Les islamistes ont réalisé un attentat avec des codes bien précis.
Nous sommes en 1980 et c’est la sortie du film New York 1997, de John Carpenter, un réalisateur se voulant assez alternatif. Au début du film, un groupe révolutionnaire détourne l’avion du président américain et choisit de le faire s’écraser sur Manhattan à New York, symbole de l’oppression impérialiste. Manhattan est en effet devenu une prison à ciel ouverte, où les prisonniers sont livrés à eux-mêmes.
C’est le premier parallèle avec les attentats du 11 septembre.
L’État américain envoie alors un soldat sauver le président et celui-ci utilise un planeur pour atterrir sur le toit… d’une des tours du World Trade Center. C’est le second parallèle avec les attentats du 11 septembre.
Pourquoi trouve-t-on une convergence? Parce qu’il y a une tendance, au cinéma, dans les années 1980, au spectaculaire, au marquant. Et le réalisateur John Carpenter s’est focalisé sur Manhattan, symbole de la réussite capitaliste américaine. Comme il était critique du régime, il a tout décrit en noir, avec un État militarisé, Manhattan comme prison, mais cela reste un détournement de symboles réels.
Ce type de détournement pseudo-anticapitaliste est typique des années 1980 et il va se systématiser dans les années 1990 sous la forme de l’altermondialisme. Al Qaïda va d’ailleurs initialement beaucoup jouer sur cette corde altermondialiste, se présentant comme le rempart face à l’injustice, etc.
On sait comment les altermondialistes ont cherché à « renverser » les logos et les codes, tels les « yes men », deux professeurs d’université américaine se faisant passer pour des représentants de l’Organisation Mondiale du Commerce ou des dirigeants d’entreprises, en faisant alors un éloge caricaturé au possible du capitalisme le plus barbare et oppresseur.
C’est en fait un esprit petit-bourgeois qui vient de l’art contemporain des années 1980, dans un grand esprit de récupération de tout et n’importe quoi, alors que c’est le début d’un capitalisme tellement généralisé que tout est éphémère, qu’il faut « marquer » les esprits coûte que coûte, que tout est consommation.
Ce qui fait que si on prend les attentats du 11 septembre 2001 et qu’on les confronte à une définition de l’art contemporain – même s’il n’y a pas de définition au sens strict – on retrouve les mêmes principes : éphémère, du jamais vu, spectaculaire, sans média du type peinture ou vidéo (sans objet matériel de « représentation »), occupation de tout un espace, « performance » en direct, œuvre comme fin en soi, absence de culture nécessaire pour comprendre, refus de tout héritage artistique, etc.
C’est parce que les gens ont baigné dans cette culture (ou plutôt cette idéologie capitaliste) qu’ils ont été profondément marqués plus qu’horrifiés, alors qu’il s’agit tout simplement d’une folie barbare contre des civils au nom de motifs religieux délirants. Le mot exact est cependant davantage « impressionnés » plus que marqués.
Al Qaïda a d’ailleurs conçu cela comme une sorte de publicité géante, ni plus ni moins. C’est très différent des attentats de l’État islamique comme au Bataclan à Paris, car Al Qaïda vient des années 1980 et a une démarche intellectualisée, avec une vision de l’opinion publique devant être gagnée à soi par des actions impressionnantes et représentatives, alors que l’État islamique date des années 2000 et a une démarche anti-intellectuelle, son but étant directement de monopoliser.
Dans les décennies futures, le rapport entre les attentats du 11 septembre 2001 et la publicité des années 1980 n’en apparaîtra que plus évidente, avec le recul sur une société de consommation généralisée prise au pied de la lettre par les islamistes d’Al Qaïda.