Jeudi 18 février 2021, l’astromobile Perseverance a atterri sur la surface de la planète Mars, après un voyage de plusieurs mois ayant été lancé le 30 juillet 2020. Son objectif principal est de trouver des traces de vies passées, ou d’étudier un environnement qui aurait été propice à l’apparition de la vie.
Cette mission s’inscrit dans un vaste programme de retour d’échantillon de roches martiennes, dont les prochaines étapes seront l’envoi des éléments pour ramener ces échantillons : un astromobile qui ira au sol chercher les échantillons collectés accompagné d’un véhicule pour redécoller du sol martien, et un orbiteur pour faire le trajet retour, de Mars à la Terre. Ces missions devraient démarrer aux alentours de 2026 pour un retour sur Terre vers 2031.
Soit un programme de plus d’une décennie où chaque étape est décisive pour la suite, c’est donc une entreprise scientifique d’une ampleur considérable.
La diffusion en direct (en faux direct car il faut environ 11 minutes pour que les informations nous parviennent de la planète rouge) de l’atterrissage de Perseverance a donné lieu à un assez large enthousiasme, étant même diffusé par des chaînes d’informations françaises, et de nombreuses chaînes de streaming sur internet.
Bien sûr le fait que l’agence spatiale française, le CNES, fasse partie de l’aventure avec l’instrument scientifique SuperCam, a dû jouer, mais cela n’explique probablement pas tout.
De manière assez pragmatique on peut se dire que ce genre d’aventure lointaine, qui se déroule sur le moyen-long terme permet aussi de se sortir du contexte renfermé et sans visibilité sur le futur que la pandémie de Covid-19 impose depuis de longs mois.
Et puis, surtout, il y a tout ce que représente l’exploration spatiale et la recherche de vie.
Contrairement à la planète Terre, Mars, pour diverses raisons, a vu son évolution prendre une orientation rendant impossible la vie telle qu’on la connaît. Mais elle a potentiellement en mémoire géologique des informations passionnante sur la formation des planètes telluriques et de l’apparition de la vie.
La vie est un sujet de fascination assez naturel , en tant que plus haut niveau de complexité de la matière en mouvement. Découvrir comme elle est apparue dans notre système solaire, mais aussi peut-être découvrir qu’elle n’est pas une exclusivité de la Terre, nous ramène à notre place dans l’univers et dans son histoire.
Mais l’exploration de l’espace et de la vie dans l’univers font aussi écho à un profond sentiment d’universalité. C’est rêvé à une humanité unifiée, travaillant ensemble pour le progrès de la science au service de la vie.
Si Mars 2020 s’inscrit encore dans un contexte principalement scientifique, il ne faut malheureusement pas se leurrer sur l’arrière-plan politique et économique.
L’exploration spatiale a connu son plus grand essor au plus fort des tensions de la guerre froide entre les États-Unis et l’URSS. L’objectif était principalement une démonstration de force politique, impérialiste, quitte à prendre d’importants risques lors des missions habités pour ne pas se faire doubler.
Elle a nettement perdu en vitesse lorsque les relations se sont réchauffées, les programmes lunaires étant abandonnés vers le milieu des années 1970 et l’exploration de Mars à la fin des années 1970 après les sondes américaines Viking 1 et 2.
Les États-Unis se sont alors surtout focalisés sur la navette spatiale, et l’Union Soviétique sur les stations spatiales (Sailout puis Mir), des programmes de très haut niveau techniquement, mais d’une ampleur moindre.
Il y a eu un regain d’intérêt à la fin des années 1990 à la fois pour Mars et avec la Station Spatiale Internationale rassemblant les plus grandes puissances spatiales du monde.
Si l’aspect scientifique est alors davantage mis en avant, il existe évidemment d’autres intérêts (développer des technologies ensuite employés dans le secteur militaire, supporter des secteurs industriels économiquement).
Le secteur spatial n’est évidemment pas au dessus de la société et les tensions entre puissance impérialiste s’en ressentent fortement depuis quelques années.
L’Espace est une zone qui est très peu réglementée. En 1967 USA et URSS se mettent d’accord pour signer et ratifier le “Traité de l’espace” qui spécifie qu’aucun État ne peut s’approprier un corps céleste, ni utiliser l’espace à des fins militaires.
