Éric Zemmour, Marine Le Pen relèvent du fascisme, mais faut-il encore saisir ce que signifie le fascisme en France.
Il y a un problème terrible en France : le fascisme n’est pas compris dans sa substance. Il est toujours analysé comme un décalque d’un modèle extérieur au pays, comme les modèles italiens et allemands. Et de fait, le décalque n’est jamais parfait, et il est donc proclamé que le fascisme français n’existe pas vraiment.
Quand Éric Zemmour parle d’unir la bourgeoisie patriotique et les classes populaires pour « sauver la France », c’est un élément capital du fascisme. Un même état d’esprit qui se retrouve chez Marine Le Pen écrivant une tribune dans « Les Echos » pour « augmenter les salaires et préserver la capacité des entreprises françaises à rester profitables et compétitives ».
Quand on a un minimum étudié l’Histoire, il apparait que le fascisme est un mouvement de masse qui cherche à unir les classes sociales dans un projet de grandeur nationale. La division du peuple sur une base ethnique n’est qu’un moyen, non pas la finalité du projet fasciste. La finalité, c’est la sauvegarde d’une puissance en perte de vitesse, et pour cela il faut couper court à la lutte des classes.
Mais le problème en France, c’est que le fascisme est opposé formellement à la République. Cela est lié à l’opposition De Gaulle / Pétain qui forme un obstacle idéologique de taille pour l’analyse. Car avant 1940, il y a deux lignes dans l’extrême-droite française : celle, historique, pro-monarchiste, liée aux réseaux de l’armée, arc-boutée sur l’idée d’un putsch minoritaire, et celle portée par le colonel de la Rocque avec son Parti Social Français.
En juillet 1940, avec Pétain, c’est la victoire du courant monarchiste et minoritaire des officiers et des ultras de la collaboration, sur le mouvement du Colonel de La Rocque, qui avait proposé un fascisme authentiquement français. C’est lui qui a été à la base d’une véritable révolution intellectuelle. Son apport est capital, et pourtant si simple : en France, la République est trop installée, trop enracinée pour être contestée.
Les ligues d’extrême-droite, celles de l’Affaire Dreyfus, du 6 février 1934, sont nées sur le terrain politique du catholicisme social et sur la base d’une défense de la Monarchie. Pour de la Rocque, elles ne peuvent qu’échouer dans leur entreprise de mobilisation. Et s’il y a une caractéristique fondamentale du fascisme, c’est bien celle de mobiliser socialement les gens dans un sens nationaliste.
Les réseaux des Ligues, c’était surtout la petite caste de militaires, d’officiers qui surent sauvegarder l’héritage catholique- monarchiste après la victoire de la IIIe République à la fin du XIXe siècle. Il suffit de lire n’importe quelle autobiographie de hauts gradés du début du XXe siècle pour voir à quel point Charles Maurras ou Charles Péguy forment des cadres idéologiques pour cette couche sociale.
Lorsque le Colonel de la Rocque forme son « Parti Social Français » en 1936, il va très vite atteindre plus d’un million d’adhérents. Il fait vivre des clubs de sports, tient des jardins ouvriers, animent des réunions de femmes, tout en générant des sections paramilitaires, entrainées et relativement bien armées.
Voici par exemple un extrait du programme du PSF, une base véritable à la pensée de De Gaulle plus tard :
« Nous voulons un État dégagé des influences anonymes et irresponsables : coalitions de partis, de clientèles, d’industries, de banques, de journaux, d’agence, etc. […] Le Président de la République, chef effectif de l’État cessera d’être le personnage effacé qu’il est devenu par l’effet d’une lingue coutume, contraire à l’esprit de la Constitution elle-même. »
Tout cela sur une base claire : la République ne doit pas être heurtée de plein fouet, mis investie pour en transformer le contenu dans un sens nationaliste afin de dépolitiser la société et ainsi barrer la route à la Gauche socialiste et communiste.
Ce que de la Rocque n’a pas pu faire à cause de l’occupation de la France par le régime nazi, c’est le général De Gaulle qui s’en réclamera dans le discours de Bayeux en 1946, puis l’appliquera en 1958 avec la Ve République, cette « monarchie républicaine » vantant la collaboration de classe et un chef au-dessus des partis politiques. Le RPF sera l’héritier du PSF :
« Le salut vint d’abord d’une élite, spontanément jaillie des profondeurs de la nation et qui, bien au-dessus de toute préoccupation de parti ou de classe, se dévoua au combat pour la libération, la grandeur et la rénovation de la France. (Bayeux, 1946) »
Quand Éric Zemmour ou Marine Le Pen se présentent comme des défenseurs de la République, ils le font sur cette base fasciste française où il est sauvegardé la forme institutionnelle pour mieux modifier le fond politique et idéologique. Cela est d’autant plus aisé que le régime n’est plus parlementaire, mais justement une République présidentielle…
Le fonds du fascisme dans ce pays, c’est une sorte de néo-gaullisme, c’est-à-dire une synthèse dans les années 1950-1960 des deux courants de l’extrême-droite. Vouloir combattre le fascisme en ne ciblant seulement les quelques groupuscules de l’extrême droite anti-républicaine serait une grave erreur d’appréciation historique. Plus que l’extrême-droite, c’est le fascisme qui doit être combattu dans la période.