Emmanuel Macron est pris à son propre piège.
Le Figaro, dans un éditorial, a réagi à l’affaire des sous-marins et à la naissance de l’AUKUS en disant qu’il était hors de question de rappeler les ambassadeurs ou de sortir de l’OTAN. Et pourtant, dans la foulée, Emmanuel Macron a demandé au ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian de rappeler les ambassadeurs français à Washington et Canberra.
En langage diplomatique, c’est un avertissement qu’une ligne rouge a été franchie. Les ambassadeurs ne reviennent pas avant quelques temps – un jour, un mois, une année, etc. -, pour signaler une certaine dimension antagonique à la question.
Le message officiel du ministre des affaires étrangères est le suivant :
« A la demande du Président de la République, j’ai décidé du rappel immédiat à Paris pour consultations de nos deux ambassadeurs aux États-Unis et en Australie.
Cette décision exceptionnelle est justifiée par la gravité exceptionnelle des annonces effectuées le 15 septembre par l’Australie et les États-Unis.
L’abandon du projet de sous-marins de classe océanique qui liait l’Australie à la France depuis 2016, et l’annonce d’un nouveau partenariat avec les États-Unis visant à lancer des études sur une possible future coopération sur des sous-marins à propulsion nucléaire, constituent des comportements inacceptables entre alliés et partenaires, dont les conséquences touchent à la conception même que nous nous faisons de nos alliances, de nos partenariats et de l’importance de l’Indopacifique pour l’Europe. »
On voit que le ministre met sur le même plan l’abandon du partenariat et l’introduction de la technologie américaine en Australie. C’est que la France joue la carte de « l’intermédiaire », du pays de puissance moyenne favorable à un monde « multipolaire ». Or, l’introduction de la propulsion nucléaire a deux conséquences : à moyen terme, d’autres pays vont demander la même chose, comme la Corée du Sud et le Japon. Qui plus est, l’Australie va aller dans le sens de posséder des bombes atomiques.
C’est là multiplier les puissances de taille moyenne, assumer ouvertement la formation de blocs… autant dire que la France a tout à y perdre dans ses ambitions littéralement impérialistes. Elle dispose, rappelons-le, de la seconde Zone Économique Exclusive du monde en raison de tous ses territoires au Pacifique et elle ne compte pas les perdre. Mais toute militarisation, tout conflit implique de les perdre, au profit de la Chine ou des puissances locales (il faut se souvenir de l’attentat français contre le Rainbow Warrior, dans le cadre de telles contradictions).
La France a d’ailleurs immédiatement pris contact avec l’Inde au niveau diplomatique, des discussions ayant eu lieu entre le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian et le ministre indien des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar, une rencontre étant bientôt prévue à New York. Il y a même eu un communiqué officiel français à ce sujet :
« M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, s’est entretenu aujourd’hui par téléphone avec son homologue indien, M. Subrahmanyam Jaishankar.
Les deux ministres ont décidé d’approfondir leur partenariat stratégique, fondé sur une relation de confiance politique entre deux grandes nations souveraines de l’Indopacifique. Ils ont également échangé sur la situation en Afghanistan, qui se détériore.
Les deux ministres sont convenus de se revoir à New York la semaine prochaine, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, pour travailler sur un programme commun d’actions concrètes pour défendre ensemble un ordre international réellement multilatéral. »
Mais c’est là ni plus ni moins qu’une tentative de former un nouveau bloc. En fait, on ne peut pas échapper à la logique des blocs – à moins de s’opposer résolument à la guerre, telle que l’a toujours fait la Gauche historique.
Emmanuel Macron est pris à son propre piège ici, car il s’est posé comme libéral-moderniste faisant « avancer » le capitalisme – et il est dans une situation de crise mondiale où la bataille pour le repartage du monde s’ouvre toujours davantage. Pro-américain par définition, il a été obligé de faire face à un affront diplomatique – mais quelle solution peut-il proposer ?
On voit très bien comment les réactions en France ont été massives sur le plan politique, lors de cette affaire. Cela montre que les prochaines présidentielles vont tendanciellement se jouer sur la ligne stratégique choisie par la haute bourgeoisie française dans une situation mondiale où la guerre est à l’ordre du jour pour la prochaine décennie.