Une pierre de plus à l’édifice monstrueux de la guerre.
La crise biélorusse est désormais entièrement superposée à la crise ukrainienne et on en a un triste exemple avec le passé de l’opposant biélorusse Roman Protassevitch, dont l’arrestation a été la motivation pour la Biélorussie du détournement d’un avion au motif qu’il y aurait eu une menace d’attentat. Le régime biélorusse a d’ailleurs fini par sortir du placard un communiqué de menace provenant… du Hamas palestinien, à travers la Suisse, envoyé après l’arraisonnement de l’avion. Cela ne tient pas du tout, naturellement.
Il semble donc, par contre, acquis que Roman Protassevitch ait été un membre, en 2015-2015, du bataillon néo-nazi Azov opérant au sein de l’armée ukrainienne (et devenu un régiment de la garde nationale directement supervisé par le ministre de l’Intérieur ukrainien). L’information a bien entendu été balancée par la Russie et après des dénégations initiales, un haut responsable du bataillon Azov a confirmé cela, en expliquant que Roman Protassevitch avait agi comme journaliste. Le problème, c’est que les images de lui en armes ou avec un t-shirt néo-nazi ne disent pas la même chose…
Tout comme l’Ukraine, la Biélorussie se retrouve ainsi coincée entre des forces pro-OTAN et des forces pro-russes, qui sont tous les deux hideuses. Cela fait deux cibles (très proches géographiquement) de la bataille pour le repartage du monde. Et cela se passe dans une tension extrême afin d’obtenir ou de maintenir l’hégémonie.
Depuis son arrestation, Roman Protassevitch apparaît ainsi dans une courte vidéo où il semble se « repentir », alors qu’il semble à peu près clair que les forces de répression biélorusses l’ont maltraité, tout comme le sont les 426 opposants déjà emprisonnés. Un jeune de 17 ans, Dima Stakhovsky, vient d’ailleurs de se suicider dans sa cellule ; il avait été condamné à quinze ans de prison pour émeute.
Et, après l’appel de l’Union européenne à isoler l’espace aérien biélorusse, ce qui n’est pas une obligation formelle pour les États membres, certains pays ont franchi le pas, tels la France, le Royaume-Uni, la Pologne, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, la Suède, la République tchèque, l’Ukraine. On notera d’ailleurs que la France a mit cela le jeudi 27 mai 2021, seulement, sans crier gare, obligeant l’avion de la compagnie d’aviation biélorusse Belavia réalisant la liaison Minsk-Barcelone venant de décoller à tourner en rond pour vider son carburant et à retourner d’où il était parti.
Le président du Parlement européen David Sassoli a également proposé d’afficher la photo de Roman Protassevitch dans tous les aéroports de l’Union européenne, la Roumanie de renommer la rue de l’ambassade de Biélorussie à Bucarest du nom de Roman Protassevitch, Emmanuel Macron appelant à se confronter avec la Russie :
« Nous avons besoin de recadrer très profondément notre relation avec la Russie pour ne pas être simplement réactif mais définir une stratégie de court, moyen et long terme compte tenu du fait que l’espace de sécurité européen passe par une discussion exigeante avec la Russie. »
L’opposition est frontale et l’objectif des pays de l’OTAN très clair : il s’agit de parvenir à faire tomber le régime biélorusse, pour l’arracher à l’orbite russe. En ce sens, l’Union européenne compte prendre des mesures contre des entreprises et le secteur bancaire biélorusse. Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères, parle d’une « spirale de sanctions » qui va se mettre en place : l’Allemagne, qui a freiné tout soutien à l’Ukraine, espère par contre clairement avoir le dessus pour prendre le contrôle de la Biélorussie.
D’où la déclaration commune dans le cadre du G7 :
« Nous, les ministres des Affaires étrangères du G7, soit l’Allemagne, le Canada, les États-Unis d’Amérique, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni, ainsi que le haut représentant de l’Union européenne, condamnons fermement l’acte sans précédent des autorités bélarusses, qui ont arrêté le journaliste indépendant Roman Protassevicht et sa compagne Sofia Sapéga après avoir forcé le vol FR4978 dans lequel ils se trouvaient à atterrir à Minsk le 23 mai.
Cet acte a mis en danger la sécurité des passagers et de l’équipage du vol. Il s’agissait également d’une atteinte grave aux règles régissant l’aviation civile. Nos pays, et nos citoyens, dépendent du fait que chaque État agit de manière responsable en remplissant ses obligations en vertu de la Convention de Chicago, afin que les avions civils puissent opérer en toute sécurité. Nous demandons à l’Organisation de l’aviation civile internationale de se pencher d’urgence sur ce manquement à ses règles et à ses normes.
Cet acte représente également une grave attaque contre la liberté de la presse. Nous demandons la libération immédiate et inconditionnelle de Roman Protassevicht, ainsi que de tous les autres journalistes et prisonniers politiques détenus au Bélarus.
Nous renforcerons nos efforts, notamment par l’intermédiaire de nouvelles sanctions le cas échéant, afin de veiller à ce que les autorités bélarusses assument la responsabilité de leurs actes. »
L’OTAN est évidemment ouvertement de la partie, avec un communiqué où Roman Protassevitch est présenté comme un « journaliste » (les médias parlant même d’un simple blogueur!) :
« 1. Le Conseil de l’Atlantique Nord condamne fermement le détournement vers Minsk (Bélarus), le 23 mai, d’un vol de la compagnie Ryanair qui reliait Athènes à Vilnius, ainsi que le débarquement forcé et l’arrestation de Roman Protassevitch, éminent journaliste bélarussien qui se trouvait à bord, et de Sofia Sapega.
Cet acte inacceptable, qui a mis en danger la vie des passagers et membres d’équipage, constitue une violation grave des normes régissant l’aviation civile. Nous nous associons à ceux qui réclament en urgence une enquête indépendante, qui serait menée notamment par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Nous approuvons les mesures prises par les Alliés, à titre individuel ou collectif, en réaction à cet incident.
2. La détention de M. Protassevitch est un affront aux principes de la liberté d’opinion politique et de la liberté de la presse. Le Bélarus doit relâcher M. Protassevitch et Mme Sapega immédiatement et sans condition.
Les pays de l’OTAN engagent le Belarus à respecter les libertés et droits fondamentaux de la personne et à se conformer aux règles qui fondent l’ordre international. Les Alliés sont solidaires de la Lettonie à la suite de l’expulsion injustifiée de diplomates lettons. »
La Biélorussie a par contre des appuis. Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a affirmé qu’il n’y avait aucune preuve que des agents secrets aient été à bord du vol Athènes-Vilnius. La Chine est du côté biélorusse, et la Turquie a fait en sorte que la déclaration de l’OTAN soit moins brutale qu’elle ne devait l’être initialement.
Quant à la Russie, dont la Biélorussie est largement un satellite, elle refuse à ce que les avions allant chez elle évitent la Biélorussie, d’où des annulations pour Air France et Austrian Airlines.
La confrontation est ainsi très clairement posée et cette fois on n’est plus simplement dans un affrontement Ukraine-Russie, mais littéralement face à un incendie régional, voire européen.