Les dés sont jetés.
C’était une grande question encore en suspens. Eric Zemmour n’avait pas encore pris position au niveau « géopolitique », se contentant de se positionner en « conservateur révolutionnaire ». Allait-il franchir le pas et assumer la ligne anti-américaine caractéristique des velléités expansionnistes à la française? On pouvait en douter, car il provient de la Droite du 16e arrondissement parisien, qui est traditionnellement totalement pro-américaine, par fascination pour le capitalisme triomphant.
Son parcours le poussait normalement à assumer la ligne du RPR, pro-américain mais gaulliste à la base. Cependant, la crise est passée par là et Eric Zemmour assume un néo-gaullisme forcené. Ce qui prouve deux choses :
– qu’il est poussé par toute une tendance historique;
– que cette tendance se cristallise déjà politiquement pour qu’il puisse tenir des propos militaristes et expansionnistes.
En clair, il y a une véritable opération de la haute bourgeoisie et elle a réussi. Jusqu’à quel point, cela reste à voir, mais en tout cas, en se positionnant de ce fait ouvertement en militariste acharné, il remplace Marine Le Pen à la tête de l’option nationaliste.
Car ce qu’il a dit à Rouen, lors d’un meeting le 22 octobre, est édifiant. Il faut que la France dispose de deux nouvelles frégates et deux nouveaux porte-avions. Pourquoi cela? Parce que:
« Soyons honnêtes : si la France est encore écoutée en Europe et dans le monde, elle le doit à son armée et à sa force de frappe nucléaire. Il n’y a pas de politique étrangère forte sans des armées fortes.
C’est l’assurance de pouvoir frapper n’importe qui, n’importe où, n’importe quand. Peu de pays ont cette capacité. Elle est à portée de main pour la France, arrêtons de tergiverser, saisissons-la! »
Ce timing militariste est évidemment parfaitement calculé, puisque le même jour Valeurs actuelles publiait une tribune signée « Les Militaires avec Zemmour ». De la même manière, Eric Zemmour a dénoncé le tandem franco-allemand de l’Union Européenne et c’est exactement ce qu’a fait Marion Maréchal dans une interview au média américain de type conservateur révolutionnaire IM-1776, publié le 23 octobre.
C’est là une véritable offensive politique et les propos suivants tenus par Eric Zemmour le 22 octobre en définissent bien la nature:
« Rassurez-vous : La France peut rester une grande puissance, à condition qu’elle aussi s’en donne les moyens économiques, diplomatiques et stratégiques. »
« Pour commencer, il faut sortir de cette chimère de la « diplomatie européenne ». Arrêtons d’adapter notre politique étrangère aux pudeurs de Bruxelles et aux intérêts de Berlin. »
« En vérité, Emmanuel Macron veut nous confiner dans une Europe trop petite pour la France. »
« Notre allié américain met nos dirigeants sur écoute et laisse la Turquie nous menacer. Ce même allié américain nous empêche d’établir une relation saine avec la Russie et nous fait perdre des milliards d’euros du contrat des sous-marins australiens. »
« Une grande partie du destin du monde se jouera dans la zone Asie-Pacifique, où la France joue déjà un rôle stratégique grâce à notre espace maritime, grâce à la Polynésie, mais aussi grâce à la Nouvelle-Calédonie, qui doit absolument rester française ! »
Abandon du tandem franco-allemand, la superpuissance américaine considérée comme hégémonique au point d’être néfaste, reprise du lien stratégique objectif « traditionnel » de la France avec la Russie, affirmation de l’expansionnisme impérialiste français au moyen du militarisme. C’est on ne peut plus clair.
Cela a été la ligne de Marine Le Pen, mais sans la cristallisation de la crise et pour cette raison avec une dynamique toujours plus sociale-populiste. C’est du passé et on a désormais une ligne fasciste se développant, portée par la haute bourgeoisie appelant à une grande « reprise en main ».
Quel dommage que cette mise en place se soit déroulée si facilement pour elle. Elle a réussi un grand coup, il faut en avoir conscience. Et cela passe aussi par une compréhension réelle du fascisme et par conséquent un rejet catégorique des courants liés au trotskisme pour qui le fascisme serait un « césarisme » avec un dictateur apparaissant pour « dépasser » les contradictions d’une société bloquée.
Le fascisme, c’est la militarisation et la guerre. Ce n’est pas une militarisation facultative, une guerre hypothétique. C’est une marche inexorable. Seul le socialisme peut s’y opposer, s’y confronter, briser ce processus en le renversant.