Ne pas se positionner contre la guerre, c’est se couper de l’Histoire.
Il y a une fâcheuse tendance à voir la guerre comme quelque chose relevant d’une sphère séparée des autres enjeux de société. Il y aurait la guerre d’un côté, la politique de l’autre.
Cette manière de voir est évidemment fausse et la tendance à la guerre actuelle le confirme. Car comment ne pas voir que la guerre en Ukraine, en tant que jalon de la guerre de repartage entre grandes puissances, est en train de redessiner toutes les problématiques, et pas dans le bon sens ?
Cela ne concerne pas seulement la question strictement militaire, mais également les questions sociale, écologique, éducative, industrielle, culturelle… l’ensemble des problématiques de fond.
Dans un entretien accordé hier au journal Les Echos, le nouveau ministre des Armées, Sébastien Lecornu parle d’une « économie de guerre » et annonce le déploiement de 7 à 8 000 soldats français en Roumanie, contre 500 actuellement. Il déclare également la chose suivante :
« Personne ne peut comprendre qu’en temps de guerre, il faille entre 18 et 24 mois pour réassortir un stock (…). L’exercice que nous allons faire avec les industriels est inédit, il sera mené en collaboration avec le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire.
La réflexion portera aussi bien sur les matières premières, les savoir-faire, les simplifications administratives et les perspectives à l’exportation.
Au moment où la France va faire un effort budgétaire sans précédent pour ses armées, les industriels doivent être au rendez-vous. La politique du flux tendu et du zéro stock qui optimise les marges correspond à un temps de paix. »
Par conséquent, toutes les politiques publiques passent par le filtre de cette « économie de guerre ». Et cela a des répercussions évidemment délétères du point de vue des enjeux historiques, qu’ils soient politiques, sociaux et écologiques.
Passer dans une « économie de guerre », cela ne peut que se traduire au plan politique par un contrôle accru de l’armée sur les décisions, avec pour effet d’accentuer toute une mentalité aristocratique, expansionniste et anti-démocratique dans l’appareil dirigeant.
C’est également un basculement culturel, comme l’attestent ces auteurs de science-fiction placés au service de l’armée française (la « Red Team » que nous dénoncions en décembre 2020) ou l’annonce récente de rattacher au ministère des Armées la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du service national universel.
Au niveau social, il y a évidemment la question de l’inflation. Soutenir des mesures sociales anti-inflation pour les plus pauvres et ne pas s’opposer à l’orientation de cette « économie de guerre », ce n’est ni plus, ni moins qu’accompagner la restructuration du capitalisme.
On pourrait également parler de l’augmentation du budget militaire prévu par la prochaine actualisation de la loi de programmation-militaire, ce qui va nécessiter des coupes budgétaires anti-sociales afin d’assurer la solvabilité de la dette française qui atteint des sommets historiques.
Au niveau environnemental, on apprend que la centrale à charbon de Saint-Avold en Moselle, fermée en mars, est prévue à la réouverture en octobre dans le cadre de la crise énergétique… causée par la guerre et l’embargo sur les énergies fossiles russes, principalement le gaz et le charbon. Il est ainsi prévu de rappeler les salariés licenciés de Saint-Avold grâce à une modification du code du travail qui permettrait de proposer des CDD « exceptionnels » de 36 mois !
Au Havre, un terminal flottant d’importation de GNL (gaz naturel liquéfié) est prévu pour livraison en septembre 2023, une cadence de construction qui passe notamment par le fait d’accélérer (en fait bâcler) les procédures de suivi environnementales, cela étant prévu par le volet « souveraineté énergétique » de la prochaine loi pouvoir d’achat.
De la même manière que les industriels de la biométhanisation, un type de production d’énergie par la fermentation des déchets agricoles, s’empressent de s’engouffrer dans la brèche de la crise énergétique pour justifier l’augmentation d’installations de gigantesques centrales, comme c’est le cas à Corcoué-sur-Logne en Loire-Atlantique et ce malgré les inquiétudes environnementales.
Au niveau énergétique, la guerre vient renforcer la désorganisation générale liée à la crise sanitaire et aux effets du réchauffement climatique ayant engendré des retards dans la maintenance des centrales nucléaires ainsi que dans l’installation de nouveaux moyens de production énergétique. Sans même parler du réchauffement climatique qui amoindrit les capacités des centrales nucléaires pour tout un tas de raisons.
Bref, la tendance à la guerre redessine le champ économique, social et écologique des sociétés, avec au centre la question de la restructuration générale du capitalisme. Il est difficile de voir comment on peut opter pour un changement de société sans passer par la case du pacifisme et de l’internationalisme issu de la Gauche historique.
Car si la critique du militarisme et la défense du pacifisme est une nécessité politique et morale, ces valeurs forment aujourd’hui et demain le cœur même d’une orientation réellement à Gauche. On peut bien contester les politiques anti-sociales ou les projets anti-écologiques mentionnés, cela n’aura que peu d’impacts historiques si l’on ne l’inscrit pas dans l’opposition générale à la guerre.
L’opposition à la guerre, ce n’est pas simplement quelque chose de complémentaire mais le préalable à l’émancipation humaine. C’est avoir compris le sens de l’Histoire. Ce sens, c’est socialisme ou barbarie ; ou le Socialisme triomphe du capitalisme, ou ce dernier fait basculer le monde dans la guerre.