Après les rats des villes, les rats des champs.
Après la France urbaine, la France rurbaine. La vague en faveur de Jean-Luc Mélenchon juste avant le premier tout de la présidentielle d’avril 2022 a été profondément urbaine, et il ne s’agit pas tant d’un mouvement vers la Gauche qu’une tentative de « sauver les meubles » pour des couches sociales désireuses que les choses restent stables et sociales. C’est l’idéologie des corrompus par le capitalisme, dans une version petite-bourgeoise de gauche, car profitant des avantages de la ville.
Pour ces gens, Emmanuel Macron est désagréable, le capitalisme va un peu trop vite, il faudrait qu’on en reste là et que l’aisance urbaine, même si parfois relative, puisse se perpétuer.
Désormais, on a une vague en faveur de Marine Le Pen, juste avant le second tour de la présidentielle d’avril 2022, formant une vague rurbaine. On parle ici des corrompus par le capitalisme, dans une version petite-bourgeoise apolitique, en voie de prolétarisation, voire de lumpenprolétarisation en raison d’un isolement social et culturel toujours plus massif.
Pour ces gens, Emmanuel Macron est un objet de haine, le capitalisme va beaucoup trop vite, les choses ne peuvent plus durer car même si matériellement cela va encore, tout le tissu social s’estompe à grande vitesse, depuis les hôpitaux jusqu’aux rapports familiaux, les lieux de convivialités jusqu’au sport et au transport.
Et de la même manière qu’avant le premier tour, il y avait une vague irrationnelle en faveur de Jean-Luc Mélenchon, il y a en ce moment une vague irrationnelle en faveur de Marine Le Pen. Il y a la même tendance à plaquer tous ses espoirs là-dessus, à attendre que les choses se débloquent d’elles-mêmes grâce à un changement à la tête de l’État. Mais, et c’est notable, l’anticapitalisme romantique que l’on trouve chez les nouveaux partisans de Marine Le Pen est bien plus présent, plus agressif, plus vindicatif, que ceux chez les nouveaux partisans de Jean-Luc Mélenchon.
On est ici dans la tradition des gilets jaunes, qui servent de référence culturelle majeure. Les gilets jaunes, nous l’avons toujours souligné ici, ont été un terrible poison, le vecteur d’un démarche pré-fasciste, voire fascistoïde, pour ne pas dire fasciste au sens strict. Cette exigence de rétablir l’ordre ancien par en bas, contre une élite en décalage avec la nation, forme le noyau dur même de l’idéologie fasciste historiquement.
On a d’ailleurs la même brutalité populaire, le même bricolage dans les idées et les formulations, la même grossièreté dans les slogans, la même vulgarité dans l’expression des exigences. Cela n’est en rien populaire, c’est typiquement la révolte des déclassés. C’est ce qui ressemble de plus historiquement, ces cinquante dernières années en France, aux SA allemands et aux chemises noires italiennes. Heureusement qu’il a manqué une réelle ampleur populaire, puisque le mouvement a toujours été ultra-minoritaire, pour ne pas dire totalement marginal, malgré son hyper-médiatisation.
Il n’en reste pas moins que les gilets jaunes ont diffusé un style et ce style, si adulé par l’ultra-gauche française, est en ce moment l’outil majeur pour valoriser Marine Le Pen pour le second tour de la présidentielle de 2022. C’est là tout à fait cohérent. Et cela montre l’erreur massive qu’a fait l’ultra-gauche, et avec elle la CGT, à courir derrières les gilets jaunes au lieu de dénoncer ce mouvement qui resta toujours, historiquement, entièrement extérieur à la classe ouvrière par ailleurs.
Il faut absolument étudier ce qui est en train de se passer sur ce point, afin de bien comprendre le phénomène de ré-utilisation de ce style en faveur de Marine Le Pen. Cela montre qu’une nouvelle étape est passée, que dans le fond de la société française, il y a des choses qui se fissurent, que cela craque à la base même. Et cela aura été extrêmement rapide après les résultats du premier tour. Cela promet pour la suite… Même si cela n’a rien d’étonnant. Comme dit le 10 avril avant les résultats, les Français vont payer cher leurs mensonges, leur petitesse. Il faudra boire le calice jusqu’à la lie.