Le complexe militaro-industriel français tourne à l’abri des regards.
Mercredi 3 août 2022, des explosions et un début d’incendie ont eu lieu sur le site de la poudrerie d’Eurenco à Bergerac faisant huit blessés, dont un grave. Cette usine produit de l’explosif en utilisant de la nitrocellulose, une matière extrêmement explosive et inflammable, ce qui explique qu’elle soit classée SEVESO « seuil haut ».
C’est ce produit qui est à l’origine de l’explosion dans la zone de stockage.
A l’origine, l’usine est possédée par Manuco, entreprise spécialisée dans la fabrication de nitrocellulose qui a pris racine à Bergerac en pleine première guerre mondiale, en vue de fournir l’artillerie de l’époque. D’autres accidents de ce type eurent lieu en juillet 1928 et octobre 1980, chaque fois causés par cette matière.
En 2021, l’usine a été rachetée par Eurenco, entreprise elle-même née d’une fusion en 2004 entre la Société Nationale des Poudres et Explosifs, une filiale de Nexter anciennement Groupement industriel des armements terrestres (GIAT), et de NEXPLO, une entreprise commune entre les géants de l’armement suédois Saab et finlandais Patria.
Cela fait de l’European Energtics Corporation (Eurenco), en majorité détenue par la SNPE française donc désormais Nexter, une entreprise stratégique dans le complexe militaro-industriel français visant à assurer sa place dans l’industrie de l’armement européenne. Une orientation dûment revendiquée par l’entreprise elle-même sur son site :
« un acteur clé du secteur de la défense au service de la souveraineté de la France et de l’Europe. Nous concevons, produisons et fournissons des produits et solutions innovants et à forte valeur ajoutée dans les domaines de la pyrotechnie et de la chimie. »
En tant que pièce maîtresse du complexe militaro-industriel français, Eurenco est un des principaux fournisseurs d’explosifs pour l’armée française, notamment pour la fabrication des obus de 155mm utilisés par le canon dit CAESAr ou encore les futures bombes de grandes puissances destinées à équiper les nouveaux modèles de Rafales.
L’entreprise vient aussi de conclure un contrat avec l’OTAN pour produire leurs munitions explosives d’artillerie utilisant les mêmes obus de 155mm. Eurenco produit aussi des explosifs à destination de l’industrie minière et pétrolifère qui sont des industries ultra stratégique pour l’approvisionnement des armées.
Le territoire français abrite donc deux sites de productions d’Eurenco, celui de Bergerac en Dordogne, spécialisé dans les objets combustibles, et celui de Sorgue dans le Vaucluse, où sont produits les explosifs et des additifs de carburants.
Tout comme lors de l’incendie militaire au camp de Canjuers, la société française découvre des installations dangereuses liés au complexe militaro-industriel français qui fonctionnent à l’abri des préoccupations de la société civile.
Car faire opérer des ouvriers de maintenance au contact d’un tel matériau explosif en pleine sécheresse et canicule semble ahurissant, mais cela ne l’est pas pour des industriels au cœur d’une « économie de guerre » annoncée récemment par Emmanuel Macron. Comme l’a déclaré (à huis clos) le chef d’état major des armées de terre, Pierre Shill, devant la commission défense de l’Assemblée nationale le 20 juillet :
« Quant à l’industrie de défense, la question sera de prévoir la capacité d’entrer dans une
économie de guerre et de sortir d’une logique de flux pour disposer des stocks indispensables
à la réactivité et à la capacité à durer, d’ouvrir des lignes de fabrication et de produire des
équipements, des munitions, des pièces de rechange dans des délais très courts. »
Une telle perspective implique une maîtrise organisationnelle très importante à une époque où la bourgeoisie se montre incapable à maintenir des règles strictes d’organisation sociale et il est à craindre que d’autres accidents industriels aient lieu ailleurs, alors que la tendance à la guerre engendre des hausses de budgets militaires partout dans le monde, promettant à Eurenco un développement croissant.
La présence d’une telle industrie militaire devrait donc questionner toutes les personnes faisant du pacifisme et de l’internationalisme un étendard, car cet accident ne doit pas seulement questionner la sécurité des industries dites dangereuses, mais bien notre rapport à la production en générale, et en particulier à celle qui participe à la destruction de la Terre et de la Paix.
Cet accident est d’ailleurs déjà un drame, car les ouvriers n’ont pas à payer le prix du militarisme de grandes puissances, alors même que participer à la production d’obus capable de traverser des murs en béton et réduire des habitations en poussière comporte un danger plus que considérable.
Considérer qu’il soit normal que les armées possèdent de telles armes destructrices produites sur notre territoire, c’est accepter que ces armes soit utilisées quelque part et développent leurs effets dévastateurs. Mais c’est aussi accepter que des problèmes au cours de cette production puissent avoir lieu et entraîner des explosions et des morts ici même.
Cet accident doit donc être saisi comme un accident de type militaire et doit servir à comprendre concrètement quelle est le rôle de notre pays dans les différentes organisations militaires et ce que cela implique dans la vie quotidienne.
Pour la paix, pas un euro ne doit aller au militarisme et pas un seul obus ne devrait pouvoir sortir des usines sans un contrôle populaire strict. Le développement des usines d’Eurenco doit être soumis à des choix démocratiques d’ensemble de part ses caractéristiques industrielles dangereuses (Seveso) et ses débouchés militaires. Cela implique un changement fondamental de régime.