Quand on pense aux années 1960 d’un point de vue de gauche, on pense à des années de profond conservatisme, mai 1968 venant tenter de rétablir un équilibre.
Johnny Hallyday est lui le symbole du rêve américain, ancré dans les valeurs de droite. C’est pour cette raison que lors de « l’hommage populaire » fait samedi 9 janvier 2017 à Johnny Hallyday sur les Champs-Élysées, il y avait 700 motos comme cortège.
Le motard se veut individualiste, rebelle et conformiste en même temps. Plus de deux mille autres motards se sont d’ailleurs greffés à un moment au cortège, avec l’accord de la police.
De manière plus grave, le cortège des 700 motos « officiels » avait à sa tête… les hells angels. Cette structure de motards est considérée par les polices européennes comme une organisation criminelle reine en coups de communication pour se donner une image favorable.
C’est quelque chose d’extrêmement grave et cela montre que les institutions étaient prêtes à n’importe quel compromis pour mobiliser en faveur de l’hommage national.
Du monde, il y en avait, plusieurs centaines de milliers de personnes, mais le pari était toujours risqué , car si Johnny Hallyday a ses fans, la majorité du pays est indifférente, voire même hostile.
Les audiences des dispositifs spéciaux mis en place à la télévision n’ont ainsi été que correctement suivis (pas de changement pratiquement pour les chaînes d’information continue, et 14,9 % de part d’audience pour TF1, 14,4 % pour France 2, 4,1 % pour M6, 1,9 % pour C8, 0,5 % pour Cstar).
De manière opportune, la préfecture de Paris a donc refusé de donner des chiffres sur le nombre de gens venus assister à l’hommage national. Il y avait du monde, le président de la République a parlé, c’est censé suffire.
Et il a parlé de… moto, bien sûr :
« Vous êtes là pour lui, pour Johnny Hallyday. Près de 60 ans de carrière, et vous êtes là. Encore là. Toujours là. Je sais que vous vous attendez à ce qu’il surgisse de quelque part, en moto, il entamerait la première chanson et vous commenceriez à chanter avec lui. »
C’est une transformation de Johnny Hallyday en figure christique. Concluons donc sur une anecdote intéressante, de parce qu’elle révèle. Lors de « l’hommage populaire », il y avait Daniel Rondeau qui a pu notamment dire :
« Dans les friches de la France abandonnée comme dans les donjons de l’establishment, c’est le même cœur qui bat pour lui. Oui, notre cœur français bat pour toi, Johnny. »
Celui-ci expliquait qu’il avait des « liens mystérieux » avec Johnny Hallyday, qu’il connaît bien depuis sa publication en 1982 « L’âge-déraison : véritable biographie imaginaire de Johnny H. ».
C’est une sorte de biographie poétisée racontant la vie intérieure de Johnny Hallyday, présenté comme un grand tourmenté exprimant sa sensibilité à travers le rock’n’roll.
Daniel Rondeau, en vénérant Johnny Hallyday, réglait les comptes avec son propre passé de gauche. Auparavant, il avait rejoint la Gauche Prolétarienne maoïste et participé au mouvement d’établissement dans les usines.
Son éloge de Johnny accompagne la direction des pages culturelles de Libération, une carrière littéraire, un poste d’ambassadeur, puis de délégué permanent de la France auprès de l’UNESCO.
« L’âge-déraison : véritable biographie imaginaire de Johnny H. » commence de la manière suivante :
« Pour tout le monde, c’était Johnny. Un Américain à Paris. Il était grand, plutôt beau gosse et très nerveux. Agité. Surtout des jambes et des pieds. On pourrait dire qu’il avait du rythme. Une drôle de façon de rouler les mécaniques. Tout dans la hanche. De la balance, une grande vibration et un certain sens de l’épate. »
C’est une comparaison, évidemment, à Elvis Presley, avant que les lignes qui suivent n’assimilent Johnny Hallyday à James Dean, puis racontent comment des jeunes Parisiens tentent de vivre le rêve américain à leur manière, dans une rébellion conformiste à travers une récupération du style de leurs idoles américaines.
Le roman est ainsi une valorisation esthétique de Johnny Hallyday, avec un sens très précis : dénoncer mai 1968. C’est aussi le sens de « l’hommage populaire ».