National et social, mais pas socialiste.
A plusieurs reprises, Eric Zemmour a qualifié le programme de Marine Le Pen comme étant de gauche. En effet, selon le premier, qui est tenant d’une droite libérale et ouvertement anti-ouvrière, il faut assumer à fond de dégommer tout ce qui est bien public, et ce au profit du privé, de l’entreprenariat et des entreprises en général.
Ce n’est pas l’approche de Marine Le Pen qui relève pour sa part du gaullisme et qui a une orientation qu’on peut et doit qualifier de néogaulliste. Cela signifie qu’elle tiendra toujours à appuyer sur le fait d’être concernée par les préoccupations économiques des classes populaires et de la petite-bourgeoisie, symboliquement avec une approche sociale des choses, concrètement de manière corporatiste.
Autrement dit, elle défend un État fort, qui ait une vocation protectrice vis-à-vis des personnes les plus faibles, qui soit acteur de l’économie, quitte à envisager une forme de « planification », ou plus exactement de prévision au service des grandes entreprises, dans certains secteurs. Cela n’a rien de nouveau, ni de soviétique, c’est l’essence même du gaullisme, qui organise une sorte de fusion entre l’État et les grandes entreprises monopolisant des pans entiers de l’économie.
Un tel programme rend hystérique un libéral tenant d’une droite classique (et dure) tel Eric Zemmour, qui pour sa part considère que par principe, tout ce qui relève de la puissance publique est négatif, que tout ce qui relève de l’État, en dehors des fonctions régaliennes (police, justice, armée et administration générale du pays), est forcément mauvais.
Ainsi, Marine Le Pen n’est pas du tout de gauche et ne s’inscrit aucunement dans la perspective historique de la Gauche. Être de Gauche, cela signifie se battre pour le Socialisme, c’est-à-dire une société où ce sont les ouvriers qui ont le pouvoir, avec une bourgeoisie qui est mise au pas pour disparaître en tant que classe. Être de Gauche, cela signifie donc assumer la lutte de classe, contre la bourgeoisie.
Tel n’est pas le cas de Marine Le Pen, qui n’envisage pas, au contraire, de s’en prendre à la bourgeoisie en tant que classe, et d’assumer la prise du pouvoir par la classe ouvrière. Pour Marine Le Pen, il n’y a pas de contradiction entre le fait d’assumer un État ayant une vocation sociale et protectrice, et en même temps d’assumer vouloir servir les entreprises, et donc le développement de la bourgeoisie dans la société.
Cela amène à des incohérences, comme par exemple le fait de vouloir baisser la TVA (à 5,5%) sur l’énergie. Si Marine Le Pen était de Gauche, elle ne chercherait pas d’abord à faire baisser des recettes fiscales (et donc baisser le revenu public, commun), mais s’en prendrait d’abord aux grandes entreprises comme TotalEnergie pour rogner sur ses profits (16 milliards de dollars de bénéfices en 2021).
Sur de nombreux aspects, le programme de Marine Le Pen est de fait très libéral, dans une perspective très similaire à celle d’Emmanuel Macron ou Valérie Pécresse, tout en n’allant pas aussi loin qu’Eric Zemmour. Voyons ainsi les principales mesures concernant l’économie, le « pouvoir d’achat », les revenus de la population, mises en avant par Marine Le Pen.
Certaines mesures ont une vocation sociale, tournées vers les classes populaires ou dites « moyennes » :
– réindexation des retraites ;
– doublement de l’allocation pour les familles isolées ;
– déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé ;
– baisse les droits de succession et suppression en deçà de 300 000 euros de biens immobilier.
On pourrait ajouter la suppression de la redevance télévisuelle, mais il s’agit là surtout au fond d’une question culturelle et « sociétale » plutôt que strictement économique.
Tout le reste de son programme économique par contre est orienté vers la bourgeoisie, la défense de la bourgeoisie, de l’accumulation de capital par la bourgeoisie, et non pas de la société et du bien commun.
La mesure phare actuellement est la baisse de la TVA sur tous les produits énergétiques, qui comme dit n’a pas de sens social. Il y a ensuite la suppression de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans. Ce n’est pas une mesure de gauche : pourquoi des jeunes bourgeois ne contribueraient-ils pas au budget de la collectivité de part leur revenu ? Ce n’est pas normal. Si les jeunes de moins de trente ans ont un revenu suffisant et peuvent participer à l’impôt sur le revenu, c’est au contraire une bonne chose d’un point de vue de Gauche.
Il y a ensuite des mesures incitatives pour soutenir les entreprises à augmenter les salaires de 10 %. Ici, « l’incitation » consiste en fait à baisser les charges, et donc la contribution des entreprises (et de leurs dirigeants, cadres, etc.) à la collectivité. Ce n’est pas une mesure de gauche.
Elle propose également la suppression de l’impôt sur la fortune immobilière, car c’est un « impôt sur l’enracinement ». Marine Le Pen ne veut pas s’en prendre aux bourgeois français qui possèdent une fortune immobilière. C’est très clair.
Elle veut mettre en place un impôt sur la fortune financière, reprenant l’assiette de l’ancien ISF à laquelle sont ajoutée les œuvres d’art acquises depuis moins de dix ans, mais de laquelle sont enlevés la résidence principale ou unique pour le cas de ceux qui sont locataires de leur résidence principale, les monuments historiques et, bien sûr dit-elle, l’outil de travail.
C’est là encore très clair, il s’agit de ne surtout pas s’en prendre à la bourgeoise et de ne pas rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune qui concernait justement les grandes villas ou grands appartements parisiens, les entreprises familiales, etc.
Dans le même genre, pour garantir la transmission du patrimoine bourgeois dans les familles, elle veut les droits de succession pour les entreprises, si les descendants s’engagent à ne pas céder l’entreprise héritée pendant 10 ans.
En fait, Marine Le Pen, si elle veut un État fort, elle est aussi, voire surtout, intéressée par un capitalisme fort. Les entreprises, les entreprises, les entreprises : voilà ce qui l’intéresse. Et voici donc sa mesure la plus significative sur la question économique : « diriger l’épargne des Français vers l’investissement privé des entreprises » en créant un fonds souverain français, rémunéré de 2 % par an, pour que les Français deviennent somme toute tous des bourgeois et investissent dans « des entreprises stratégiques ».
Elle dit ainsi que les Français doivent devenir « actionnaires de la Maison France. »
Ce l’inverse d’un point de vue de Gauche, et c’est précisément ce qui fait d’elle une nationaliste puisqu’elle prétend que la question sociale se résoudrait grâce à un capitalisme « national », c’est-à-dire tourné vers son propre pays et hermétique/réfractaire aux capitalismes étrangers.
Dans la même veine, Marine Le Pen s’intéresse beaucoup aux petites entreprises et a des cadeaux à leur faire : suppression de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et, pour ce qui concerne des « zones de relocalisation », suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Cela représente, selon son chiffrage, pas moins de 10 milliards d’euros de cadeau à ces entreprises, et donc d’argent en moins pour la collectivité.
Voilà qui est tout à fait de Droite, tout à fait conforme au capitalisme, aux intérêts de la bourgeoisie, petite, moyenne, et même grande, qui n’est pas touchée par Marine Le Pen. Jamais elle n’envisage que son gouvernement oblige l’augmentation des salaires pour les ouvriers et les employés. Jamais elle n’envisage que son mandat serve à une meilleur représentation dans la société des ouvriers et des employés.
Marine Le Pen est ainsi une néo-gaulliste, proposant non pas simplement de moderniser le capitalisme comme Emmanuel Macron, mais de le ré-impulser.