Les plus fragiles ne doivent pas être mis de côté par une société cynique.
Réalisé par l’association Renaloo, dédiée au malades rénaux, cet appel a la forme d’une lettre ouverte au président de la République. Le voici :
« Nous ne devons pas être abandonnés »
« Monsieur Le Président de la République,
Nous nous adressons à vous au sujet de la situation critique dans laquelle se trouvent les 250.000 personnes immunodéprimées sévères, dont font partie les patients transplantés et dialysés que notre association représente.
Leur mortalité en cas de contamination par le Covid19 est de l’ordre de 15 à 20 %, sensiblement supérieure à celle des résidents d’Ehpad, pourtant bien plus âgés. De nombreux travaux à travers le monde, dont l’étude EPIPHARE en France, ont confirmé que la dialyse et la transplantation figurent dans le groupe de tête des pathologies entraînant les risques de forme grave et de décès les plus élevés.
La mise en évidence de cette très grande vulnérabilité a notamment justifié notre inclusion dans la liste des patients ultra-prioritaires pour la vaccination anti-Covid-19 quel que soit leur âge, dès janvier 2021. Malheureusement :
– 20 % des patients greffés et 18 % des patients dialysés n’étaient toujours pas vaccinés au 30 juin dernier.
– La vaccination a pour nous une efficacité souvent très diminuée, qui a justifié le recours à une 3e dose systématique à compter d’avril 2021.
Cette 3e dose semble suffisante pour la majorité des patients dialysés, mais un tiers des patients greffés n’a toujours pas d’anticorps à son issue, et près des trois quarts d’entre eux restent insuffisamment protégés. Ces constats sont très préoccupants dans le contexte de l’émergence du variant delta, trois fois plus contagieux et entraînant en population générale un risque doublé d’hospitalisation.
Des informations alarmantes nous parviennent du Royaume-Uni. Dans les environs de Bolton, qui ont connu en mai/juin une circulation importante du variant Delta, le nombre de patients transplantés contaminés est comparable à celui de mars avril 2020. Tous avaient reçu deux doses de vaccin.
Leur mortalité aurait atteint le taux dramatique de 30 %. Des essais sont bien prévus en France pour explorer différentes stratégies de renforcement vaccinal (augmentation des doses, recours à d’autres plateformes…), mais leur démarrage n’interviendra pas avant la rentrée 2021. Leurs résultats ne seront donc pas disponibles avant plusieurs mois.
Alors que les experts s’accordent pour considérer que la réalisation d’une 4e dose permettrait de renforcer la protection d’une large part d’entre nous, son accès reste à ce jour extrêmement limité et ne fait l’objet d’aucune recommandation officielle.
Alors que plus de 70 % des patients greffés ont reçu leurs vaccins en centre de vaccination, il n’est à ce jour pas prévu que la 4e dose y soit administrée. Une piste d’alternative à la vaccination, consistant à recourir de façon préventive (prophylactique) à des anticorps monoclonaux pour nous protéger du virus, semble très prometteuse, mais les délais réglementaires sont incompatibles avec un accès rapide à ces traitements, qui pourraient, au mieux, être disponibles courant septembre.
Pire, la Haute Autorité de santé s’est prononcée contre le recours et le remboursement des tests sérologiques permettant de mesurer nos titres d’anticorps post-vaccinaux. L’absence d’accès à ces tests interdit la mise en œuvre de toute stratégie de renforcement vaccinal personnalisé.
Le sens de cette décision est simple : nous sommes désormais arbitrairement condamnés, quelle que soit notre réponse à la vaccination, à poursuivre le confinement volontaire total auquel nous sommes astreints depuis le début de la crise, sans qu’aucun espoir de sortie ne nous soit laissé. Cette situation d’enfermement et de privation d’interaction sociale est évidemment devenue intenable. Ses conséquences psychologiques, familiales, professionnelles, humaines, sont dévastatrices.
Alors que la France a toujours affirmé la primauté de la protection des plus fragiles, qu’elle a été pionnière en nous proposant très tôt une 3e dose, après tous les efforts et les sacrifices que nous avons déjà accomplis pour survivre, nous aurions ainsi perdu notre place dans la société ?
Nous ne sommes pas prêts à la résignation. Nous ne devons pas être abandonnés à notre triste sort et à la menace du variant delta. Monsieur le Président de la République, chaque jour, chaque semaine, comptent. Vous seul êtes en mesure de faire en sorte qu’une protection effective nous soit apportée dans des délais compatibles avec cette urgence.
Les moyens à mettre en œuvre sont simples : il s’agit de bousculer l’inertie et la torpeur estivale, de vacciner ceux d’entre nous qui ne le sont pas encore, de nous permettre sans délai et de façon équitable d’accéder, selon nos besoins, à une 4e dose de vaccin en centre de vaccination et/ou à des anticorps monoclonaux en pré-exposition.
Il s’agit aussi de prioriser la recherche publique et privée sur le renforcement vaccinal des personnes immunodéprimées, afin qu’elle devienne un enjeu collectif partagé, qui permettra de répondre aux futurs défis de l’épidémie et pour lequel tous les acteurs, y compris les industriels, ont leur rôle à jouer.
Enfin, dans l’attente que ces stratégies fonctionnent, la non-obligation de port du masque dans les lieux accessibles avec un pass sanitaire impliquerait que nous en soyons totalement exclus. Nous vous demandons de renoncer à cette mesure, qui légaliserait notre mort sociale. Nous comptons sur vous pour affirmer que nous ne serons pas ignorés, oubliés, laissés de côté, dans notre immense vulnérabilité, mais qu’au contraire nos vies sont précieuses et que notre pays se mobilisera pour les sauver.
Nathalie Mesny, Présidente de Renaloo »