Il ne faut pas prendre son discours au pied de la lettre.
Eric Zemmour parle des « envahisseurs » et il explique qu’il y aurait un « grand remplacement ». Une population étrangère viendrait remplacer les Français et cela tournerait à la catastrophe. Mais il faut bien comprendre que les gens favorables, pour leur majorité, ne comprennent pas les choses de manière « occidentaliste ». Ils considèrent qu’Eric Zemmour dénonce les gens aux comportements anti-sociaux. C’est pour cela qu’Eric Zemmour a une si grande réussite. Et, même, en fait, la réelle nature du discours sur le « grand remplacement » est une mobilisation capitaliste contre le lumpenproletariat.
Il faut bien comprendre qu’il existe trois types de gens dans le capitalisme. Il y a les gens dont le travail est stable, et dont la vie est stable aussi. Il y a les gens dont la vie est instable, car le travail est instable. Dans le premier cas, on a un travail et une vie insérée, l’entreprise ou l’institution pour laquelle on travaille se perpétue, la perspective est toute tracée. Dans le second cas, notamment pour certaines professions intellectuels ou les intérimaires, on vit un peu au jour le jour, surtout dans la jeunesse, car il n’y a pas de perspective bien établie, même si on garde la tête hors de l’eau.
Au 19e siècle, les ouvriers avaient une vie instable, leur salaire était journalier. Au 20e siècle, les ouvriers, à partir des années 1950 surtout, ont une vie totalement stable, pour ainsi dire petite-bourgeoise, d’où leur dédain pour la Cause du Socialisme.
Mais le capitalisme produit également deux autres choses, formant une troisième catégorie. Ce sont les chômeurs et les marginaux. Les premiers forment une armée de réserve plus ou moins grande, les seconds sont des sous-produits du capitalisme. Et plus le capitalisme est en crise, plus il y a des marginaux, qui consomment sans salaires et donc doivent trouver des revenus, de manière criminelle. Cela forme un lumpenproletariat toujours plus grand.
Quiconque va à Paris voit que cette ville est ainsi composée de bourgeois – la majorité des gens diplômés en France est à Paris – et de lumpenprolétaires. Il n’y a plus de « gens normaux » pour ainsi dire, même s’ils y passent, depuis la périphérie de la ville.
Et il s’avère que les chômeurs et les lumpenprolétaires proviennent notamment de l’immigration, parce qu’ils sont arrivés à chaque fois lors de nouveaux cycles d’accumulation, sans argent à la base, sans héritage, devant commencer à zéro. Le capitalisme en crise peut leur proposer toujours moins et voilà pourquoi on arrive à l’accumulation toujours plus grande d’un lumpenprolétariat qui s’avère surtout d’origine immigrée.
Eric Zemmour ne peut bien entendu pas dénoncer le lumpenprolétariat, car il faudrait expliquer d’où il vient : d’un capitalisme ayant perdu sa fonction intégratrice. Il parle donc des « étrangers », afin de les assimiler aux lumpenprolétaires. En fait, lui-même a une approche somme toute raciste et il assimile les étrangers aux lumpenprolétaires, mais la plupart des gens suivant Eric Zemmour ne sont pas racistes, même s’ils ont des préjugés plus ou moins importants. Ils sont révoltés contre les lumpenprolétaires et « relisent » à leur manière ce que dit Eric Zemmour.
Cette situation est d’autant plus logique que la Gauche gouvernementale et l’ultra-gauche ont accompagné la mise en place du turbocapitalisme, au nom des droits des migrants et des LGBTQ+, se prétendant favorables à la conquête des « droits » et servant en réalité d’aiguillons pour réimpulser le capitalisme. On est ici exactement comme aux Etats-Unis avec les démocrates et les républicains.
Les gens « normaux » se retrouvent ainsi sans issue, sans voix politique pour aborder la situation, ni même pour la comprendre. C’est pour cela qu’une approche comme celle d’Eric Zemmour, aussi absurde et raciste qu’elle puisse être, rencontre un certain succès. C’est un succès par défaut, mais réel, car touchant à la réalité de manière concrète, bien que déformée.
Et dans le capitalisme, tout est déformé, alors dans le capitalisme en crise c’est pire. Le capitalisme, pour s’en sortir, cherche à la fois à aller de l’avant (dans le turbocapitalisme) et à aller en arrière (dans le nationalisme protectionniste). C’est un mouvement dialectique et qui ne le voit pas tombe de Charybde en Scylla.