Cela s’explique simplement par le fait que personne ne savait qui atteindrait la Lune en premier, ainsi dans le doute il valait mieux se mettre d’accord.
En 1979 il y a une volonté de prolonger et d’étendre ce traité avec le “Traité de la Lune”, faisant de notre satellite naturel et de tout corps céleste un “patrimoine commun de l’humanité”. C’est un échec, la plupart des puissances spatiales ne l’ont pas signé et d’autres, comme la France, l’ont signé mais non ratifié.
2015 marque un tournant majeur avec le SPACE Act qui met à jour le droit de l’espace américain stipulant que les “citoyens américains peuvent entreprendre l’exploration et l’exploitation commerciales des ressources spatiales”. Ressources consistant principalement en l’eau et les minéraux.
C’est donc clairement un coup qui est porté au traité de 1967, avec pour justification que ce dernier ne parlait que d’un corps céleste en tant que tel, et pas des ressources qu’il contient.
Ce SPACE Act est aussi le reflet de l’explosion du secteur privé dans l’exploration (qui devient de plus en plus “conquête”) spatiale, appelé le “New Space” dont les fers de lance sont SpaceX et Blue Origin, appartenant respectivement aux milliardaires Elon Musk (Tesla) et Jeff Bezos (Amazon) aux Etats-Unis mais qui s’étend à d’autres pays dont la Chine.
Les intérêts de l’espace est vaste avec évidemment divers satellites : comme le projet Starlink de SpaceX visant à envoyer plus 12 000 satellites en orbite pour créer un vaste réseau d’accès à internet à travers le monde. Et ce ne sont pas les seuls : Amazon a pour projet la constellation de satellites Kuiper également pour de l’accès à internet, et d’autres sociétés et États comptent faire de même (la Russie, la Chine, l’Europe…). C’est évidemment une course économique aux données numériques et à l’autonomie qui va surcharger l’orbite terrestre basse, accumulant toujours plus de débris spatiaux et créant une pollution lumineuse créant des problèmes pour l’observation astronomique du ciel.
Un autre centre important d’intérêt dans l’espace est la Lune qui fait son retour depuis quelques années, notamment via la Chine qui a réussi un retour automatique d’échantillons en décembre dernier (ce qui n’avait pas été fait depuis la mission soviétique Luna 24 en 1976), ou les États-Unis via le programme Artemis.
Pour certains, la Lune représente un intérêt en vue de voyage vers Mars (utilisation de son orbite, extraction de son eau glacé), mais aussi pour ses ressources rares, comme l’Helium-3.
L’utilisation de matériaux extraterrestres est de plus en plus envisagée, notamment par la Chine qui a pour objectif la construction d’une station solaire spatiale dans les années 2030.
D’une dimension de plusieurs kilomètres carrés, l’utilisation de matières récupérées sur la Lune ou sur des astéroïdes (c’est le sens de la mission de retour d’échantillon d’astéroïdes Zheng He prévu pour 2022-2025), permettrait de réduire les coûts.
Notons aussi que la Station Spatiale Internationale arrivera à terme au cours de cette décennie, qu’en parallèle la Chine développe sa propre station (qu’elle veut officiellement ouverte aux partenariats) dont les premiers modules devraient être placé en orbite cette année, et que les États-Unis ont le projet d’une station en orbite lunaire, privilégiant à présent les accords bilatéraux aux multilatéraux, et en mettant la pression pour faire reconnaître la validité du SPACE Act et donc l’exploitation minière de la Lune.
Tout cela n’est que le reflet des tensions entre puissance impérialiste, auquel nous pouvons ajouter des pays qui souhaite se faire une place comme l’Inde (qui a aussi des intentions envers la Lune avec les missions Chandrayaan) ou les Emirats Arabes Unis qui viennent de placer la sonde Al-Amal en orbite autour de Mars.
La planète Terre n’est donc pas la seule à hurler son besoin de socialisme, l’exploration spatiale et l’univers tout entier à besoin d’une humanité unifiée pour aller de l’avant, dans le sens de la vie, et non vers la guerre qui se profile sur la guerre et dans le ciel.