Le succès de l’opération a été immense.
Il est un film qu’il est très utile de voir : Mourir à trente ans, un documentaire de 1982, qui retrace la prétendue naissance de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire au milieu des années 1960, avec le jeune Alain Krivine à sa tête. De manière scénarisée, il est expliqué que des jeunes, révolutionnaires sincères, rompent avec le Parti communiste « stalinien », fonde d’eux-mêmes une petite organisation qui réussit de par sa sincérité et son engagement à se formaliser comme une structure politique d’envergure, la Jeunesse Communiste Révolutionnaire, jouant un rôle éminent en 1968, fondant dans la foulée une Ligue Communiste, devenant le Front Communiste Révolutionnaire, puis la Ligue Communiste Révolutionnaire, puis le Nouveau Parti Anticapitaliste (en 2009).
Cette affiche de mai 1974 reprend très exactement ce qui est une narration esthétisée-romantique visant à piéger les gens. Même la page wikipédia de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire reprend cette fiction.
En réalité, la Jeunesse Communiste Révolutionnaire a été un montage politique mis en place par les trotskistes du Parti communiste internationaliste. Complètement isolés politiquement après 1945, les trotskistes se sont divisés sur les moyens de se développer. La tendance du Parti communiste internationaliste a opté pour le masque gauchiste, cherchant à recruter à la fois de manière secrète et à proposer des fronts factices pour recruter en trompant. Alain Krivine, né en 1941 et qui vient de décéder, a ainsi été recruté puis a continué d’agir comme « taupe » dans l’Union des Etudiants Communistes, pour organiser une rupture artificielle.
Cela amena la mise en place de la « Jeunesse Communiste Révolutionnaire », calibrée dans une forme théorisée par le trotskiste égyptien Michel Pablo, façonnant le fond de l’approche de la « Quatrième Internationale – Secrétariat unifié ». Il fallait se présenter selon Michel Pablo comme la plus favorable à toute contestation mondiale, suivant le principe que « tout ce qui bouge est rouge », afin d’obtenir du prestige. La Jeunesse Communiste Révolutionnaire avait comme slogan « Ho Ho Ho Chi Minh Che Che Guevara », s’affirmait en soutien des Black Panthers américains, du FPLP palestinien, du FNL vietamien, du FLN algérien (alors au pouvoir), même de la Chine maoïste, bref se présentait comme au centre du « jeu » mondial révolutionnaire, tout en ayant en réalité une idéologie trotskiste récusant par derrière concrètement tout ce qui était soutenu.
Afin de racoler au maximum, la Jeunesse Communiste Révolutionnaire d’Alain Krivine prônait également la promiscuité sexuelle (dénommée « amour libre »), un style branché, le droit de tendances dans l’organisation, etc. Dans ce jeu de la surenchère romantique, la Jeunesse Communiste Révolutionnaire a également affirmé que mai 1968 n’était qu’une répétition générale, cherchant à recruter en manipulant l’impatience révolutionnaire de la jeunesse.
Pour cette raison, elle fut amenée à organiser des structures clandestines non loin de la lutte armée, afin de se donner une aura révolutionnaire, multipliant les petits coups de force symbolique, menant à l’assaut contre un meeting fasciste en 1973 à Paris. Cette manifestation antifasciste ultra-violente, dont les maoïstes furent d’ailleurs une composante très importante (mais oubliée dans la « légende »), amena la dissolution par l’Etat de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire / Ligue Communiste.
S’ensuivit alors un retournement complet de la ligne (le film « Mourir à trente ans » raconte justement jusqu’à ce moment-là cette histoire, en la romançant). Il fut adopté une ligne « militante » traditionnelle, avec un fort accent électoraliste et syndicaliste, maintenant une tradition de recrutement romantique en se posant littéralement comme aile gauche du Parti socialiste dans les années 1980. Ce processus d’opportunisme le plus complet se vit ajouter une dimension associative, et la prétention révolutionnaire s’édulcora toujours plus, jusqu’à la transformation en « Nouveau Parti Anticapitaliste » en 2009, rompant formellement avec le trotskisme.
Alain Krivine a accompagné toute cette vaste séquence, de 1968 à sa mort, étant le porte-parole historique seulement officiellement, mais en pratique aux manettes. Il a servi de caution historique légitimant les transformations idéologiques, permettant à son courant de maintenir une grande aura « révolutionnaire » depuis mai 1968, alors que dès 1973 toute la démarche de confrontation avait été jetée aux oubliettes. L’opération du Parti Communiste Internationaliste dans les années 1960 a marché à merveille : le petit groupe d’ultra-gauche a donné naissance à un mouvement « révolutionnaire » de masse – qui s’est en fait totalement intégré au paysage de la révolte fictive dans un capitalisme au consumérisme présent 24h sur 24.
Cela souligne l’importance des moments clefs : mai 1968 a donné cinquante ans d’élan à ce courant trotskiste, qui aujourd’hui est à l’agonie, ayant joué son rôle trompeur et néfaste.
« Mourir à trente ans » a également joué un rôle très important. Il a donné naissance à un mythe, induisant en erreur des jeunes à l’ultra-gauche qui, ne connaissant pas l’arrière-plan manipulateur et fictif, sont amenés à s’imaginer qu’il faut suivre le même « parcours » d’ultra-militantisme activiste pour forcer le cours des choses (avant 2020, tous les cinq ans il apparaissait en France un mouvement de ce type, disparaissant après un certain succès bien évidemment en fait artificiel).
Voici le film Mourir à trente ans, qu’il faut connaître pour sa « narration », et auparavant l’extrait romancé tiré de Mourir à trente ans concernant l’attaque meeting fasciste en 1973.