C’est une passivité qui converge avec un capitalisme allant à la guerre.
Il existe en France une Gauche très diverse, allant d’associations aux partis politiques, en passant par des groupes, des réseaux sociaux (facebook et twitter), des syndicats, bref toute une très large scène qui, à défaut d’être nombreuse, est multiple et jamais avare de remarques, de prises de position, etc.
Or, l’ensemble de cette Gauche français ne dit rien sur l’Ukraine et l’escalade militaire qui s’y déroule. Cela concerne pourtant l’OTAN, une organisation dont la France est membre, cela parle de 250 000 soldats se faisant face, cela touche la vie de dizaines et dizaines de millions de personnes qui habitent dans la région.
Et, au-delà, cela pose la question du conflit armé à grande échelle en Europe. Cela se rapporte ainsi à la question du militarisme, du rapport entre le capitalisme et la guerre. Bref, c’est particulièrement menaçant.
C’est pourtant comme si cela n’existait pas. La seule chose qui existe, c’est la page spéciale sur le conflit en Ukraine sur agauche.org, depuis le tout début avril 2021. Il n’y a rien d’autre, c’est comme si la question n’existait pas ailleurs.
C’est là, disons le, un silence criminel. C’est un mélange de fainéantise intellectuelle et de convergence avec le capitalisme auquel, finalement, pratiquement tout le monde fait confiance. Les gens ne croient pas en la guerre, même quand ils racontent que le capitalisme c’est mal, que la France est impérialiste, que le gouvernement est quasi fasciste, etc. Ils sont dans un confort petit-bourgeois tel quel qu’ils font semblant.
Seulement voilà, avec la guerre on ne peut plus faire semblant. Et là on se souvient qu’en 1914, toute la Gauche française, absolument toute la Gauche française, est passée du jour au lendemain de la dénonciation du capitalisme au nationalisme militariste de « l’Union sacrée ». C’est vraiment la même chose, avec une Gauche française actuelle consistant en le bal des hypocrites.
Parce que ce n’est pas comme si on ne parlait pas de l’Ukraine dans les journaux non plus, comme s’il n’y avait pas internet, comme si tout cela se déroulait dans un pays lointain, totalement inconnu, sur lequel on ne saurait rien et d’où aucune information ne proviendrait. L’Ukraine peut être quelque chose de pittoresque, soit, mais on sait dans les grandes lignes ce qui s’y passe, si on fait l’effort de chercher.
Et, normalement, la Gauche est censée faire cet effort. Ce sens de l’effort est normalement même ce qui la caractérise. Elle ne se fie pas aux apparences, elle ne croit pas ce que disent les capitalistes, elle ne fait pas confiance aux institutions au service de ceux-ci. Elle se forge sa propre vision du monde en se fondant sur son regard critique du capitalisme.
Là, il n’y a rien. On peut considérer qu’il y a trois causes à cela. La première, c’est qu’une partie de la Gauche est gouvernementale. Elle dira ce que dira la diplomatie française, avec certaines nuances. Elle ne veut pas critiquer l’État français, ni remettre en cause la place du capitalisme français sur le plan international. Bref, elle se plie.
La seconde, c’est qu’une autre partie de la Gauche est anti-intellectuelle. Qu’elle soit populiste avec Jean-Luc Mélenchon, syndicaliste d’esprit anarchiste, cela ne change rien : elle est stupide, elle ne veut pas réfléchir, elle ne croit que ce qu’elle voit et elle ne voit rien. Ces gens ne sont même pas capables de remarquer comment les animaux sont maltraités dans leur propre pays, alors savoir où est l’Ukraine…
La troisième, c’est qu’une troisième partie de la Gauche est alignée sur les universitaires américains, avec les principes de « déconstruction », de LGBT, de racialisme ethno-différentialiste, etc. Ces gens réfléchissent, pour le coup. Mais ils sont dans leurs délires et uniquement dans leurs délires. Ils existent parce que le capitalisme leur a proposé des postes universitaires, des réseaux sociaux et de nouveaux secteurs économiques – le turbocapitalisme – qu’ils sont là pour légitimer. Alors, forcément, la guerre, ils ne la conçoivent même pas.
Ce qui compte donc, c’est la réaffirmation des principes et des valeurs de la Gauche historique. Cela exige des efforts, un esprit de rupture avec le mode de vie petit-bourgeois, avec le consumérisme stérile si facile dans un capitaliste développé. Qui ne voit pas que le capitalisme propose sans cesse de la corruption est condamné à se faire avoir. Il faut savoir rompre – et l’enjeu, ce n’est pas moins que s’affronter avec la guerre à venir.