Partant de là, si on rejette Dieu…
« Durant trois jours, à l’isolement sur sa paillasse humide, Fock n’a pas eu la moindre miette à avaler. Juste un carafon d’eau à demi croupie. Au soir du quatrième jour, le voilà traîné devant l’un de ses geôliers.
Affaibli par son jeûne forcé, il flageole sur ses jambes. Mais, calfeutré dans son uniforme grisâtre, le personnage qui fait office de chef de la troisième sous-section du NKVD lui ordonne de rester debout. À coups de bâton sur ses reins, là où le choc fait le plus mal.D’une voix mauvaise, le chef lui apprend qu’il fait partie des conjurés de Poulkovo. Ceux-là qui, traîtres à l’État, profèrent que l’Univers a connu un commencement, des milliards d’années en arrière.
Fock devine alors que l’un de ses tortionnaires doit être l’idéologue de la troupe. Car ce dernier se laisse couler dans un bloc de colère refroidie, portée par une voix déréglée dans les aigus.
Selon cette voix, le matérialisme dialectique couronne le triomphe de la raison. L’Univers est là depuis toujours. Et pour toujours. »
« Dieu, la science, les preuves »
« Dieu, la science, les preuves« , de Michel-Yves Bolloré (ingénieur en informatique, maître ès sciences et docteur en gestion des affaires de l’Université Paris Dauphine) et Olivier Bonnassies (entrepreneur ancien élève de l’École Polytechnique, diplômé de l’Institut HEC start up et de l’Institut Catholique de Paris) épaulés par une vingtaine de personnes, est un ouvrage de 577 pages best-seller en France, avec plus de 100 000 exemplaires vendus en trois mois. Les médias en ont énormément parlé, soulignant son impact sur le plan des idées au sein de la société alors qu’il y a également des conférences à ce sujet.
Il a été publié aux éditions Guy Trédaniel, une maison d’édition ne publiant que des horreurs psychologisantes, mystiques, etc., du genre « Découvrez le chemin de votre âme grâce aux Mémoires Akashiques », « Se libérer du sentiment d’abandon et des angoisses de séparation », « Les nombres boussoles », « Le grand livre des 12 libérations énergétiques », « La nouvelle science de la conscience », « La numérologie en action (Un problème = Une solution) », « L’Oracle à Haute Vibration », etc.
Ces éditions avaient déjà publié en 2014 Trois minutes pour comprendre le Big Bang des frères Bogdanoff, récemment décédés du COVID-19 et qui d’ailleurs ont également participé à « Dieu, la science, les preuves », car l’approche est exactement la même bien que là on a quelque chose de bien plus sérieux.
Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies tirent en effet à l’artillerie lourde avec de très nombreuses références, menant une grande bataille cosmologique, d’une manière qu’on ne peut que considérer comme tout à fait cohérente. Pourquoi cela ?
Tout simplement parce que la théorie du big bang est une conception se présentant comme scientifique et développée par un abbé, astronome et physicien, Georges Lemaître. Son principe est bien connu. Or, en France, 99,9% des gens se voulant athée ou anti-religieux s’en revendiquent, considérant que cela s’oppose à la religion et au créationnisme. Sauf que pas du tout, puisque cela relève de l’idéologie catholique romaine visant à intégrer un discours pseudo-scientifique. Le monde serait le produit d’un « dessein intelligent », la Bible utiliserait des allégories, le big bang serait le moyen employé par Dieu pour donner naissance au monde.
Tel est très exactement le contenu de « Dieu, la science, les preuves ».
Cinquante années d’intense propagande sur le big bang ont de fait été particulièrement efficaces et maintenant la religion en récolte les fruits, jetant les athées et les anti-religieux comme des fétus de paille pour avoir été fainéants intellectuellement. Il suffit en effet aux auteurs de dire : tout le monde reconnaît l’existence du big bang, donc si l’on veut être scientifique alors on l’accepte, donc si on est scientifique on doit croire en Dieu.
C’est implacable. Et c’est juste.
Car, par fainéantise, les athées et les non-religieux s’imaginent que Dieu, ce n’est que de la superstition. Or, c’est inexact. Dieu c’est aussi un moyen d’expliquer les choses. Si l’on raisonne en termes de cause et de conséquence, il faut bien une cause ! Même Aristote, anti-religieux, a dû faire la théorie d’un « Dieu » n’ayant que comme simple fonction d’être un « premier moteur ». Il en va de même pour les déistes des Lumières, comme Rousseau et Voltaire, anti-religieux, mais ayant besoin d’un « grand horloger » afin de justifier que le monde fonctionne.
