L’ultra-gauche a largement diffusé sa conception d’un État qui « pense ».
Depuis l’allocution du 12 juillet 2021 d’Emmanuel Macron, un grand débat existe chez les gens de gauche : le pass sanitaire est-il une mesure anti-populaire, et même directement hostile à l’encontre des travailleurs ? La question s’est posée avec d’autant plus d’acuité qu’une partie importante des masses laborieuses, dans ce qu’elles ont de plus large, a eu un véritable haut-le-cœur à l’annonce des mesures étatiques.
La lassitude dans la crise sanitaire et la fatigue du salariat ont amené bon nombre de travailleurs à exprimer un refus de suivre une exigence décidée de manière unilatérale. Il y a un sentiment diffus de ne plus vouloir suivre les règles imposées. Tout cela est très confus, évidemment, vue la nullité complète du niveau de conscience sociale, politique, idéologique, culturel. Il y a cependant quelque chose, et c’est suffisant pour avoir été remarqué.
Comme on le sait, il y a en effet en France une grande tradition syndicaliste révolutionnaire ; à vrai dire, on considère même qu’être à gauche de la gauche serait d’exprimer la colère populaire revendicative. D’où une vague de refus du pass sanitaire exprimée politiquement de manière ouverte.
Il faut cependant prendre garde à ne pas rater la question de fond. En effet, les travailleurs refusant le pass sanitaire ont pris cela pour eux, au sens de : « on va encore nous ennuyer, nous agresser ». Ils ont une vision machiavélique d’Emmanuel Macron, comme de Nicolas Sarkozy hier. Il y aurait un calcul, ce serait un coup fourré, un coup de Jarnac, etc.
Or, que voit-on ? Que les dénonciations du pass sanitaire se placent à ce niveau. Elles ont toutes comme arrière-plan intellectuel d’imaginer le capitalisme organisé, avec des gens savant pertinemment ce qu’ils font. Il est pourtant évident que l’État est débordé et que le pass sanitaire est le minimum objectif à réaliser pour essayer que la société sorte la tête de l’eau.
C’est là qu’on voit comment prédomine la conception d’ultra-gauche d’un État « calculateur », d’un État à la « 1984 », d’un capitalisme conscient et cynique, calculateur et machiavélique. C’est une vraie paranoïa, qui s’exprime très largement. Lutte Ouvrière, par exemple, est formelle dans son article Passe sanitaire et vaccination forcée : c’est non ! : c’est une mesure calculée, un coup machiavélique.
« Qu’arrivera-t-il aux salariés qui n’auront pas de passe sanitaire à jour ou à ceux qui ne voudront pas se plier à l’obligation vaccinale ? Seront-ils mis à l’amende, suspendus, licenciés ? La non-vaccination est devenue un nouveau motif de licenciement, eh bien voilà une attaque anti-ouvrière de plus à combattre !
La vaccination est un moyen puissant pour combattre l’épidémie, mais Macron s’en sert comme une arme politique pour dissimuler sa propre responsabilité. Il s’en sert pour cacher combien la gestion capitaliste des hôpitaux est criminelle. Il s’en sert pour faire oublier le manque de moyens humains et matériels du système de santé.
Macron est en campagne et il utilise la crise sanitaire pour resserrer les rangs derrière lui, en dressant les vaccinés contre les non-vaccinés. Il aimerait que nous passions le temps à nous dénigrer, nous déchirer et nous contrôler les uns les autres, plutôt que juger de son action et lui demander des comptes. »
L’idée de fond, c’est que le pass sanitaire serait une mesure afin de diviser pour régner, avec aux commandes un super-calculateur prévoyant les coups à l’avance. Le PCRF parle de « Macron l’autocrate jupitérien » réalisant une « avalanche continue des mesures liberticides et réactionnaires ». Le PRCF parle du « tyranneau Macron« , qui empile les mesures liberticides :
« Préparées par un intense pilonnage médiatique, les annonces de Macron sont inadmissibles sur toute la ligne. Plus arrogant que jamais alors même que le parti macroniste LREM a obtenu moins de 4% des inscrits aux régionales et aux départementales, le “libéral” Macron institue à la fois l’obligation vaccinale pour les soignants et le passe sanitaire individuel obligatoire pour une interminable série d’activités : ce qui revient de fait quasiment à assigner à résidence, voire à interdire de vie sociale, politique et culturelle toute une partie de la population!
Cette approche ultra-autoritaire et diviseuse, typique des mesures liberticides empilées sans fin par les présidents et par les gouvernements maastrichtiens successifs, fait l’impasse sur l’euro-casse austéritaire de l’hôpital, qui continue de plus belle, et sur le désintérêt total du pouvoir pour les politiques de soin et de prévention. »
Le média Lundi.am, porte-parole d’une ultra-gauche spontanéiste et intellectuelle, parle pareillement de contrôle et de répression :
« Emmanuel Macron l’a annoncé lundi dernier, la stratégie de lutte contre la 4e vague épidémique s’articulera autour de valeurs phares : la menace et le chantage, le contrôle et la répression. Il y a beaucoup à dire et à penser de ce que va produire le Pass sanitaire et les mille frontières invisibles qu’il va faire exister autour de nous, de la division entre bon citoyen et marginal co-responsable de l’épidémie. »
Révolution Permanente, courant du Nouveau Parti Anticapitaliste en phase de fonder un nouveau parti, formule cela de la manière suivante dans Pass sanitaire : un autoritarisme made in Macron pour masquer l’échec de sa stratégie vaccinale :
« Lundi 12 juillet, Emmanuel Macron a annoncé l’extension du pass sanitaire à l’ensemble des bars, restaurants, centres commerciaux et trains. A travers cette mesure, Macron cherche à faire peser le poids des restrictions sur les non-vaccinés, créant ainsi des citoyens de seconde zone. Si la généralisation de la vaccination est une nécessité, cette mesure est intrinsèquement autoritaire et liberticide. Pire, loin de créer de la confiance envers la vaccination, elle va accentuer la défiance. »
Tout cela est bien erroné et rate le vrai fond du problème: que le capitalisme a fait le tour de lui-même, que l’État est débordé, que tout se fait au jour le jour… Croire que les couches dominantes, totalement décadentes, peuvent gérer quelque chose, c’est « croire » en un capitalisme qui peut se comprendre lui-même, ce qui est absurde. Le pass sanitaire n’est pas une mesure machiavélique : c’est simplement une réponse objective d’une société essayant de traverser la crise sanitaire. Et loin de parler de mesures liberticides, il faudrait au contraire se plaindre que ces mesures ne le sont pas assez!