Désormais, pour la Russie, l’Ukraine doit payer, et payer cher.
S’il est une chose que les Russes ne supportent pas, c’est l’ingratitude. C’est un trait historique, qui remonte sans doute aux communautés paysannes médiévales très marquées par le partage, les « mirs ». Quoiqu’il en soit, on peut considérer que début avril 2022, la Russie voit l’Ukraine comme une ingrate et, par conséquent, elle passe à la trappe.
Contrairement aux affirmations occidentales, la Russie a jusqu’ici été prudente à ne pas lancer des opérations dévastatrices, car l’objectif était d’obtenir une Ukraine retombant dans son giron. L’armée russe n’a ainsi pas du tout opéré comme elle est censé ele faire. C’est par exemple ce qui explique que, au niveau de Kiev, elle a payé cher lors de ses tentatives de prise de la ville et de ses alentours.
Maintenant, c’est fini. La Russie cesse, de manière chauvine, de considérer les Ukrainiens comme des petits-russes plus ou moins arriérés. Elle voit non pas seulement que l’Ukraine résiste, mais qu’elle est passée de manière ouverte dans une accumulation d’armes occidentales et d’appels aux occidentaux. C’est naturellement le régime ukrainien qui fait cela, mais pour les Russes, la question ukrainienne est en quelque sorte une question de famille. Là, l’Ukraine sort de la famille. Cela ne passe pas. Une telle ingratitude ne peut avoir comme sort qu’une seule chose : le rejet, violent.
Désormais, la Russie va avoir un but simple : faire payer très cher sa trahison à sa petite « sœur » – il y a trois sœurs, la troisième étant la Biélorussie. Les coups vont faire mal et vont viser à briser les infrastructures ukrainiennes. Déjà que l’Ukraine est le pays le plus pauvre d’Europe, dans une situation catastrophique, alors là il s’agit de ramener le pays cinquante ans en arrière, de la réduire à un pays intermédiaire du tiers-monde.
La Russie considère qu’ainsi, au fil des décennies, des frustrations venant de l’échec complet de la ligne du régime ukrainien, il y aura un rapprochement. Mais en attendant, la coupure est là. Regardons ainsi la carte de la situation militaire, telle que donnée par l’arme française.
Cette carte, qui attribue davantage de succès à l’armée russe que ne le font les Américains et les Britanniques, montrent bien qu’il s’agit de prendre en étau l’armée ukrainienne présente dans le Donbass. Quant à la suite, voici ce qui est immanquablement l’objectif : la « Nouvelle-Russie ». On parle ici de tout le flanc sud de l’Ukraine, au bord de la Mer d’Azov et de la Mer Noire, conquis à la fin du 18e siècle sur l’empire ottoman par l’impératrice russe Catherine II (par ailleurs allemande).
C’est une région où il y a beaucoup de russophones. Mais de toutes façons cela ne change pas grand chose. La Russie considère que ce territoire lui revient de droit historiquement, que c’est stratégiquement incontournable, donc cela deviendra russe coûte que coûte. Il est strictement impossible pour le régime russe d’accepter de perdre Odessa, alors qu’il y a l’occasion historique de la prendre. D’ailleurs si elle ne devient pas russe, en raison des contradictions entre grandes puissances, elle passera sous tutelle britannique qui y amènera sa flotte militaire (et alors avec la Turquie il y aura la tentative de prendre la Crimée).
La Russie – et elle aura ainsi l’assentiment massif de sa population – considère que puisque l’Ukraine a récupéré la Nouvelle-Russie dans un parcours historique commun, alors puisqu’elle veut aller ailleurs, elle doit laisser les bijoux de famille. Et de ce point de vue, tant pis pour elle si elle perd tout accès à la mer, alors que c’est économiquement vital pour elle. Pour la Russie, la trahison a un prix. C’est désormais le sens de l’opération « Z ».