Une tribune de Bastien Faudot, animateur national de la Gauche républicaine et socialiste.
Tribune publiée dans Marianne le 26 mai 2021 reflétant le point de vue de la Gauche républicaine et socialiste.
L’annonce de l’alliance entre En Marche et Renaud Muselier (LR) en région PACA est un événement politique dont il faut comprendre le sens et anticiper les conséquences. La recette de cuisine favorite d’Emmanuel Macron est une réduction de sauce.
On monte d’abord la température, on fait bouillir la marmite RN, puis on réduit le débat à une nouvelle polarité de type : les démocrates-libéraux-républicains contre l’extrême droite.
On nous joue cette partition depuis près de vingt ans. À gauche, nous avons le « privilège » d’en connaître les conséquences : la gauche s’effrite, perd ou renonce à combattre, puis appelle à « faire barrage au Front ».
Les « modernes », les « raisonnables », les modérés du PS sont venus par centaines prêter main-forte à Emmanuel Macron. Avec le succès que l’on sait : au bout de l’histoire, ce n’est pas le RN qui régresse, c’est la gauche qui risque la disparition…
L’équation de la gauche castor « qui fait barrage contre le Rassemblement national » ne fonctionne plus. Et Macron sait compter : s’il veut gagner contre Marine Le Pen l’an prochain, il entend désormais récupérer les voix de droite qui entend elle aussi jouer le barrage.
Nous y voilà : c’est le rôle dévolu à Monsieur Muselier qui prend la suite de Manuel Valls, Jean-Yves Le Drian, Christophe Castaner, Richard Ferrand et une centaine de députés LREM venus tout droit de Solférino. Jusqu’ici, quelques renifleurs de type isolés avaient eu le nez plus précoce que les autres à droite, tels que Gérald Darmanin, Bruno Le Maire ou Édouard Philippe.
Demain, ils afflueront, de sorte que les deux grands partis qui ont structuré notre débat public depuis cinquante ans seront de fait digérés dans la nébuleuse d’En Marche. Et tous ceux qui, hier encore, ferraillaient sur les sujets économiques et sociaux, bataillaient gauche Capulet contre droite Montaigu, débattaient nationalisations contre privatisations, se tiendront la main en tenant un discours unique – le fameux « en même temps ».
Ces adversaires d’hier, devenus compagnons de déroute, vont expérimenter la redéfinition du clivage entre une droite nationaliste et un centre mondialisé. Jusqu’au jour où inévitablement la bascule adviendra. Pour une raison : les succès du RN procèdent pour l’essentiel des échecs des politiques libérales que tout ce petit monde s’évertue à poursuivre imperturbablement.
D’ailleurs, il faut anticiper une chose : le renfort de la droite, dont l’épisode Muselier est le prologue, loin de contenir le RN, va accélérer sa conquête du pouvoir. Car si les barrages de la gauche castor contre le RN ont, un temps au moins, permis de maintenir la République hors d’eau, il est certain que les digues de la droite ne vont rien retenir du tout : ce sera une voie d’eau et écoper ne servira plus à rien.
Si l’électorat de gauche a longtemps suivi les consignes du front républicain de manière assez disciplinée, c’est parce que le RN représente pour lui à la fois l’adversaire ultime et l’ennemi intime. Pour l’électorat de droite, il en ira très différemment : une partie non négligeable des électeurs LR orphelins opteront pour le RN plutôt que pour LREM. La blague du « plafond de verre du RN » aura tôt fait de se fissurer.
Il reste un espoir pour empêcher ce scénario : la renaissance d’une gauche conséquente et sincère. D’une gauche qui ne tergiverse ni ne transige avec les dogmes libéraux. D’une gauche qui ne pactise « sous aucun prétexte » avec l’oligarchie macroniste.
D’une gauche qui devra faire le tri entre les diversions sociétales et sa mission sociale. D’une gauche qui aura appris de ses errements passés, qui fera de la reconquête des classes populaires et des territoires abandonnés la priorité absolue vers laquelle tendra son projet.
D’une gauche qui devra se réconcilier avec l’idéal républicain et laïque. D’une gauche qui comprendra que le véritable internationalisme du XXIe siècle passe par la démondialisation des échanges et du pouvoir.
D’une gauche qui posera l’écosocialisme comme un compromis fécond entre la nécessité impérieuse de protéger notre écosystème sans abandonner la grande aventure du progrès, y compris technologique, au service de l’humain.