Le régime turc est dans une perspective guerrière ultra-agressive. En face, la France soutient la Grèce et pousse elle-même à la guerre en s’érigeant comme le gendarme de la Méditerranée.
Lors des célébrations du Jour de la victoire dimanche 30 août 2020, une fête nationale turque marquant une victoire militaire contre la Grèce en 1922, Recep Tayyip Erdoğan a tenu des propos particulièrement agressifs. Il assumait ouvertement la possibilité de faire la guerre en raison du litige concernant les eaux territoriales en Méditerranée orientale :
« Lorsqu’il s’agit de combattre, nous n’hésitons pas à donner des martyrs […] La question est la suivante : ceux qui s’érigent contre nous en Méditerranée et (au Proche-Orient) sont-ils prêts aux mêmes sacrifices ? »
On n’est plus dans la provocation comme il y a encore quelques jours, mais directement dans un discours guerrier assumant l’affrontement contre la Grèce et la France, avec la menace du sang versé :
« Le peuple grec accepte-t-il ce qui risque de lui arriver à cause de ses dirigeants cupides et incompétents ?
Le peuple français sait-il le prix qu’il devra payer à cause de ses dirigeants cupides et incompétents ? »
Parallèlement à cela, le président turc déroulait son habituelle rengaine ultra-nationaliste, s’adressant directement à « Atatürk », c’est-à-dire Mustafa Kemal surnommé le père des Turcs, pour justifier sa logique guerrière actuelle. Ce message écrit dans un « livre d’or » du mausolée de Mustafa Kemal et largement relayé dans la presse est un modèle du genre, typique du régime :
« Cher Ataturk, au 98e anniversaire de la Grande Victoire, nous saluons une nouvelle fois votre mémoire et celle de nos martyrs. Nous œuvrons pour glorifier et renforcer la République de Turquie que vous nous avez confiée. Nous sommes déterminés à devenir en 2023, au centenaire de notre République, un pays encore plus puissant, plus indépendant et plus prospère du point de vue économique, militaire, politique et diplomatique.
Les réussites importantes que nous avons notées sur divers terrains allant de la Syrie à la Libye, de la mer Noire à la Méditerranée orientale, sont les preuves les plus claires de notre volonté à protéger les droits et intérêts de notre pays.
La Turquie ne cédera pas aux menaces, intimidations et chantages, spécialement en Méditerranée orientale, et continuera de défendre ses droits découlant du droit international et des accords bilatéraux. Paix à votre âme ».
Tous les hauts personnages de l’État s’y sont mis, à l’instar du ministre de la Défense qui a expliqué :
« Cette grande victoire [en 1922 contre la Grèce] est la proclamation au monde entier que notre nation protégera à tout prix sa patrie qui l’importe plus que sa vie, et que l’Anatolie restera indéfiniment une terre turque ».
Le même jour, la ministre française des Armées, Florence Parly faisait comprendre dans une émission de radio que la France ne comptait certainement pas faire baisser la tension, insistant surtout sur le « comportement escalatoire [sic] » turc.
En arrière-plan, il y a la prétention de la France à être une grande puissance, au moyen de son armée qui agirait comme un gendarme en Méditerranée :
« Il y a un droit de navigation dans les eaux de la Méditerranée. Il n’y a pas de droit d’accaparement de ressources énergétiques et gazières, surtout lorsque celle-ci ont été reconnues conformément aux traités internationaux.
La démarche de la France n’est nullement escalatoire [sic]. Ce que nous avons fait, c’est ce que nous faisons régulièrement, c’est-à-dire que nous naviguons régulièrement en mer Méditerranée. C’est tout de même un espace naturel pour notre pays ».
Parler « d’espace naturel » pour qualifier une zone maritime à plusieurs milliers de kilomètres des côtes françaises, surtout quand on est ministre des Armées, c’est clairement agir dans le sens de la guerre. C’est s’arroger la responsabilité du « droit international » par les armes, de surcroît en ce qui ne concerne pas ses propres frontières.
C’est tout à fait conforme aux prétentions d’Emmanuel Macron qui, à l’occasion d’un « Forum Moyen-Orient Méditerranée » mercredi 29 août, a tenu un discours que l’on croirait sortie du XXe siècle et de l’époque du « mandat » français au Proche-Orient.
Cela donne des ailes au régime turc, qui dénonce ainsi facilement la France comme l’a fait le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères le lundi 31 août. Avec un discours particulièrement bien ficelé, il a rétorqué à Emmanuel Macron :
« Ceux qui croient tracer des lignes rouges contre la juste cause de la Turquie, ne feront que constater la position déterminée de notre pays.
S’il y a une ligne rouge dans la région, il ne peut s’agir que des droits découlant du droit international de la Turquie et des Turcs de Chypre.
Il est temps, pour ceux qui se voient dans un miroir grossissant, d’accepter la réalité : l’époque où les impérialistes traçaient les lignes sur les mappemondes est révolue. »
La veille, il prévenait dans un communiqué que « la Turquie est capable de dissuader, tous ceux qui tentent d’usurper par la force, ses intérêts et droits légitimes, en envoyant des armadas », dénonçant des « provocations d’acteurs externes à la région ».
On le comprend, et c’est chaque jour de plus en plus flagrant, on a là tous les ingrédients d’un cocktail explosif, menaçant de s’embraser à chaque instant.
L’épisode le plus récent est la publication de photos, par l’Agence France presse (liée en grande partie à l’État français), montrant des militaires grecs armés sur l’île de Kastellorizo, à quelques kilomètres des côtes de la Turquie.
> Lire également : Vers la guerre: l’Armée française se déploie avec la Grèce face à la Turquie
Le régime turc a immédiatement réagi, parlant d’acte de « piraterie » (l’île est censée être démilitarisées depuis un traité de 1947), faignant de découvrir la présence de ces militaires, qui n’a rien de nouvelle. La Grèce de son côté assume totalement la présence de ses militaires, assumant là encore le parti de la guerre.
Désormais, ce sont la crise ainsi que la tendance à la guerre qui forment l’actualité…