Du 30 janvier au 28 février 2021, c’est le mois de la sensibilisation de l’importance des zones humides. Depuis 1997, le 2 février marque la date symbolique de la journée de reconnaissance de ces écosystèmes fondamentaux pour la Planète.
C’est dans le cadre de cette 24e journée mondiale des zones humides, fondée sur la Convention internationale de Ramsar en Iran signée le 2 février 1971 et réunissant à ce jour 170 pays, que la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN), fondée en 1854, livre son bilan et son analyse quant à l’état de ces écosystèmes en France.
Voici le communiqué publié ce 2 février sur le site de la SNPN :
» Aujourd’hui est la Journée Mondiale des Zones Humides ! C’est un mois d’événements de sensibilisation qui s’ouvre autour des zones humides. Cet évènement célèbre également l’anniversaire de la signature de la convention de Ramsar dont la SNPN est partie-prenante.
La SNPN tient à faire un point de l’état de ces milieux en France.
Il y a quelques semaines le Service des données et études statistiques du Commissariat général au développement durable a publié l’évaluation nationale des sites humides emblématiques de la décennie 2010-2020. C’est malheureusement sans surprise qu’il est évalué que la situation a continué à se détériorer durant la dernière décennie :
41 % des sites évalués en métropole et dans les Outre-mer ont vu leur état se dégrader,
69 % des sites évalués sont affectés par des perturbations du milieu physique,
57 % des sites évalués sont affectés par des modifications de la gestion en eau,
54 % des sites évalués sont affectés par une altération de la qualité de l’eau et subissent des pollutions.
Les sites préalablement en mauvais état se dégradent encore plus que les autres et très peu ont vu leur situation s’améliorer[1], comme s’il se dessinait une sorte d’effet d’appel : dégradé déjà, donc dégradé encore…Avec une telle dynamique, pour 2030, seuls 25% des sites humides emblématiques auraient un avenir favorable selon cette même évaluation…
Une autre évaluation majeure réalisée en 2019[2] montre que les habitats aquatiques et humides d’intérêt communautaire -donc inscrits à la directive dite Habitat-Faune-Flore- sont parmi les habitats les plus menacés et dont l’état est le plus dégradé, 94 % ayant une évaluation défavorable !
Les zones humides, ces terres d’eau, qu’elles soient emblématiques, d’intérêt communautaire ou simplement “ordinaires”, sont donc, clairement, encore et toujours, parmi les écosystèmes les moins bien conservés en France et subissent toujours des pressions anthropiques intenses qui les fragilisent.
L’avis de la SNPN
La SNPN tient à souligner que les zones humides ont des fonctionnalités multiples et essentielles, bien au-delà de la conservation de la biodiversité, faisant d’elles des éléments significatifs des “solutions fondées sur la nature”, notamment pour lutter contre les effets de la crise climatique. Ce sont des milieux essentiels dans le contexte de crise écologique et climatique.
Ces milieux participent à la régulation des flux d’eau (réduction des crues, lutte contre les sécheresses, rechargement des nappes phréatiques…). Ils contribuent localement au rafraîchissement, à la limitation de la propagation des feux et à la stabilisation des sols. Mais les zones humides ont un rôle bien plus étendu : en voici deux exemples très concrets :
– Savez-vous que les mares de fermes stockent dans le monde plus de carbone organique que l’ensemble des océans de la planète[3] ?
– Savez-vous qu’une tourbière de 30 cm d’épaisseur stocke plus de carbone par unité de surface qu’une forêt tropicale primaire ?
Alors qu’une tourbière dégradée peut émettre du CO2, ce qui suffirait à légitimer leur stricte protection, une tourbière restaurée en stocke et de façon bien plus efficace et durable qu’une jeune forêt ! En France, le drainage de tourbière est à l’origine d’une émission de CO2 par an équivalente à 3 millions de voyageurs faisant un aller-retour à New-York en avion [4] ! C’est aussi l’équivalent de l’empreinte carbone des habitants d’une ville comme Montpellier ou Bordeaux.
