Le mouvement est tout, le but n’est rien ?
Jean-Luc Mélenchon a reçu les voix de 21,95% des votants lors du premier tour de la présidentielle 2022, le 10 avril. Tous les gens de gauche ont pu s’apercevoir dans leur entourage que, les 10 derniers jours, il y a eu sans doute un grand appel d’air en sa faveur. Même des gens éloignés de lui sur le plan des idées ont décidé de se tourner vers lui.
Ce processus a en fait commencé formellement à la mi-avril 2022, avec un appel en sa faveur du « Réseau national d’acteurs des quartiers populaires » (signé par des figures militantes antiracistes issues de l’immigration et s’enfermant dans une démarche « anticoloniale »). Cependant, de manière un peu plus profonde, le processus remonte aux douze derniers mois ou un peu plus, avec un attirance assez profonde de ce qu’on va appeler la « gauche Twitter » pour Jean-Luc Mélenchon.
On parle ici de gens pour qui être de gauche c’est « militer » plus que les idées, et ainsi Twitter est un vecteur essentiel de revendication et d’affirmation, ainsi qu’un lieu de passage et de consommation.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’idées. Il n’y a même que ça, chacun voyant les choses à sa manière. Le seul dénominateur commun maintenant un cap est cependant l’action. On est ici très exactement dans un actionnisme résumé par le réformiste Bernstein, rejeté alors par la social-démocratie à la fin du 19e siècle, comme quoi le mouvement est tout, le but n’est rien.
Cette démarche est d’ailleurs désormais commune à, on peut dire, la quasi totalité de la Gauche française, qui a balancé par-dessus bord toute liaison avec la Gauche historique. Ce qui compte, ce ne sont pas les objectifs, mais le programme, le mouvement, les initiatives, etc.
D’où l’insistance permanente d’ailleurs de Jean-Luc Mélenchon sur le principe du référendum, avec comme référence centrale la gauche latino-américaine, partisane d’un « front ample » structurée sur une ligne populaire-patriotique de réformes sociales censées être profondes.
Le succès de Jean-Luc Mélenchon relève ici de toute une attitude générale des gens composant la Gauche militante en France. Sauf que justement, Jean-Luc Mélenchon ne se définit plus comme de gauche, et d’ailleurs une partie toujours plus significative de cette Gauche militante non plus. Parler de militantisme est d’ailleurs ici en soi erroné, car ce militantisme correspond à un mode opératoire dans un esprit étudiant ou syndicaliste. Ce n’est pas du militantisme politique, structuré autour d’objectifs relevant d’un programme.
En ce sens, Jean-Luc Mélenchon et son mouvement La France insoumise reflètent une liquidation historique. La Gauche française des années 1980 regarderait ahurie, et avec dégoût, la scène militante de gauche actuelle. Elle les considérerait, avec justesse, comme un milieu de décomposés et d’opportunistes, de mouvementistes et de pragmatiques.
Et, au cœur de cela, il y a une manipulation tout à fait terrible. Il est évident que de tous les gens ayant voté Jean-Luc Mélenchon, bien peu seraient d’accord avec le principe de balancer des missiles nucléaires sur les populations d’autres pays. C’est pourtant bien la position de La France Insoumise, comme ici expliquée le 11 janvier 2022 par son député Bastien Lachaud au sujet de la « dissuasion nucléaire ». Bastien Lachaud prône même la militarisation de l’espace !
C’est un exemple parmi d’autres. Mais il est typique d’un mouvement magmatique, où il n’y a pas de valeurs claires sur le plan idéologique, au sens où les objectifs ne sont pas définis. On est dans un populisme mouvementiste qui permet tout et rien, qui a du succès par son opportunisme et sa capacité à proposer au moins quelque chose à n’importe qui, sans que cela se débouche sur rien.
Il y a une logique McDonald’s et Netflix dans le mouvement de Jean-Luc Mélenchon : on peut venir comme on veut, on choisit ce qu’on veut retenir, mettant le reste de côté. C’est là aux antipodes des principes d’élévation des consciences et d’exigence d’organisation de la Gauche historique.