Ce n’est pas tout ! En raison de l’offensive post-moderne, notamment LGBT, le matérialisme est combattu de l’intérieur par les ultra-individualistes rejetant toutes les normes et, par conséquent, hostiles au concept de « Nature ». Or, si on rejette la Nature, alors le monde est matériel mais relève du hasard. Il est alors très facile pour les religieux d’arriver et de dire que le monde ne relève pas du hasard, qu’il y a une cohérence dans l’ensemble. Qu’il faut donc un principe organisateur, qui vient forcément de Dieu.
« Dieu, la science, les preuves » est à ce titre un ouvrage extrêmement intéressant, car il retrace de manière très lisible la théorie du big bang, il montre comment il y a cinquante ans, les matérialistes s’y opposaient tous, comme il est ainsi relaté :
En 1963 encore, Alexandre Dauvillier, le titulaire de la chaire de cosmologie au Collège de France à Paris, aurait dit, à propos du Big Bang : « C’est de la foutaise. L’Univers n’a pas de début, car penser que l’Univers a un début, ce n’est plus de la physique, c’est de la métaphysique . »
Ce qui est fou, c’est qu’aujourd’hui le big bang est considéré comme « physique » justement ; concrètement seul le PCF(mlm) le réfute au nom du matérialisme dialectique. Ce qui est idéologique-dogmatique, car cela revient à dire : les preuves du big bang s’appuient seulement sur des données qui sont interprétées en un sens particulier. Au nom de l’idéologie (communiste), il faut considérer comme partielles ces données qui remettant en cause la vision communiste du monde et combattre les interprétations pro-religieuses.
C’est dogmatique car cela fait donc triompher l’idéologie. Mais en même temps, n’y a-t-il justement pas ici une idéologie à l’oeuvre avec le big bang?
Toute la question est bien là. « Dieu, la science, les preuves » n’est pas un récupération de la théorie du big bang, c’est un ouvrage bien fait, résumant bien le développement de la conception du big bang et ses implications. Et en même temps c’est normal que cela se retrouve chez les éditions Guy Trédaniel, parce que la tendance est la même : promouvoir l’irrationalisme.
Une preuve de cela, c’est que « Dieu, la science, les preuves » vise justement explicitement le matérialisme dialectique, présenté comme ennemi à abattre. Karl Marx et Friedrich Engels voient leur conception de l’éternité de la Nature évidemment attaquée frontalement et on trouve une très longue dénonciation particulièrement romancée du combat soviétique, à l’époque de Staline, contre la conception du big bang et ses partisans. L’ouvrage est ouvertement idéologique.
D’ailleurs, pour bien faire, il y a également une longue dénonciation des nazis qui auraient pareillement rejeté le big bang. Cela ne s’étaie ici sur strictement rien, à part sur quelques illuminés à la marge du régime, et d’ailleurs les soldats allemands de la seconde guerre mondiale avaient sur leurs ceinturons la devise « Gott mit uns », Dieu avec nous. Mais on a compris le sens de la démarche qui est d’assimiler le matérialisme dialectique au nazisme, comme formes « matérialistes » hostiles à Dieu.
L’ouvrage est concrètement un véritable manuel de propagande, tout en étant une excellente introduction à qui veut découvrir le monde de la cosmologie, car Il est très pédagogique et en même temps totalement à charge, ce qui permet d’élever son niveau, à condition d’être athée et de saisir les véritables enjeux.
Mais, athée, qui l’est vraiment, d’ailleurs, aujourd’hui en France ? L’ouvrage propose une citation aidant à savoir si on l’est:
« Au XVIIIe siècle, Diderot et d’autres penseurs postulèrent que la matière elle-même était vivante : « Tout animal est plus ou moins homme ; tout minéral est plus ou moins plante ; toute plante est plus ou moins animal. »
Être athée, comme Diderot, c’est considérer que la matière est sensible en elle-même, avec différents degrés d’organisation. Si on ne l’admet pas, si on considère qu’il y a quelque chose « en plus », alors il faut trouver une origine à cela – et c’est Dieu, que celui-ci soit un petit pois, des spaghettis, Allah, ou le Christ.
Les Français ne veulent pas du Christ ou d’Allah, mais ils ne veulent pas reconnaître la Nature. Ils leur restent alors les petits poids ou les spaghettis. On comprend pourquoi la société française est en déchéance.