Selon une étude réalisée par le Service de l’économie, de l’évaluation et de l’intégration du développement durable (SOeS)[5], l’évaluation économique des services écologiques des zones humides a montré qu’une politique de préservation par acquisition est justifiée au regard des bénéfices que les « terres d’eau » procurent à la société humaine. Sur 50 ans, ces bénéfices représenteraient jusqu’à sept fois les valeurs d’acquisition et d’entretien. Certaines évaluations des services rendus les estiment jusqu’à 6 700 euros par hectare et par an[6]. Investir pour conserver en bon état les zones humides est donc une opération très rentable !
Les prairies humides, par exemple, sont des systèmes de production à plus forte valeur ajoutée que les grandes cultures. Elles participent au maintien d’un paysage varié, en particulier bocager.
Les zones humides ont des fonctionnalités multiples et essentielles faisant d’elles des éléments significatifs des “solutions fondées sur la nature”, notamment pour lutter contre les effets de la crise climatique. Il est économiquement très pertinent de les protéger, les restaurer ou les créer.
Force est de constater que les politiques engagées ne suffisent pas et que la France est donc bien en difficulté pour tenir ses engagements tant européens (Natura 2000) qu’internationaux (convention sur la diversité biologique, convention de Ramsar sur les zones humides).
Les principales causes de ce manque de réussite peuvent être regroupées en deux ensembles :
Les politiques conduites, pour intéressantes qu’elles soient, ne sont pas suffisamment efficaces. Elles achoppent sur l’insuffisance du portage interministériel et des moyens qui y sont consacrés. Les initiatives favorables, comme par exemple les MAE et le PSE ou le soutien au pâturage extensif en zones humides, peinent à se développer à cause d’inerties ou d’arbitrages défavorables.
De très nombreuses mesures néfastes à la conservation des zones humides persistent. Pire, elles continuent à être soutenues par des politiques publiques à tous les niveaux. Or la PAC demeure une cause majeure de disparition des prairies humides. La SAFER reconnaît d’ailleurs que la concentration des exploitations agricoles fait évoluer l’agriculture française à l’encontre des orientations politiques nationales.
La solution ? Des politiques publiques cohérentes, ambitieuses, interministérielles et pluriannuelles.
Quel que soit le ministère concerné, la stratégie nationale des aires protégées, plan de relance, plan biodiversité, PAC et écorégimes, mesures agro-environnementales, paiements pour services environnementaux, stratégie nationale pour la biodiversité, contrats « verts et bleus », projets de territoire pour la gestion de l’eau, mesures naturelles de rétention d’eau, stratégie nationale bas-carbone, règlement relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie (UTCATF), plans de paysage… et toutes les stratégies/organisations/outils à venir et à construire devraient être les moteurs de la reconquête nationale des zones humides, avec un même objectif ultime : améliorer la résistance et la résilience des écosystèmes sur les territoires et de nos systèmes socio-économiques qui en dépendent.
Les actions de protections, de restaurations, de réhabilitations et de créations nouvelles de zones humides doivent elles aussi émerger de programmes, de stratégies, de réglementations et de dynamiques multiples, bénéficiant d’un portage interministériel et pluriannuel, et disposant d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs partagés, suivis, et évalués de façon indépendante.
Nous ne ferons pas ici la liste exhaustive des actions à entreprendre, mais le Livre Blanc pour la Biodiversité[7] que la SNPN a produit avec d’autres associations partenaires cette année en propose de nombreuses.
Des zones humides nombreuses et en bon état, ce sont des territoires résistants aux évènements extrêmes et des systèmes écologiques et humains plus résilients. Ce sont des bénéfices pour tous, encore plus nécessaires demain qu’aujourd’hui !
La Société nationale de protection de la nature restera active pour défendre, protéger et gérer des zones humides, pour sensibiliser tous les publics, pour orienter et accompagner les politiques publiques comme elle le fait depuis tant d’année, en particulier grâce au soutien de ses membres et donateurs.