Dans une tribune au magazine La Vie, le dirigeant de La France Insoumise propose ouvertement une alliance au catholicisme. Il a bien sûr en vue les élections présidentielles de 2022.
La Vie est un hebdomadaire catholique, qui appartient au groupe Le Monde. Le quotidien Le Monde, comme Télérama, relève en effet historiquement du milieu et de l’idéologie « catholique de gauche », spiritualiste critique du matérialisme, tout comme d’ailleurs la CFDT, prolongement du syndicat catholique, la CFTC.
Autant dire que pour les gens authentiquement de gauche, tout ce milieu de Le Monde, Télérama, des « cathos de gauche »… est considéré comme sympathique, mais pris avec des pincettes, car la dimension religieuse à l’arrière-plan est massive et d’autant plus pernicieuse qu’elle est indirecte.
Cela relève très clairement de l’agenda du Vatican, qui adapte son discours selon les pays et les situations. Ouvertement pro-repli sur soi-même en Pologne, l’Église catholique prône l’accueil massif des migrants en Autriche comme « ouverture au monde » ; catho de gauche en France, l’Église catholique n’est évidemment pas comme ça en Espagne, etc.
On ne peut qu’être ainsi profondément choqué de la tribune publiée par Jean-Luc Mélenchon dans La Vie. C’est une valorisation d’un prétendu « anticapitalisme » qu’on trouverait dans l’encyclique du pape François, Fratelli tutti, publié en octobre 2020. Catholiques et anticapitalistes, même combat, nous dit Jean-Luc Mélenchon. Le titre de la tribune est sans ambiguïté aucune :
« “Fratelli tutti”, une vision partagée entre croyants et incroyants »
La présentation de la tribune par La Vie montre que l’hebdomadaire participe à ce petit jeu :
« Le député des Bouches-du-Rhône et leader de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon, lecteur attentif des encycliques promulguées par les papes, a lu Fratelli tutti, dont le thème de la fraternité lui a inspiré ce texte confié à La Vie. »
Lui a « confié »… tel un message personnel, somme toute : La Vie souligne une certaine intimité et Jean-Luc Mélenchon est même présenté comme un « lecteur attentif » des encycliques publiées par « les » papes. Jean-Luc Mélenchon serait-il un catholique en secret depuis plusieurs décennies ? Il adorait en même temps François Mitterrand et Jean-Paul II ?
Surtout que Jean-Luc Mélenchon va très loin dans la valorisation du catholicisme. Rien que les propos suivants l’excluent totalement de la Gauche :
« Le titre Fratelli tutti rappelle la vocation universaliste du catholicisme. Elle entre en écho avec celui de l’humanisme né en Europe avec la Renaissance. L’âpreté du rejet de celui-ci par l’Église de l’époque n’efface pas l’effet de parenté que le temps long a confirmé. »
La scandale ici n’est pas seulement d’affirmer que l’Église aurait une parenté avec l’humanisme, ce qui est une aberration totale, puisque c’est le protestantisme qui a une parenté avec l’humanisme, certainement pas le catholicisme. D’ailleurs, le catholicisme lance le « baroque » et les jésuites contre l’humanisme.
Jean-Luc Mélenchon contribue ici à l’idéologie catholique qui, après avoir écrasé le protestantisme, combattu le protestantisme et les Lumières, prétend être leur égal sur le plan moral et intellectuel. Il aide la réaction religieuse à se parer d’une aura civilisationnelle.
Et ce qui est tout autant monstrueux, c’est de dire que l’humanisme serait né en Europe avec la Renaissance. C’est tout à fait inexact. L’humanisme naît à partir de la réception des textes philosophiques arabes se revendiquant d’Aristote. Quant à la Renaissance, ce n’est pas elle qui produit l’humanisme, c’est le contraire : la Renaissance est un produit de l’humanisme.
En sachant d’ailleurs que l’humanisme et le protestantisme – grosso modo allemand, néerlandais, tchèque – se distinguent profondément de la Renaissance italienne, ce semi-humanisme qui d’ailleurs s’effondrera sur elle-même en raison de la force du catholicisme.
L’humanisme et le protestantisme, cela donne les Pays-Bas (le premier pays capitaliste du monde), cela donne la formation des États-Unis d’Amérique sur une base libérale (au sens positif du terme), cela produit les Lumières et la Révolution française.
La Renaissance ne donne rien du tout et est récupérée par le Vatican. Et on sait comment la France est à 50/50 depuis l’écrasement du protestantisme : à 50 % travaillé au corps par le catholicisme et l’idéologie de la « Renaissance » version Vatican, à 50 % penché vers l’humanisme, les Lumières.
Normalement, Jean-Luc Mélenchon est franc-maçon et relève des seconds 50 %. Il a ici entièrement retourné sa veste.
Alors, naturellement, en révisant l’Histoire comme le fait Jean-Luc Mélenchon, on peut effectivement voir en le catholicisme une force positive et le pape un ardent défenseur de l’universalisme, un allié contre le libéralisme. On peut même s’imaginer, pendant qu’on y est, que la dénonciation féodale du capitalisme par le catholicisme est révolutionnaire et finalement saluer Maurras, Péguy et Bernanos.
Paris valait bien une messe pour Henri IV, alors la présidentielle de 2022 vaut bien une encyclique pour Jean-Luc Mélenchon, qui s’imagine un grand destin.