaires investissent toujours des dizaines de milliards d’euros, en vue de leur modernisation et de leur renouvellement. Devant la complexité de la tâche de parvenir à l’élimination de ces armes de destruction massive, il serait tentant de rester dans le déni, comme le font trop de personnes à l’égard du changement climatique. Mais nos organisations, regroupées dans la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (Ican en France), pour paraphraser les mots de Camus au lendemain du 6 août 1945, se refusent à tirer d’une aussi grave nouvelle autre chose que la décision de plaider encore plus énergiquement pour la mise en œuvre de l’interdiction et de l’abolition des armes nucléaires. (Tribune publiée, le 5 août 2020 sur Libération par les organisations membres de ICAN France)
Nous revenons de loin. Si l’on se retourne sur le temps écoulé depuis les 6 et 9 août 1945, nous avons eu beaucoup de chance : entre course aux armements – avec un arsenal nucléaire mondial qui a atteint le chiffre astronomique de 69 368 ogives en 1986 –, accidents nucléaires militaires qui ont avorté par chance (Goldsboro en 1961, Palomares en 1966, Thulé en 1968…) ou par courage (26 septembre 1983, colonel Petrov) et des tensions extrêmes (Cuba en 1962, confrontation indo-pakistanaise du Kargil en 2001). Par ailleurs, face au risque d’utilisation de ces armes, l’importante mobilisation d’un grand nombre d’organisations et d’individus a permis d’obtenir la mise en place d’un droit international de plus en plus contraignant en faveur de la non-prolifération et du désarmement nucléaire, notamment le Traité de non-prolifération (1968) et le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (1996).
Alors que le risque de détonation nucléaire avec son flot de potentielles conséquences humanitaires, environnementales et sanitaires, n’a jamais été aussi imminent en ce début de siècle, l’adoption du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian) par 122 Etats le 7 juillet 2017 à l’ONU montre que la résistance d’une large majorité d’Etats non-possesseurs et de nombreuses ONG (dont la campagne Ican) s’est amplifiée. Ce n’est pas une vue de l’esprit ou une croyance, mais une réalité avec l’entrée en vigueur d’ici quelques mois du Tian. Cette nouvelle norme de droit est d’ores et déjà efficace, si l’on en juge par les pressions diplomatiques exercées par la France et les autres puissances nucléaires pour dissuader Etats, villes et même des opérateurs privés de rejoindre ou de soutenir un traité dont l’ambition est de renforcer la sécurité internationale…
Résistons aux côtés des Hibakushas
«Nous avons vécu le feu des bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki, il y a soixante-quinze ans. Nous avons consacré notre vie à nous assurer que notre génération serait celle du dernier hibakusha – les survivants des bombes atomiques. Nous avons appris à être courageux, pleins d’espoir et audacieux. Nous avons appris que c’est à des gens comme vous et moi de se dresser contre les armes nucléaires et les dirigeants qui menacent le monde avec elles. Le dernier grand défi auquel nous sommes confrontés est d’interdire et d’éliminer ces armes. Affrontez-le avec nous, nous y sommes presque.» (Engagement à soutenir les Hibakusha, Ican, juillet)
Résister, c’est s’engager avec détermination devant ce qui apparaît «intouchable». Comme citoyen français, nous sommes confrontés à chaque instant à cette bombe. Le budget dissuasion, issu de nos impôts, nous coûte 9 000 euros par minute en 2020, à l’heure où des acteurs du service de santé crient devant l’urgence sanitaire. Des banques, en contradiction avec leur politique de responsabilité sociétale de l’environnement (RSE), investissent notre épargne dans les entreprises fabriquant des systèmes d’armes nucléaires. Notre génération et les futures vont devoir gérer et payer pour le stockage d’un minimum de 15 000 m3 de déchets nucléaires militaires. Quant à la protection de l’environnement et de la biodiversité, cause essentielle, les efforts et luttes seront réduits à néant si le «bouton» nucléaire est poussé. La liste serait longue de tous les effets dangereux auxquels notre Etat nous expose en conservant une politique de dissuasion, qui consiste à être prêt en permanence à utiliser des moyens de destruction sur des populations civiles et en engageant les Etats de l’Union européenne à la soutenir.
Les campagnes (par exemple, via le Mouvement de la paix, Pugwash, Abolition 2000…) pour le désarmement nucléaire sont nées au lendemain de Hiroshima et Nagasaki. Mais la résistance est devenue plus organisée, plus active, non seulement à travers ces organisations, mais aussi avec de nouveaux acteurs (voir les signataires de cette tribune), comme le sont des villes françaises (dont Paris, Grenoble, Cordes-sur-Ciel et une vingtaine d’autres) et à travers le monde (plus de 300) qui sont convaincues que leurs habitants ont le droit de vivre dans un monde libéré de cette menace nucléaire et qui, pour cela, soutiennent l’interdiction des armes nucléaires.
Notre pays a une position et un rôle singulier. Certes, son arsenal est moindre (300) par rapport aux Etats-Unis (5 800) ou à la Russie (6 375), mais la France a le quatrième plus grand arsenal au monde. Cette France dont un sous-marin transporte en permanence un millier de Hiroshima, alors que dans le même temps son ministre des Affaires étrangères affirme que «le respect du droit international humanitaire n’est pas une option [mais] c’est une obligation» (Conférence nationale humanitaire, 22 mars 2018) et que son Président s’interroge sur la prise en compte d’un crime d’écocide… alors qu’il pourrait lui-même en être l’auteur !
Nous engageons les associations et les individus à nous rejoindre pour agir et faire résonner cet appel des Hibakushas. Nous pouvons tous résister et agir à notre niveau en interrogeant l’action des élu·e·s (parlementaires et maires), en s’informant, en sollicitant sa banque de respecter ses engagements d’acteur responsable, dans l’objectif de contraindre le Parlement et le pouvoir exécutif d’engager le processus de signature et de ratification du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
Signataires :
- Behar Abraham, Association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire (AMFPGN)
- Bordé Jacques, Pugwash France
- Denis Arielle, Campagne Internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN France)
- Lalanne Dominique, Abolition des armes nucléaires – Maison de Vigilance
- Nivet Roland, Le Mouvement de la Paix
- Pellicani Christian, Mouvement National de Lutte pour l’Environnement (MNLE)
- Perrin Serge, Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN)
- Quilès Paul, Initiatives pour le Désarmement Nucléaire (IDN)
- Rio Philippe, AFCDRP-Maire pour la Paix France(AFCDRP) »