La question de la reconnaissance de la tendance à la guerre est épineuse.
Si l’on prend la Gauche française dans sa totalité, on peut s’apercevoir qu’il y a somme toute très peu de structures considérant que la guerre est inévitable, car le capitalisme en crise y pousse inexorablement. C’est là quelque chose de tout à fait dramatique et cela reflète que, sur le plan des conceptions du capitalisme, on est revenu aux années avant 1905, avant la naissance de la SFIO rassemblant les socialistes dans le cadre de la seconde Internationale.
Il est bien reconnu que la guerre est possible, très fortement possible, mais elle ne relèverait que de la panoplie du capitalisme, ce serait un aspect militariste. Il n’y a pas la conception que le capitalisme en crise implique le fascisme et la guerre.
Or, la guerre en Ukraine oblige à prendre position et à annoncer l’avenir. Comment faire ? La plupart ne prennent même pas position ou en prennent une purement symbolique, et chez certains il n’a même pas été parlé de la guerre en Ukraine. C’est de l’économie politique, c’est trop compliqué.
Lutte Ouvrière a une économie politique et devait prendre position. Elle l’a fait, mais en prenant deux positions antagoniques en même temps. L’article « Le prologue d’une guerre généralisée ? » réfute la conception qu’on trouve sur agauche.org. L’article « Votez pour dénoncer les fauteurs et les profiteurs de guerre, et les gouvernements qui veulent nous embrigader ! » dit le contraire… Ou alors c’est subtile et il faut voir ce qu’il en est.
L’article « Le prologue d’une guerre généralisée ? » dit les choses clairement : il n’y a pas de tendance à la guerre actuellement. Il peut y avoir la guerre, mais seulement comme accident de parcours. La guerre accompagne le capitalisme, ce n’est pas un aboutissement de celui-ci.
« Il n’y a pas aujourd’hui un mécanisme économico-politique qui pousse inévitablement à la généralisation de la guerre du même type que ce qui a précédé la Deuxième Guerre mondiale, et même dans une certaine mesure la Première Guerre mondiale (un impérialisme coincé par ses concurrents et étouffant faute d’espace vital).
Mais on est déjà au-delà de l’affirmation si juste mais abstraite de Jean Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. »
La guerre en Ukraine sera peut-être considérée par les historiens du futur comme une des étapes préparatoires d’une guerre généralisée à venir. Un peu comme ce qu’ont été avant la Deuxième Guerre mondiale l’invasion de l’Éthiopie par les troupes de Mussolini ou celle de la Mandchourie par l’armée de l’Empire du Japon, avec la course à l’armement, les mercenaires préparant le terrain, la manipulation de l’opinion publique, l’embrigadement de la population, les massacres de masse.
L’interpénétration de la situation de crise et des préoccupations guerrières des uns et des autres est susceptible de provoquer un « processus autoréalisateur ». C’est-à-dire que la guerre, en aggravant la crise, en bouleversant les rapports de force, en soulignant les contradictions entre les puissances impérialistes elles-mêmes, pousse à un mécanisme conduisant à la guerre généralisée. Il ne faut pas raisonner uniquement en fonction de ce qui s’est passé lors de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale. D’ailleurs, les deux n’étaient identiques qu’en ceci : elles ont concrétisé la barbarie vers laquelle évolue l’impérialisme, c’est-à-dire le capitalisme pourrissant.
Pour le moment, le camp impérialiste, représenté par son organisme militaire, l’OTAN, dominé par les États-Unis, prend moult précautions pour pouvoir affirmer qu’il n’est pas en guerre, tout en renforçant son dispositif d’encerclement tantôt de la Russie, tantôt de la Chine.
On peut entrevoir plusieurs cheminements possibles, les uns à l’initiative de Poutine qui, coincé par l’insuccès de la guerre éclair qu’il avait espérée avec l’accord des sommets de la bureaucratie, pourrait essayer de donner le change en Moldavie, en Géorgie ou ailleurs.
Quant à l’OTAN, tout en se gardant de passer pour l’agresseur, elle continue à livrer des armes à l’Ukraine en quantités croissantes, ce qui peut entraîner bien des dérapages.
Mais, encore une fois, c’est l’approfondissement de la crise, aggravée par le fait même de la guerre en cours, dans une économie archi-mondialisée, où tout le monde dépend de tout le monde, qui peut rendre la généralisation de la guerre inévitable.
« Ne demande pas pour qui sonne le glas, il sonne pour toi. » Il en sera ainsi tant que le prolétariat n’aura pas détruit le capitalisme, la propriété privée des moyens de production, la concurrence, c’est-à-dire la guerre économique qui porte en elle la guerre tout court. »
L’article « Votez pour dénoncer les fauteurs et les profiteurs de guerre, et les gouvernements qui veulent nous embrigader ! » semble pourtant, en apparence, dire le contraire.
« S’il est impossible de prévoir comment la situation internationale va évoluer, une chose est sûre, ceux qui nous gouvernent ont commencé à aiguiser leurs couteaux.
Il y a cent ans, toute une génération a connu la boucherie de la Première Guerre mondiale. Puis la génération suivante s’est retrouvée sur les champs de bataille de la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, il y a eu les guerres coloniales, au Viet Nam ou en Algérie. En réalité, les guerres ne se sont jamais arrêtées. Les désastres en Syrie, en Irak ou au Yémen sont là pour en témoigner.
Le système capitaliste, fondé sur l’esclavage salarial, mène inévitablement à la guerre. La guerre fait partie du capitalisme. Et si elle est une tragédie pour les populations, elle est un énorme business pour les trusts. Les profits des groupes pétroliers et de ceux de l’armement en sont l’illustration écœurante.
On lit bien : « Le système capitaliste, fondé sur l’esclavage salarial, mène inévitablement à la guerre ». C’est tout à fait clair. Sauf que, en fait, il est dit que « la guerre fait partie du capitalisme », et qu’en fait il y a la guerre tout le temps. La guerre va inévitablement arriver dans le capitalisme… sauf que, en fait, non, c’est un phénomène qui se produit comme un à côté du capitalisme. Lutte Ouvrière ne considère pas que le capitalisme en crise mène à la guerre. D’ailleurs, pour Lutte Ouvrière, le capitalisme est en crise depuis des décennies, voire depuis 1917.
C’est tellement vrai que pour Lutte Ouvrière, la Russie actuelle porte encore quelque chose de socialiste. Si on regarde ce que dit Lutte Ouvrière, il n’est jamais affirmé qu la Russie est impérialiste. Il est toujours parlé du camp impérialiste, et de la Russie, qui on ne sait trop quoi, une sorte de bureaucratie post « État ouvrier dégénéré », où le capitalisme n’en est pas vraiment un (on trouvera son long justificatif théorique ici).
Lutte Ouvrière est ici coincé entre les trotskistes de Révolution permanente, pour qui la guerre n’est pareillement qu’un accompagnement du capitalisme, et le Pôle de Renaissance Communiste en France, qui considère que la Russie, c’est… autre chose que du capitalisme, de l’impérialisme.
Tout cela parce que les gens restent coincés dans le passé et ne veulent pas voir que depuis 1945, et depuis 1989, le capitalisme s’est formidablement développé à travers le monde.
Entre ceux vivant dans le passé pour qui le capitalisme a arrêté de grandir en 1917 et qui ne voient donc pas la société de consommation, et ceux qui baignent tellement dans celle-ci qu’ils s’imaginent que le turbocapitalisme (PMA, GPA, LGBTQ, migrants, drogues, etc.) est l’avenir, on est bien mal parti. C’est à l’image du pays dans la présidentielle 2022, avec d’un côté les nostalgiques (Marine Le Pen, Eric Zemmour, Fabien Roussel), de l’autre les modernistes (Emmanuel Macron, Yannick Jadot), et d’autres jonglant entre les eux (Valérie Pécresse, Jean-Luc Mélenchon).